Du professionnel indépendant à la multinationale, en passant par
les organismes à but non lucratif (associations, syndicats, etc.)
sans oublier les collectivités publiques, toutes les «
organisations » sont concernées, et vont ainsi devoir répondre de
leur conformité au RGPD.
Nul ne contestera que ce nouveau cadre était indispensable pour
réguler l’usage des données personnelles et responsabiliser les
opérateurs économiques, à commencer par les géants du net, face
aux effets conjugués des évolutions technologiques.
Cela étant, le chantier de mise en conformité s’avère
particulièrement lourd et fastidieux à mettre en œuvre, surtout
pour les TPE/ PME, ce qui suscite parfois des incompréhensions
sur le terrain, voire un renoncement à l’action face à ce qui est
souvent perçu comme une énième strate de complexité réglementaire
et un poste de charges supplémentaire dépourvu de plus-value.
L’intérêt de la démarche pour l’entreprise doit donc être bien
expliqué.
Il faut néanmoins reconnaître qu’en termes d’exigences, la «
barre » a été placée très haut par le législateur européen.
Parmi toutes les mesures visant à assurer une protection
effective des données personnelles, le RGPD impose notamment aux
professionnels d’assurer la sécurité des données à caractère
personnel qu’ils traitent.
Il s’agit donc d’une obligation de sécurité, qui s’impose :
- Tout au long de la chaîne de traitement de la donnée, que ce soit au niveau du responsable du traitement ou de son/ses sous-traitants. Ces derniers sont soumis aux mêmes obligations, dans la limite de la mission qui leur est confiée par leur client.
- Tout au long du cycle de vie de la donnée, de sa collecte à sa destruction, sans oublier l’obligation de « penser » sécurité dès la conception de chaque nouveau traitement (security by design) ;
En fait, cette obligation n’est pas totalement nouvelle,
puisqu’elle existait déjà dans le cadre de la loi informatique et
libertés (« LIL »), dont la refonte est en attente de publication
(cf. loi sur la protection des données personnelles qui vient
d’être définitivement votée le 14 mai 2018 – signalons que ce
calendrier tardif ne facilite pas la visibilité juridique pour
les parties prenantes, ce qui est regrettable compte tenu du
caractère très structurant des enjeux de protection des données
personnelles).
« Le responsable du traitement est tenu de prendre toutes
précautions utiles, au regard de la nature des données et des
risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité
des données et, notamment, empêcher qu'elles soient déformées,
endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès » (cf.
LIL, art. 34).
Le RGPD va toutefois plus loin, en renforçant considérablement
les exigences et prescriptions de sécurité (cf. RGPD,
art.32).
Celles-ci imposent la prise de mesures appropriées afin de
garantir un niveau de sécurité adapté face aux risques, qui se
regroupent en 3 grandes catégories :
- La perte des données ;
- L’altération des données ;
- La divulgation non autorisée des données.
Pour chacun de ces risques, la source (= menace) peut être
d’origine accidentelle, illicite ou malveillante.
Même lorsque le recours à une analyse d’impact sur la protection
des données personnelles (AIPD) n’est pas requis à titre
obligatoire, le caractère approprié des mesures nécessite tout de
même une évaluation afin de valider si le niveau de sécurité est
suffisant et si le risque est rendu suffisamment bas pour être
raisonnablement « acceptable ». Celle-ci doit tenir compte
notamment de la nature des données traitées et des finalités du
traitement (autrement dit, plus la donnée est sensible dans le
contexte du traitement en termes de conséquences potentielles
pour les droits et libertés des personnes concernées si le risque
devait se réaliser, plus le niveau doit être élevé).
Il est donc directement question ici de technique, ce qui
rappelle la forte dimension pluridisciplinaire de la démarche
RGPD, et son caractère complexe.
Dans ce registre, le RGPD dresse une liste -non exhaustive- de
mesures à envisager, à commencer par la pseudonymisation des
données (technique qui contrairement à l’anonymisation complète
et définitive, n’empêche pas de pouvoir rendre la personne
réidentifiable), et le recours au chiffrement des données dès que
cela est possible.
