Que signifie le concept de « accidental manager ?
»
C’est une expression anglo-saxonne que l’on s’approprie
aujourd’hui en France, car cela existe depuis plusieurs années
sur le marché français. Ce sont des collaborateurs qui ont évolué
dans l’entreprise et qui, suite à une promotion interne, sont
devenus managers. La personne est donc promue, a de nouvelles
responsabilités, mais n’a pas pour autant eu de préparation
préalable : pas de formation ou d’accompagnement dans ce nouveau
statut. L’entreprise n’a pas forcément officialisé cette
promotion, ne l’a pas fêtée, pas plus qu’il n’y a eu
d’augmentation de salaire. Il y a cette idée de promotion sous le
manteau.
Que révèle l’étude que vous avez menée sur le sujet et
pourquoi un tel abandon ?
Plusieurs chiffres de cette enquête sont marquants : 57% des
managers ne se sentent pas soutenus lors de leur promotion, 25 %
déclarent ne pas avoir eu d’augmentation, 35 % n’ont pas été
formés et 53 % estiment avoir été promus sans reconnaissance. Le
manque de soutien est net. Toutefois, il s’agit d’un comportement
inconscient : il n’y a généralement pas de volonté de nuire de la
part de la direction. Ce n’est pas un piège. Cette tendance a
toujours existé, mais dans le contexte actuel les professionnels
sont plus alertes sur le sujet. Le rôle de manager est de plus en
plus important et de plus en plus difficile, et le Covid-19 a
permis d’en prendre conscience car beaucoup ont souffert de ce
nouvel enjeu en raison d’un manque de soutien.
Comment remédier à cette situation au sein de son
entreprise ?
Divers leviers peuvent être actionnés pour mieux accompagner ces
salariés. Par exemple, il faut encourager la projection du
collaborateur dans son plan de carrière, mieux l’intégrer dans
son parcours au sein de l’entreprise, et fixer des caps clairs
d’évolution avec lui. Il ne doit pas avoir l’impression, via sa
promotion, d’être un outil circonstanciel pour son organisation.
Cela demande de l’écoute et du temps, il faut challenger la
culture d’entreprise « à la française ». Le temps, justement, est
bien souvent le premier frein. Certains programmes de formation
présentent la partie théorique du management : ce sont de bons
programmes mais ils représentent un coût budgétaire, quand le
manque de temps les rend difficiles à organiser. À défaut, l’on
peut tenter des choses à l’échelle de sa structure, miser sur
l’accompagnement par des pairs, profiter de l’expérience interne
pour soutenir la personne promue. Il faut tout simplement prendre
du temps pour son collaborateur. De petites choses font la
différence. Cela est d’autant plus vrai pour les femmes, qui sont
deux fois plus nombreuses que les hommes à se sentir illégitimes
lorsqu’elles sont promues au poste de manager. C’est précisément
contre ce syndrome de l’imposteur qu’il faut lutter. La personne
qui a été promue doit se sentir légitime.
Sinon, quelles pourraient en être les conséquences
?
Lorsqu’une entreprise demande à ses collaborateurs de fournir
plus de travail, de prendre davantage de responsabilités, mais
n’offre pas forcément des moyens supplémentaires ou de la
reconnaissance, cela cristallise les frustrations. Les managers
se démotivent, sont moins performants. Ils ne s’épanouissent plus
au travail. Il y a un risque considérable de fuite de ces talents
qui sont des hauts potentiels. Cela peut faire très mal aux
entreprises. Pensez-y, l’on dit souvent que l’on ne quitte pas
une entreprise, mais que l’on quitte un manager, ou une
direction. Une entreprise a tout intérêt à s’emparer de ce sujet
ne serait-ce que pour sa marque employeur. Investir dans cette
fonction de middle management est capital pour
l’avenir.