De pacte en redressement productif, la compétitivité est au cœur
des enjeux nationaux, au centre des enjeux économiques pour les
entreprises et occupe le devant de la scène médiatique. Comment
la sécurité privée aborde-t-elle ce nouveau challenge ?
Analyse et prospective avec Michel Mathieu, président de
Securitas France et président de la Commission économique de
l’USP.
La compétitivité est au cœur du débat économique non seulement
national mais aussi européen. Comment la sécurité privée
aborde-t-elle ce nouvel enjeu ?
La sécurité privée est à l'image de l'ensemble du secteur
économique : en profond changement et ne sachant pas
toujours comment réagir et se comporter dans un monde nouveau.
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D'une part la sécurité
privée a vécu globalement 40 ans de croissance. Les réponses aux
questions que nous nous posions en période de croissance ne sont
pas celles d'aujourd'hui.
D'autre part, la culture économique dans notre pays est
généralement faible. Dans notre métier, il n'y a jamais eu de
réflexion structurée, théorique ou académique menée sur ce
terrain. Enfin, ce n'est pas un sujet porteur car dans
l'imaginaire, économie veut dire argent, veut dire entreprise,
veut dire patron. En résumé, des sujets profondément refusés,
rejetés, voire vilipendés. Pourtant, il devient urgent de
réfléchir au modèle économique de ce métier qui a complètement
implosé (cf analyse de la commission économique de l'USP du cas
Néo en juin 2012 consultable sur le site www.usp-securite.org).
Ce contexte particulier a incité l'USP à se doter d’une
commission économique. Nous travaillons aujourd'hui sur deux
thèmes principaux : quel était le business model et pourquoi
a-t-il implosé ? (Nous en avons aujourd'hui une bonne idée).
Ensuite, comment imaginer le modèle de demain ? Nous
commençons à nous atteler à cette question. Notre objectif est de
l'aborder sous un angle théorique ET pratique.
En parallèle, nous percevons qu'il y a pour quelques acteurs une prise de conscience de l'urgence, c'est un bon point de départ pour avancer. Pour beaucoup, en particulier dans les PME, il y a surtout de l'inquiétude ou de la peur face à une situation d'une grande complexité. Cette peur est aujourd'hui très paralysante. Ce sont eux qu'il faut aider.
Le secteur est-il en capacité de construire une stratégie
de compétitivité ?
Aujourd'hui non. Toutes les mécaniques en place sont
destructrices de valeur. Seuls 30% des entreprises du secteur
atteignent l'équilibre économique. Cela prouve par l'absurde que
le prix de vente est fortement sous-évalué. Parallèlement l'offre
proposée au marché est d'une valeur ajoutée faible, voire nulle.
Les entreprises de sécurité ne disposent plus d’aucun moyen pour
investir, innover et repartir de l'avant.
La question est plutôt : et demain ? D'une manière ou
d'une autre, il faudra être en capacité de construire un nouveau
modèle. L'USP doit aider à la réflexion et à la mise en œuvre de
projets et d'idées dans ce domaine comme il a su le faire et
continue à le faire dans le domaine social ou structurant comme
le CNAPS ou la révision de la loi de 83.
L'USP et la commission économique doivent bien sûr avoir un rôle
moteur pour pousser au renouveau mais le rôle décisif appartient
aux entreprises, à leurs propriétaires et à leurs dirigeants.
À l’aune de votre fonction, que préconisez-vous pour
améliorer la compétitivité des entreprises de sécurité
françaises ?
En priorité absolue et à court terme, nous avons besoin de
stabilité réglementaire, métier, fiscale et sociale. Messieurs
les politiques et fonctionnaires, s'il vous plait, arrêtez de
travailler et d'être créatif ! Mettez votre énergie à nous
aider à faire fonctionner ce qui existe, à faire appliquer ce qui
doit l'être. C'est peut-être moins valorisant dans l'instant,
mais cela serait beaucoup plus utile à la collectivité.
Ensuite, les 20 premières entreprises doivent se réveiller
brutalement. Le cabinet Secafi Alpha que l'on ne peut pas
soupçonner d'être un porte-voix du monde patronal, a produit une
analyse comparative 2009 / 2011 de l'évolution des rentabilités
des 20 premières entreprises. Seules 3 d’entre elles seraient
encore bénéficiaires ! Il faudra bien à un moment
donné qu'il y ait une réaction par rapport à cet effondrement.
Une entreprise doit gagner de l'argent pour rémunérer ses
investisseurs, pour se développer et partager avec ses salariés.
Enfin, nous améliorerons la compétitivité de nos entreprises si nous savons et si nous avons le courage à très court terme de vendre le prix juste de nos prestations. Ensuite, il faut rapidement que nous retrouvions le chemin de création de valeur pour nos clients. En effet, ils subissent une pression économique forte, nous devons leur permettre de faire évoluer leur solution de sécurité. L'intégration surveillance humaine/technologie est très en retard en France et représente un gigantesque terrain d'optimisation tant budgétaire que sécuritaire. Le challenge d'aujourd'hui est de passer de la course au moins cher à la compétition pour plus d'innovation.
La baisse des charges est-elle le seul levier pour
améliorer cette compétitivité ?
Il faut rappeler que notre métier est déjà largement sponsorisé.
