Sandro De Gasparo : Ergonome et associé à
OMNIA intervention ergonomique
Laurent Van Belleghem : Ergonome et associé
à OMNIA intervention ergonomique
Professeur associé à la Chaire d’Ergonomie du CNAM
Vers un guide de recours à un intervenant
En octobre 2010, la cellule « RPS » de la Direction
Générale du Travail (DGT) réunit une quarantaine de cabinets de
conseil intervenant sur les risques psychosociaux.
L’objectif est de cadrer les méthodes d’intervention des cabinets
dans un marché qui se diversifie vers des approches parfois très
éloignées des principes généraux de la prévention des risques
professionnels (naturothérapie, sophrologie, scientologie…).
Suivant un choix politique du ministère de ne pas passer par une
réglementation ou une labellisation, mais plutôt par une
négociation entre acteurs sociaux (intervenants, organisations
syndicales, employeurs…), la DGT propose de rédiger un « guide de
recours à un intervenant en RPS » qui sera présenté pour
validation aux cabinets de conseil ainsi qu’aux autres acteurs
sociaux avant d’être diffusé plus largement vers les entreprises
potentiellement demandeuses.
Pour rédiger ce guide, un groupe de travail restreint est
constitué par la DGT autour de cinq cabinets qu’elle a jugés
représentatifs de différentes approches : TECHNOLOGIA, VTE,
STIMULUS, PSYA et OMNIA, ce dernier représentant le point de vue
de l’ergonomie. L’ANACT et l’INRS participent aussi à ce
groupe.
Conscients que ce travail de réflexion et de rédaction engage les
structures de conseil en ergonomie, mais plus largement la
communauté ergonomique, nous souhaitons, en accord et avec le
soutien du Conseil d’Administration (le présent texte a été
discuté et validé pour publication dans sa séance du 13 avril
2011) de la Société d’Ergonomie de Langue Française – SELF
(http://www.ergonomie-self.org), rendre compte des
résultats obtenus et préciser le point de vue qui a été le nôtre.
Ce compte-rendu est d’autant plus nécessaire qu’une confusion est entretenue dans plusieurs médias entre ce groupe de travail restreint mis en place par la DGT et un groupe de cabinets-conseils (ARTELIE CONSEIL, CAPITAL SANTE, IAPR, IFAS, PSYA et STIMULUS) à l’origine de la création de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (FIRPS) en novembre 2010, dont l’annonce à la DGT a été concomitante à la présentation du projet de guide ! Il nous semble que ces deux événements doivent être clairement séparés, et dans leur origine et dans leur raison d’être. Ils devront l’être aussi dans leurs développements à venir. Cela nous incite à rappeler ici les enjeux et le contenu de la réflexion menée sur le projet de guide, qui apparaît souvent en second plan dans les médias alors que son usage à venir, s’il est prometteur, reste encore à construire.
Des engagements pour une intervention
concertée
Le guide s’est construit autour d’un rappel du cadre général de
la prévention des risques professionnels, d’un ensemble
d’engagements (de l’entreprise faisant appel à un prestataire
comme de l’intervenant qui y répond) et de la définition des
étapes essentielles à la construction d’une intervention en
prévention des risques psychosociaux, de l’appel d’offres
jusqu’au plan d’actions et le bilan d’intervention, en passant
par les phases de pré-diagnostic (travail sur les indicateurs) et
de diagnostic (évaluation des risques).
Plusieurs métiers et plusieurs points de vue sur la problématique
des RPS étaient présents dans le groupe de travail, ce qui a
rendu le débat riche et animé, s’appuyant sur la controverse et
la confrontation entre compétences diverses (psychiatrie,
économie, sociologie, psychologie, ergonomie…) et d’expériences
issues de différentes pratiques (grandes vs petites entreprises,
prévention primaire vs prévention tertiaire, cabinets
« spécialisés » vs cabinets généralistes, etc.). Les
échanges ont permis de saisir que face à une problématique aussi
complexe, touchant le coeur même des systèmes de travail et de
l’engagement des salariés dans leur activité, la prudence et la
rigueur doivent être de mise dans la manière d’apporter une
réponse aux demandes ciblant les « RPS ».
