Le Fonds national de prévention soutient activement collectivités, établissements de santé et SDIS dans leurs démarches de prévention des addictions. Les quelques initiatives présentées ici permettent d’apprécier la diversité des actions menées, notamment face aux conséquences liées à l'alcoolisation sur le lieu de travail et aux consommations à risques.
« En matière de prévention des consommations à risques, je pense qu'il est important d'aborder le sujet de façon globale en travaillant conjointement avec l’ensemble des acteurs, tout en veillant à éviter la stigmatisation », explique Arnaud Devin, chef de pôle adjoint chargé de l'hygiène, de la sécurité, de l’environnement et des conditions de travail au service départemental d'incendie et de secours du Nord.
Dès 2004, le SDIS 59 (environ 6 500 agents : 4000 SPV, 2000 SPP et 500 personnels administratifs techniques spécialisés) a entamé une première démarche initiée par son service de santé et de secours médical (SSSM). Mais les actions de prévention et de sensibilisation menées à cette époque n'ont pas donné entière satisfaction : « elles étaient réalisées par le SSSM qui est également chargé d'effectuer les visites médicales annuelles d'aptitude des sapeurs-pompiers. Ce double rôle a certainement freiné l'adhésion des pompiers qui se sont montrés réticents à aborder leurs difficultés éventuelles avec les substances psychoactives, au risque de se voir interdits d'interventions ou déclarés inaptes aux fonctions de sapeurs-pompiers», se souvient Arnaud Devin.
Aussi, en 2007, le SDIS 59 met en place un partenariat avec une
antenne locale de l'Association Nationale de Prévention en
Alcoologie et Addictologie (ANPAA) afin de réaliser un plan de
sensibilisation de l'ensemble du personnel.
Bilan : 23 réunions d'information organisées en 2007 et en
2008, auxquelles s'ajoutent la diffusion de notes internes,
d'affiches et la rédaction d'articles dans le journal interne.
Le travail se poursuit l'année suivante avec l'élaboration d'un
plan de prévention sur les addictions.
« Dans le prolongement de la réalisation du document
unique d'évaluation des risques professionnels, les instances du
SDIS 59 ont souhaité développer une démarche et des outils sur le
thème de la prévention des consommations à risques. Aujourd'hui,
les membres du CHS ont bénéficié d’une formation sur les risques
liés à l’addiction aux substances psycho actives, en particulier
sur le lieu de travail et nous avons procédé à la refonte de
notre règlement intérieur qui inclut un protocole de conduites à
tenir », témoigne Arnaud Devin. Conçu à la fois comme
un document d’information, d’action et de prévention, celui-ci
est devenu la référence interne pour prévenir et traiter les
situations à risques provoquées par la consommation aiguë ou
chronique d’alcool, de drogues ou de médicaments. Ce règlement
intérieur a été élaboré par un groupe de travail paritaire
composé de membres du CHS (représentants du personnel et de la
direction) et du Comité Consultatif Départemental des
Sapeurs-Pompiers Volontaires (CCDSPV), de personnels des centres
de secours et il a fait l’objet d’un examen attentif de la part
des services juridiques. Celui-ci a finalement été présenté aux
différentes instances consultatives et décisionnelles du SDIS
(CHS, CTP, conseil d’administration). La formation au protocole à
tenir de l’ensemble de l’encadrement du SDIS est programmée en
2012.
Le SDIS a par ailleurs remis à chaque agent un livret individuel
consacré à la prévention des consommations à risques. Au sommaire
de ce livret d’informations, on trouve des définitions de
l'alcoolémie, de l’addiction ; des chiffres, les effets sur
l’organisme des substances psychoactives, la réglementation et
enfin un quizz.
Enfin, une affiche de sensibilisation au risque alcool et des
éthylotests ont été remis dans les différents sites du SDIS du
Nord.
Gérer les situations à risques
Comme le SDIS 59, la commune de Rive-de-Gier (Loire, 15 000 habitants, 300 agents) a fait le choix de la participation pour élaborer et mettre en œuvre des actions en faveur de la prévention des conduites addictives. « Le CHS a demandé la mise en place d'un groupe de pilotage chargé des questions liées aux addictions », explique Djamal Benzeghiba agent chargé de la mise en œuvre des actions de prévention (ACMO). Ce groupe, composé d’un élu en charge du personnel, d’un représentant de chaque syndicat, de l’ACMO, du médecin du travail, de l’ACFI et des chefs de service concernés, a élaboré un règlement intérieur relatif à la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Par ailleurs, ce ‘groupe addiction’ décide également de formations ou sensibilisation et prévention à mettre en place avec l'appui d'associations spécialisées. Le groupe a également défini un protocole d'intervention en cas de situation de crise.