Doivent être par ailleurs envisagés des moyens permettant de
garantir des fondamentaux tels que la confidentialité,
l'intégrité, la disponibilité et la résilience constantes des
systèmes et des services de traitement, et de rétablir la
disponibilité des données à caractère personnel et l'accès à
celles-ci dans des délais appropriés en cas d'incident physique
ou technique. Le spectre d’analyse est très large : système
d’information, flux et transferts de données, utilisation
d’équipements personnels (« BYOD »), etc.
Il ne saurait toutefois être uniquement question de technique ;
l’accent est donc mis également sur la prise obligatoire de
mesures organisationnelles.
Dans ce cadre, l’entité assujettie au RGPD doit se doter d’une
procédure visant à tester, à analyser et évaluer régulièrement
l'efficacité des mesures prises pour assurer la sécurité du
traitement dans leur globalité.
Le RGPD impose également la limitation des accès aux seules
personnes habilitées au sein de l’organisation, et d’appliquer
des consignes (cf. charte informatique, notes de service,
contrats de travail, etc.) interdisant de traiter les données
en-dehors des instructions du responsable du traitement.
La formation du personnel aux risques et bonnes pratiques de
sécurité est également essentielle compte tenu du risque lié au
facteur humain.
A côté des mesures internes à l’entreprise, c’est également toute
la relation avec le ou les sous-traitants appelés à traiter des
données à caractère personnel « pour le compte » du responsable
du traitement qui doit être passée au crible de l’obligation de
sécurité.
Rappelons qu’en vertu de l’article 28 du RGPD, le responsable du
traitement est tenu de ne faire appel qu’à des sous-traitants qui
présentent des garanties suffisantes quant à la mise en oeuvre de
mesures techniques et organisationnelles appropriées, de manière
à ce que le traitement réponde aux exigences du RGPD et
garantisse la protection des droits de la personne concernée. Le
contrat de prestation de services constitue le support naturel
pour définir les droits et obligations du sous-traitant ; parmi
les clauses obligatoires relatives au RGPD, figure une rubrique
dédiée aux mesures de sécurité appropriées mises en œuvre.
Précisons que les parties peuvent aussi décider de faire
application soit d’un code de conduite approuvé, soit d’une
certification.
Ces différents outils serviront à démontrer le respect des
exigences du RGPD, sur le volet sécurité.
C’est d’ailleurs sur ce terrain que le changement de curseur
apporté par le RGPD est fondamental.
Le principe retenu repose sur le concept d’accountability,
autrement dit la responsabilité de respecter les exigences du
RGPD et l’obligation d’être à tout moment en mesure de démontrer
son respect effectif.
Concrètement, la charge de la preuve incombera au responsable du
traitement et à son sous-traitant éventuel.
Cela conduit à une logique de gestion de la conformité très
rigoureuse.
Celle-ci paraît d’autant plus inconfortable qu’il ne sera plus
possible de bénéficier du « filet de sécurité » que représentait
le formalisme des déclarations simplifiées ou autorisations
auprès de la CNIL, ces procédures ayant vocation à
disparaître.
L’entreprise opèrera donc ses choix en matière de protection des
données personnelles, sous sa propre et entière responsabilité, à
charge pour elle de justifier ses arbitrages.
Le caractère suffisant ou non des mesures sera laissé à
l’appréciation de l’autorité de contrôle (CNIL), ou de la
juridiction saisie en cas de contrôle.
Dans ce cadre, prendre le parti de ne pas appliquer certaines
dispositions du RGPD pourra donc s’avérer risqué, et nécessitera
le cas échéant d’être bien conseillé de manière à bâtir en amont
un dossier argumentaire robuste sur le plan juridique.
Tout l’enjeu est néanmoins d’appliquer correctement le RGPD avec
le niveau de protection le plus élevé possible, sans pour autant
le « surtransposer » de manière systématique, ce qui pourrait
sinon créer des contraintes insurmontables pour les
entreprises.
A ce stade, il est difficile de savoir quel sera le degré de
rigueur d’appréciation qui sera retenu par la CNIL dans le cadre
de ses futurs contrôles. Celle-ci a simplement annoncé
l’application d’une approche graduée en matière de contrôles dans
les premiers mois d’entrée en application du RGPD, compte tenu de
l’état d’avancement général des entreprises dans la mise en
conformité : d’un côté, la conformité aux nouvelles règles
donnera lieu à de la pédagogie (sous réserve de la bonne foi de
l’entreprise), de l’autre en revanche, le respect des principes
fondamentaux -qui préexistaient déjà dans le cadre de la LIL-
sera sanctionné le cas échéant.
