Cette tension est parfaitement illustrée par le conflit récent entre le Gouvernement et la fédération du BTP, qui vient de se solder par un accord.
Il est certain que pour les entreprises non soumises à arrêté de fermeture, continuer à fonctionner constitue un objectif vital, donc légitime.
Il faut en outre s’attendre à ce que de nombreuses entreprises ayant dû suspendre leurs activités soient amenées à devoir les reprendre de manière anticipée si l’autorisation d’activité partielle leur est refusée (sachant que la réduction annoncée des délais d’instruction des demandes risque d’entraîner un important volume de rejet, selon les secteurs concernés … ).
Quoi qu’il en soit, il apparaît que la protection de la santé des travailleurs constitue une condition essentielle et préalable aussi bien à la poursuite qu’à la reprise d’activité.
Pour l’employeur, l’enjeu est triple :
- Sur le plan opérationnel : maîtriser les risques professionnels (l’activité ne peut être raisonnablement reprise ou redémarrée que si le risque est suffisamment maîtrisé) ;
- Sur le plan social : dans un contexte très fortement anxiogène avec un fort effet nocebo amplifié par les médias et réseaux sociaux, la garantie d’une protection effective de la santé et de la sécurité est indispensable pour favoriser l’acceptabilité du travail sur site alors que la majorité des salariés sont confinés à leur domicile, et limiter l’utilisation du droit d’alerte ou de retrait ;
- Sur le plan juridique : il existe un fort enjeu de
responsabilité potentiel sur le plan civil et pénal, et dans un
contexte où la conscience du danger est indiscutable, il faut
retenir comme postulat celui d’une obligation de sécurité/
prévention particulièrement renforcée.
La conformité et l’adéquation des mesures de prévention doit pouvoir être documentée, compte tenu de la panoplie des risques potentiels en cas de manquements, que nous ne détaillerons pas ici.
L’impératif de protection effective de la santé doit donc guider l’action des acteurs au sein de chaque cellule de crise.
Il doit être intégré au cœur du plan de continuité ou de reprise d’activité (PCA).
Sans doute faut-il rappeler qu’en jurisprudence, l’employeur peut
se voir interdire de mettre en œuvre des mesures de
réorganisation lorsqu’elles ont pour effet de compromettre la
santé et/ou la sécurité du personnel. A cet égard, les
considérations économiques ne doivent pas primer sur le droit à
la santé ; à l’inverse, il ne saurait non plus être question de
verser un « salaire de la peur » …
Partant de là, la démarche opérationnelle doit s’appuyer sur les
principes généraux de prévention des risques, en tenant compte du
fait que dans un contexte d’activité en mode dit « dégradé », la
prévention des risques professionnels doit être reconsidérée pour
l’ensemble des risques. Dit autrement, il ne faut pas
s’intéresser uniquement à la question des mesures visant à éviter
la contamination au covid-19, mais également adapter les mesures
au contexte (difficultés d’approvisionnement, effectif limité,
etc.).
Classiquement, il faut appréhender la poursuite ou le redémarrage d’activité sous 3 registres :
1. MESURES ORGANISATIONNELLES
Obligations et bonnes pratiques de sécurité
Préparation et planification des opérations (anticipation)
- Eviter les travaux ou opérations non vitales/ essentielles/ stratégiques, et pour lesquelles la maîtrise des risques ne serait pas assurée (définir l’ordre des priorités) ;
- Eviter les réunions en présentiel ;
- Cartographier l’effectif disponible et gérer la mobilité du personnel en fonction du planning ;
- Bien attribuer les tâches et responsabilités dans le commandement, l’encadrement et l’exécution (« qui fait quoi ? ») ;
- Intégrer le fonctionnel HSE à la cellule de crise ;
- Mettre en place une organisation de la prévention de crise.
Mise à jour de l’évaluation des risques (document unique) pour
chaque unité de travail, par rapport aux nouvelles données de
risques liées au virus et aux contraintes liées aux mesures de
lutte contre sa propagation.
Ex : pour les salariés maintenus en activité, identification
des situations d’exposition, pris en compte des RPS (surcharge de
travail), prise en compte du risque biologique, incidences sur
les autres risques courants, télétravail, etc.
Adaptation permanente du travail en fonction des circonstances et
de la montée en charge progressive.
Ex : plan de déplacements, restauration, durée du travail,
service d’astreintes, reprise des opérations des entreprises
extérieures, etc.
>> Nécessite de tenir compte des règles
d’(auto-)distanciation.
Adaptation des plans de prévention (risques d’interférences avec
entreprises extérieures – coactivité).
Ex : inspections communes de coordination, mise à jour
documentaire, consignes, etc.
Information et consultation du CSE (travail préparatoire + suivi
d’exécution en CSSCT le cas échéant).