Issu du passage aux 35 heures, un système complexe et mouvant
d'allègement de charges existe déjà pour les salaires de 1 à 1,6
SMIC. Ces allègements sont aujourd'hui très supérieurs au
résultat même de nos entreprises. Ceci n'a pas de sens car plus
personne n'a la moindre idée des coûts réels pour l'entreprise,
pour le salarié, pour le client et pour la collectivité. Ces
systèmes sont de grandes erreurs historiques. Et maintenant
qu'ils sont intégrés au modèle économique, il est impossible de
les remettre en cause ; cela provoquerait une augmentation
immédiate des prix de 15 à 20% à l'opposé de toute idée de
compétitivité pour nos clients.
Le débat sur la compétitivité concerne avant tous nos clients qui se battent sur les marchés mondiaux. Nous, entreprises de service, sommes une composante de leurs coûts. Nous ne sommes pas délocalisables et nos charges sont déjà allégées. Dans l'intérêt national, ce sont nos clients industriels qu'il faut d'abord aider. La baisse des charges ne semble pas être dans l'agenda du gouvernement. C'est regrettable. C'était probablement le moyen le plus efficace et rapide pour redonner de la compétitivité aux entreprises qui se battent sur les marchés mondiaux.
Pour nous, le crédit impôt recherche n'est pas un levier d'une grande aide. Concernant le crédit d'impôt évoqué dans le pacte de compétitivité, concrètement c'est encore un grand flou : pour notre métier où 70% des entreprises ne gagnent pas d'argent, donc ne paient pas d'impôt, que veut dire crédit d'impôt ? Si c'est un apport d'argent frais qui allège la trésorerie de nos PME, ce sera un bon moyen pour elles d'investir pour l'innovation. Néanmoins, la simple stabilité de l'environnement législatif ou réglementaire constituerait un gain de temps nous permettant de concentrer nos efforts sur l'offre et l'innovation pour nos clients, et donc recréer de la compétitivité.
En contrepoint, la commission économique de
l’USP travaille à la refonte du business model existant. Pourquoi
une telle démarche est-elle nécessaire ?
En fait, nous ne travaillons pas à la refonte du business model
en tant que tel. Ce sont les entreprises qui en ont la maîtrise.
Notre rôle est de les accompagner, de proposer les clés de
lecture pour permettre de simplifier la complexité, de partager
cette compréhension et faire émerger de nouvelles idées. C'est
ainsi que nous redonnerons à notre profession du dynamisme et de
l'ambition. Nous pourrons alors imaginer un futur bien différent
de la situation dans laquelle nous nous enfonçons depuis 3 ans.
Quels sont les changements fondamentaux qu’il convient
d’opérer ?
Les objectifs que nous suivons au sein de la commission
économique sont de plusieurs ordres : il s’agit tout d’abord
de redonner un sens à la notion de marge. Une entreprise doit
gagner de l'argent. Avoir comme seul objectif de survivre ou
d'être juste à l'équilibre ne peut pas être une ambition. Nous
devons d'abord redonner de l'espoir et de l'énergie
entrepreneuriale. Cela passe par le dialogue et le partage de
l'analyse de la situation. Nous avons déjà travaillé sur le
bilan, nous présenterons les résultats d'un exercice de
prospective début 2013.
Ensuite, nous souhaitons redonner de la compétence de gestion.
Notre collectivité est plus faible que d'autres dans sa
compréhension des enjeux de gestion, des leviers qui font la
performance, et de la construction de son prix. Nous devons
apporter les outils pour nous renforcer dans le domaine. C'est
notre priorité pour le 1er semestre 2013 au travers de
publications, de fiches techniques et d'un tour de France où nous
diffuserons le résultat de nos premiers travaux dont le thème
est : les 20 clés de gestion d'une entreprise de
sécurité.
Enfin, il appartient aux entreprises qui le souhaitent,
individuellement ou collectivement, d'accepter que le modèle des
40 dernières années est mort, d'en faire le deuil et d'imaginer
de nouveaux schémas : ils se trouvent dans l'organisation
interne, dans des spécialisations, dans la compétence
sûreté/sécurité, dans l'offre technique, dans l'intégration
surveillance humaine/technologie, dans l'identification de
nouveaux besoins,… Nous pouvons aider à l'USP au
développement de la culture économique mais l'offre et le
commerce sont du ressort des entreprises.
Quelle contribution attendez-vous de la part des clients
pour mettre en place ce nouveau business
model ?
C'est à nos entreprises de proposer à leurs clients des offres
nouvelles. Je ne pense pas qu'il faille attendre le secours de
l'état ou du marché. Chacun doit jouer sa partition et ce n'est
déjà pas simple. Le marché est aujourd'hui exclusivement piloté
par la demande : « vous mettez un agent de sécurité
à tel endroit de telle heure à telle heure, quel est votre taux
horaire ? » Nous devons faire un effort
considérable pour faire évoluer le marché vers l'offre et
répondre à nos clients : « nous avons une solution
différente à vous proposer qui optimise la partie humaine, qui
intègre plus de technologie et qui stabilise votre
budget ».
Interview extraite du magazine Sécurité Privée,
septembre-novembre 2012
Dossier réalisé avec l’aimable collaboration de l’USP (Union des
Entreprises de Sécurité Privée) : http://usp-securite.org/