Dans ce cadre, la CNIL sera dotée de nouvelles prérogatives, avec
notamment un pouvoir d’amende potentiellement très dissuasif (qui
sera soumis à une exigence de proportionnalité, assortie d’un
droit à un recours juridictionnel effectif – cf. RGPD, art. 83 et
78), ce qui ne constitue qu’une mesure ultime au sein de la
panoplie mise à sa disposition (cf. mise en demeure, rappel à
l’ordre, injonction assortie d’astreinte, limitation, suspension
de flux, saisine du juge des référés en cas d’atteinte grave et
immédiate aux droits ou libertés, etc.).
Au-delà de ces sanctions de nature administrative voire
para-pénales, il faut bien considérer que la violation du RGPD
expose son ou ses auteurs à un risque de plainte auprès de la
CNIL, mais aussi d’action en justice sur le plan civil, voire
pénal en cas d’infraction (cf. notamment C. Pén ., art. 226-16
s.).
Le risque de sanctions en cas de contrôle n’est donc pas le seul
à prendre en compte, bien au contraire, d’autant que plus le
nombre de personnes concernées par un traitement de données est
élevé, plus ce risque de contentieux sera potentiellement élevé
pour l’entité (d’autant qu’il existe ici une procédure d’action
de groupe ouverte à certaines associations ou syndicats – cf.
LIL, art. 43 ter ; CPC, art. 826-2, 5°, et qui va être élargie
aux recours en indemnisation concernant les faits générateurs
postérieurs au 24 mai 2020 –loi sur la protection des données,
art. 25).
Le RGPD énonce ici un principe de responsabilité : « Toute
personne ayant subi un dommage matériel ou moral du fait d'une
violation du présent règlement a le droit d'obtenir du
responsable du traitement ou du sous-traitant réparation du
préjudice subi » (cf. art. 82).
Selon la nature du traitement, les préjudices peuvent être variés
(ce qui doit d’ailleurs être bien appréhendé dans les analyses
d’impact) : discrimination, usurpation d'identité, perte
financière, atteinte à la réputation, exclusion d’un contrat,
etc. L’entreprise doit donc appréhender ces risques externes de
manière désormais beaucoup plus large que la simple question
d’atteinte à la vie privée.
Deux conditions -traditionnelles en droit de la responsabilité-
sont ici posées :
- Une violation du RGPD ;
- Un lien de causalité avec le dommage.
La complexité des relations entre intervenants peut nécessiter de
savoir « qui est responsable de quoi » ? Si le responsable du
traitement a une responsabilité de principe en cas de violation
préjudiciable du RGPD, il est également prévu que le
sous-traitant n'est responsable du dommage causé par le
traitement que s'il n'a pas respecté les obligations spécifiques
des sous-traitants, ou s'il a agi en-dehors ou contrairement aux
instructions licites du responsable du traitement. En cas de
responsabilités partagées, chacun des responsables du traitement
ou des sous-traitants sera tenu responsable in solidum du dommage
dans sa totalité afin de garantir à la victime une réparation
effective, moyennant une action récursoire contre les autres
auteurs.
La responsabilité est fort rigoureuse : en effet, le responsable
du traitement ou son sous-traitant ne peut être exonéré de cette
responsabilité que s'il prouve que le fait qui a provoqué le
dommage ne lui est « nullement imputable », ce qui s’apparente à
l’exigence d’une cause totalement étrangère toujours difficile à
caractériser ...
S’agissant de l’obligation de sécurité prévue par le RGPD, on ne
peut s’empêcher de faire un parallèle avec l’obligation de
sécurité telle qu’elle est appliquée dans le domaine du risque
professionnel (accidents du travail).
Même si le texte n’emploie pas cette formulation -propre au droit
français- cette obligation semble ici très proche d’une
obligation de résultat, dont on connaît bien toute la rigueur
pour les employeurs. A minima s’agit-il d’une obligation de
moyens renforcée, pour laquelle l’entreprise doit démontrer
qu’elle a mis en œuvre tous les moyens pour se conformer aux
exigences essentielles de sécurité du RGPD.