>> Attention, les mesures de réorganisation peuvent
constituer un « projet important » d’aménagement des conditions
de travail, de santé ou de sécurité, éligible à l’expertise CSE
;
>> NB : adapter les modalités de réunion (visioconférence
dans les conditions du règlement intérieur), et assurer sinon les
mesures barrières en cas de réunion physique.
Assurer un suivi permanent :
- De l’évolution de l’épidémie (veille réglementaire, sanitaire et médicale) ;
- Des situations de terrain (reporting, dispositif d’alerte, procédures d’urgence) ;
- Liaison avec la médecine du travail et les autorités (NB : les visites de reprise restent prioritaires pour les SST/ seules les actions urgentes en milieu de travail continuent d’être réalisables).
Points de vigilance
Ne pas occulter les risques habituels, qui peuvent être aussi impactés.
Veiller à une coopération/ coordination fluide et efficace avec les prestataires et clients.
Preuves >> Attention à bien documenter au fil de l’eau les diligences prises (décisions et mise en œuvre).
2. MESURES TECHNIQUES
Obligations et bonnes pratiques de sécurité
Prévention primaire (mesure d’évitement des risques et des situations d’exposition).
Mise en place de dispositifs de protection collective
(prioritaire).
Ex : écrans de protection (caisses), périmètres de sécurité
(cf. zones de courtoisie, limitation des possibilités de
regroupement, promiscuité, contacts physiques, espaces confinés,
adaptation des zones de travail), etc.
Renfort avec mise à disposition d’EPI adaptés (qualitatif/
quantitatif).
Ex : masques, lunettes, blouse et gants lorsque c’est adapté,
solutions hydro-alcooliques
>> Attention à renouveler les stocks (approvisionnement =
point critique).
Mise à disposition de matériel de désinfection des surfaces et véhicules.
Mise à disposition des moyens d’hygiène nécessaires.
Ex : salariés itinérants, en chantiers extérieurs, etc.
Points de
vigilance
Attention :
- Au respect des règles en matière de protection des données de
santé à caractère personnel (RGPD/ loi informatique et
libertés).
Ex : collecte, exploitation, etc. - Au principe de non-discrimination en raison de l’état de
santé.
Ex : mesures de réaffectation, de dépistage (appel des numéros verts ou du médecin selon le cas de suspicion), etc.
>> A noter toutefois que l'article L1132-1 du Code du travail ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée.
3. MESURES SUR LE PLAN HUMAIN
Obligations et bonnes pratiques de sécurité
Affichage des recommandations sanitaires (mesures « barrière »).
Formation à la prévention du risque biologique.
Démonstration sur l’utilisation des équipements et les bonnes
pratiques.
Ex : manipulation de fonds/ documents, prêt de matériel,
limitation des contacts (durée/ proximité), etc.
Information et diffusion des consignes.
Ex : gestes et pratiques à éviter, modalités du travail en
équipes, méthodes et modes opératoires adaptés (désinfection,
livraisons, trajets, accueil et relations avec le public, gestion
des incidents, gestiond es déchets, etc.).
Mise à disposition de la documentation nécessaire.
Ex : Mise à jour du DU, notices fabricant, etc.
Remise de l’attestation employeur pour l’accomplissement des déplacements professionnels (hors télétravail).
Suivi médical des salariés en lien avec la médecine du
travail.
Ex : malades, contaminés, à haut risque, avec réserves
d’aptitude.
Mesure de confinement et de désinfection le cas échéant.
Sensibiliser et rassurer le personnel mobilisé (communication
collective et individuelle)
Cf. Rappel sur l’efficacité des mesures barrière et la
responsabilité individuelle dans leur application.
Points de vigilance
Eviter le travail isolé lorsque c’est possible.
Contrôle sur le terrain de la bonne application des règles
>> Attention aux risques liés au facteur humain (biais
comportementaux).
Ex : psychose, excès de confiance, désinvolture, barrière de
la langue, inexpérience.
Rappels de « citoyenneté » à l’attention des salariés :
- Le salarié est légalement tenu d’une obligation de vigilance (C. Trav., L4122-1) ? A ce titre, il y a lieu de considérer qu’il doit se déclarer à l’employeur en cas de symptômes, après avis médical ;
- Le droit de retrait, lorsqu’il est justifié (ce qui n’est pas automatique du simple fait de l’épidémie), ne doit pas s’exercer dans des conditions de nature à créer un danger grave et imminent pour les tiers dans l’environnement de travail (C. Trav., L4132-1).
Il est finalement assez paradoxal de relever que la thématique « hygiène » a quasiment disparu du champ lexical du Code du travail suite aux ordonnances Macron, alors qu’elle constitue une des clés de sortie de l’épidémie de covid-19.
Pour autant, si la conformité des pratiques aux mesures « barrières » imposées par les autorités sanitaires est indispensable, elle n’est pas totalement suffisante pour dégager l’employeur de sa responsabilité ; il faut pouvoir démontrer que tous les moyens adaptés ont bien été mis en œuvre pour prévenir les risques.