Malgré ces différences (et sans doute grâce à elles), un certain
nombre de grands principes ont pu être actés, que nous formulons
de la façon suivante :
- inscrire l’appel à un prestataire externe dans une dynamique de
projet et une politique de prévention portées en interne par les
responsables de l’entreprise ;
- prioriser la prévention primaire tournée vers l’analyse et la
transformation des situations de travail et de leurs déterminants
organisationnels, dans le respect du principe général de
l’adaptation du travail à l’homme ;
- reconnaître le dialogue social (entre direction et instances
représentatives du personnel) et la démarche participative (du
plus grand nombre de salariés) comme des ressorts essentiels de
la démarche, tant dans l’implication des acteurs aux différentes
étapes de l’intervention (information, expression, proposition,
validation, formation) que dans la perspective de nourrir le
débat interne autour des enjeux du travail ;
- privilégier une approche « stratégique », et non
seulement sanitaire, de la prévention, en plaçant « ce qui
se joue » dans le travail au centre de l’analyse des
situations à risque : l’historique de l’entreprise et
l’émergence de la problématique RPS (en lien avec les changements
du travail), l’organisation du travail, ses exigences (en termes
d’autonomie, de marges de manœuvre) et sa gestion (management),
les indicateurs des effets de l’activité sur la performance et
sur la santé, etc. ;
- accorder de l’importance moins à telle ou telle méthode
d’investigation qu’à la rigueur et à la pertinence de leur
utilisation au regard de la demande et du contexte
d’intervention, en articulant outils quantitatifs (échelles de
mesure et questionnaires ad hoc) et outils qualitatifs
(entretiens individuels et/ou collectifs, observation de
situations de travail), en prenant en compte l’expérience des
salariés en situation réelle d’activité.
En tant que fruit d’un débat pluridisciplinaire, le texte final
(celui-ci a été présenté aux cabinets-conseils en janvier 2011 à
la DGT. Il suit actuellement un parcours de relecture et de
validation auprès des instances ministérielles concernées et des
partenaires sociaux) nous semble un outil utile et opérationnel
pour aider les acteurs de l’entreprise à s’entendre sur un projet
de prévention, fixer des règles générales d’intervention et
accompagner l’élaboration d’une première demande
d’intervention.
Au-delà de cette base de travail commune et partagée, c’est au
métier de chaque intervenant de savoir proposer une réponse
adéquate.
Un positionnement métier à tenir
Du point de vue de l’ergonomie, les éléments suivants nous
semblent devoir être retenus :
- Les « risques psychosociaux » ne doivent pas
représenter un filtre a priori sur le travail et ce qu’il
recouvre. La reformulation de la demande doit être rappelée, ici,
comme une composante (et une compétence) fondamentale du métier,
qui doit contribuer à redéfinir et orienter la problématique
(toujours singulière) de l’entreprise. Autrement dit, il s’agit
de répondre à des demandes, non d’occuper un marché.
- L’attachement des ergonomes à un certain « regard »
(i.e. « passer par le travail », cf. communiqué
(http://www.ergonomie-self.org/media/media44332.pdf)
de la SELF sur les RPS) face à différentes problématiques du
travail (qu’il s’agisse de prévention des risques professionnels,
de conception de situations de travail, de gestion des
« ressources » humaines, de contribution aux modèles
économiques du travail…) fonde une communauté de métier qui ne
peut se laisser enfermer dans des spécialités. Ce
« regard » passe par l’observation des situations
d’activité et l’analyse du travail réel, y compris pour les
demandes ciblant les RPS. L’ergonomie doit poursuivre sa
contribution théorique et méthodologique pour savoir y
répondre.
- Le passage par l’analyse du travail réel amène toujours à en
comprendre et en mesurer la valeur, dans le double registre de
l’économie de l’entreprise et de l’économie subjective des
salariés. De ce point de vue, il est utile de rappeler que le
« psychosocial » n’est pas un risque ! Au
contraire, la dimension psychosociale, présente dans toute
situation de travail et de vie, est avant tout une ressource
permettant de fabriquer, de créer et d’innover. C’est lorsqu’elle
est malmenée ou insuffisamment valorisée dans des pratiques de
gestion quotidiennes qu’elle s’en trouve affectée, générant alors
des troubles psychosociaux (côté individus) et du
« trouble » dans les indicateurs de résultats (côté
entreprise). Selon nous, le rôle de l’ergonomie en prévention
consiste avant tout à redonner de la valeur au travail et à
préserver les conditions d’engagement des salariés dont celle-ci
dépend. C’est un enjeu de métier.
Ce positionnement de métier nous paraît compatible avec le contenu du guide qui définit un socle méthodologique partagé sur lequel peut se déployer une pratique d’intervention, c’est-à-dire une manière de travailler « ce qui fait problème » dans l’expression d’une demande et d’aider les acteurs de l’entreprise à retrouver des possibilités d’agir sur le réel du travail. Nous pensons que d’autres professionnels de l’intervention, issus d’autres champs disciplinaires que le nôtre, mais partageant le principe de pluridisciplinarité en prévention, pourront trouver dans ce guide le cadre pour nourrir une approche centrée sur le métier.
Pour cette raison, il nous semble important de rester attentifs
aux suites qui seront données au guide pour qu’il reste une
référence commune à tous les intervenants de la prévention
attachés à la défense d’un métier, qu’ils choisissent ou non
d’adhérer à la FIRPS ou à tout autre regroupement légitime
attaché à la défense d’un marché. Nous invitons les autres corps
de métiers à y être vigilants autant que nous le serons pour
l’ergonomie.
Plus d’infos : http://www.ergonomie-self.org