Il appartiendra à la jurisprudence de tracer les frontières de
mise en œuvre de ce nouveau régime de responsabilité :
- Quel est le degré de violation du RGPD nécessaire ?
La lettre du texte semble conduire à considérer qu’une simple carence ou insuffisance (« une violation ») suffirait à caractériser le fait que le traitement viole le RGPD, quel que soit l’objet du manquement (principes fondamentaux, etc.) ou le degré de faute commise (négligence délibérée, etc.).
Sur le plan de la sécurité, la question mérite néanmoins d’être posée dans la mesure où l’article 32 énonce que les garanties de sécurité du traitement dépendent « de l'état des connaissances, des coûts de mise en oeuvre et de la nature, de la portée, du contexte et des finalités du traitement ainsi que des risques, dont le degré de probabilité et de gravité varie, pour les droits et libertés des personnes physiques » ; ces différents critères devraient donc être pris en compte pour apprécier les diligences accomplies.
- Le manquement doit-il être la cause directe et déterminante
du dommage ?
Il est probable que, par analogie avec d’autres régimes de responsabilité, la jurisprudence acceptera au contraire de prendre en compte des causes indirectes dès lors qu’elles ont pu contribuer à la réalisation du dommage.
Face à la montée en puissance de la cybercriminalité organisée et
de plus en plus sophistiquée sur le plan technologique, la
problématique sera par exemple de définir à partir de quand une
cyberattaque extérieure malveillante constitue un fait
exonératoire.
Vu de l’entreprise victime, il serait assez contestable qu’elle
soit considérée comme responsable de plein droit, alors que par
ailleurs, il lui sera fait obligation de notifier l’évènement à
la CNIL dans les 72 heures au plus tard, ainsi qu’aux personnes
concernées en cas de risque élevé pour elles (cf. art. 33), ce
qui peut s’apparenter à une obligation de « se dénoncer ». Cette
nouvelle obligation de « porter à connaissance », très large, ne
peut qu’inciter les personnes concernées à agir au contentieux.
Toutefois, cette procédure vise à permettre de limiter les
risques de dommage pour les personnes, et les diligences à
accomplir dans ce cadre ne préjugent pas de la responsabilité de
l’entreprise (rappelons d’ailleurs le principe du droit à ne pas
s’auto-incriminer).
En tout état de cause, peu de dispositifs vont aussi loin que le
RGPD dans cette logique.
Ces considérations amènent à deux remarques :
- D’une part, la nécessité pour l’entreprise d’être
convenablement assurée contre le cyber risque (ce qui nécessite
toujours la souscription d’un contrat spécifique après étude de
marché car les garanties sont variables d’un organisme assureur à
l’autre) ;
- D’autre part, quel que soit ce filet de couverture
assurantielle, la nécessité de considérer qu’au-delà des
exigences liées à la stricte conformité juridique (qui impose un
important travail de formalisme documentaire et probatoire), la
démarche RGPD vise surtout à garantir une sécurité réelle des
traitements et la protection des données.
Pour les entreprises, il s’agit bien d’appréhender les données personnelles sous l’angle prioritaire de la maîtrise des risques d’exploitation, et pas simplement sur celui de l’ergonomie ou de « l’expérience utilisateur ».
Le chantier du RGPD constitue ainsi l’occasion de muscler sa
sécurité de manière globale, bien au-delà même du champ de la
donnée personnelle, en travaillant sur une meilleure protection
de ses données d’entreprise.
Enfin, l’échéance du 25 mai 2018 ne doit pas induire en erreur :
de la même manière que pour le document unique d’évaluation des
risques, le fait d’avoir par exemple élaboré un registre des
activités de traitement ne préjuge pas de la conformité globale
au RGPD et ne doit pas conduire à considérer que la démarche
serait terminée.
Elle constitue au contraire un processus d’amélioration continue
qui a vocation à irriguer toute la vie de l’entreprise, bien
au-delà du 25 mai 2018 (à l’instar de la démarche de prévention
des risques professionnels en entreprise).