Le système de santé au travail français est-il voué à la
disparition ?
Le système de santé au travail en France a été structuré en 1946,
au lendemain de la seconde guerre mondiale, à une époque où notre
économie était essentiellement industrielle et les carrières
souvent menées dans une seule et même entreprise. Pendant 70 ans,
les services de santé au travail ont vécu sur la sacro sainte
idée de la visite médicale d’aptitude et d’une logique de
réparation des dégâts du travail.
En 2011, la loi Lefrand puis en 2016 la loi El Khomri ont
bouleversé la donne. Les services de santé au travail sont
obligés aujourd’hui de se réformer à marche forcée.
Parallèlement, on assiste à l’émergence de nouvelles formes
d’activités et d’organisation du travail qui échappent au champ
traditionnel de la santé au travail.
La plateformisation de l’économie soulève des questions
importantes sur la protection de ces nouveaux travailleurs : qui
a la responsabilité de leur santé puisqu’ils sont leur propre
employeur ? Quelles évolutions doit connaître notre système pour
faire face à ces nouveaux enjeux ?
Au delà du phénomène de l’ubérisation, vous pointez
le fait que plusieurs centaines de milliers de travailleurs sont
complètement hors système de prévention ?
Effectivement, lorsque nous avons mené cette étude sur
ubérisation du travail et santé, nous avons voulu mettre en
lumière toute cette population des indépendants qui échappe
complètement au système de prévention, et cela bien avant que le
statut d’autoentrepreneur existe. Alors que leurs salariés sont
très bien protégés, des centaines de milliers de commerçants,
artisans, professionnels libéraux sont les grands laissés pour
compte de la santé au travail.
Plus largement, vous plaidez pour une réforme profonde de
la santé au travail en France ?
C’est indispensable. La loi ANI a fait surgir les assurances et
les mutuelles dans le monde de la santé au travail avec de
nouvelles approches. Les entreprises évoluent et en
viennent de plus en plus à considérer le bien-être au travail
comme un facteur de performance.
Les services de santé au travail et plus globalement la santé
publique doivent s’inscrire dans ce mouvement et proposer une
nouvelle réflexion sur la prise en compte de la santé dans le
monde du travail. Inspirons-nous de ce qui ce fait au Québec où
l’entreprise considère la santé du travailleur dans sa
globalité.
La santé au travail est en pleine mutation, les services de santé
au travail doivent faire tomber les barrières intellectuelles et
institutionnelles s’ils ne veulent pas disparaitre.
En savoir plus
- Venez échanger avec Jean-Paul Thonier lors de sa conférence « La Santé au Travail face au choc de l'Ubérisation » , le mardi 20 juin à Préventica Paris