Présenté sous forme de fiches pratiques, le protocole identifie les différentes décisions à prendre et les démarches à effectuer en fonction de l'état d'un agent alcoolisé :
- Observation et analyse de la situation (état d’excitation, agitation agressivité, équilibre, somnolence…),
- Évaluation du danger pour l'agent et son entourage,
- Protection de l'agent (dialogue, isolement éventuel, sécurisation du périmètre de crise…),
- Cessation de la situation de danger (retrait de l'agent de son poste),
- Information de la hiérarchie,
- Intervention médicale, si nécessaire (médecins locaux, médecin du travail, pompiers, SAMU),
- Organisation du départ de l'agent de son lieu de travail,
- Traçabilité de l'événement,
- Évaluation post-crise.
En plus de la gestion des situations de crise, le ‘groupe addiction’ a élaboré un document spécifique sur la gestion des pots et des manifestations de convivialité organisées par un agent. Pour Djamal Benzeghiba, l'enjeu consiste à trouver le bon équilibre entre le maintien d'une forme de convivialité sur le lieu de travail et une bonne gestion des risques, « Heureusement, les mentalités évoluent et tous les pots se font sans alcools forts. Seuls les cocktails légèrement alcoolisés et les boissons non alcoolisées sont autorisés. Par ailleurs, par mesure de prévention, des éthylotests sont mis à disposition des agents. »
Prévention, orientation et accompagnement
La mairie de Mantes-la-Ville (Yvelines, 19 000 habitants, 420 agents) a, elle aussi, mis en place un groupe de travail ‘alcool’. Véritable relais d’information et de sensibilisation entre les opérationnels et les décisionnels de la collectivité, sa principale mission consiste à veiller à la bonne organisation et à la gestion des actions de terrain proposées au sein de la collectivité en matière de prévention des conduites addictives. « Dans le cadre de ses obligations légales en matière de prévention, de sécurité et de santé des agents, la ville s'est notamment dotée d'un règlement alcool » précise André Lutman, agent chargé de la mise en œuvre des actions de prévention (ACMO). La collectivité a également édité, en 2011, un guide pratique sur la prévention des addictions. Objectifs : informer l'ensemble des agents sur les risques liés aux addictions dans les situations de travail et dans la conduite des véhicules, mais aussi prévenir plus précocement ces risques. Des réunions de sensibilisation du personnel ont également eu lieu. Plus de 300 agents y ont déjà participé et des formations réalisées par un addictologue ont été dispensées auprès du personnel d'encadrement et de ‘relais alcool’ auprès du personnel. « Nous avons également fait appel à un prestataire pour identifier les structures locales spécialisées dans la prise en charge des situations d'addiction. Cette étape permet à la collectivité de mieux identifier les partenaires extérieurs, de faciliter l'orientation des agents vers une prise en charge adaptée, de mieux gérer les risques de rechutes et de préparer l’agent à son retour au travail », ajoute André Lutman.
La prévention à l'hôpital
Les établissements hospitaliers mènent également des initiatives
dans le domaine de la prévention des addictions. Là encore, le
choix d'une démarche projet associant largement le personnel a
été privilégié. C'est le cas, par exemple, du centre hospitalier
de Berck (Pas-de-Calais, 340 agents). « Notre démarche de
prévention des addictions s’inscrit dans le cadre du Programme
annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration
des conditions de travail (PAPRIPACT) », explique Brigitte
Martel, directrice de l'hôpital maritime. Un plan d’action a été
défini avec l’ANPAA 62 en juin 2009 qui repose sur trois
leviers : la sensibilisation (information, formation…), la
réglementation (élaboration d'un protocole de conduite à tenir
face à un agent alcoolisé et modification du règlement intérieur)
et l'aide avec la mise en place d’un groupe relais, avec des
référents addiction et un accompagnement des agents après leur
retour au travail.
Pour Brigitte Martel, la démarche entreprise depuis 2007 a permis
de faire évoluer les mentalités : « même si l'alcool au
travail reste encore un sujet tabou sur lequel il est difficile
de lever le voile, on peut désormais l'aborder autrement que sous
l'angle disciplinaire ».
Un constat partagé par Michel Thiriet, directeur du Centre hospitalier Gérard Marchant (1 880 agents) implanté à Toulouse : « la consommation d'alcool dans un lieu dédié aux soins est déjà un sujet difficile à aborder. Ça l'est d'autant plus dans un établissement psychiatrique où le personnel est en charge d'un public souvent confronté à l'addiction. La notion de culpabilité est davantage présente chez les agents concernés ». Depuis plusieurs années, le centre hospitalier décline un ensemble de mesures élaborées dans le cadre d'un plan d'action sur la prévention des conduites addictives.
La formation du personnel encadrant et du CHSCT constitue une des
étapes clés du plan. 70 cadres par groupe de 15 à raison de 5
jours/groupe ont reçu un matériel théorique et pratique complet
leur permettant de :
- développer des connaissances et porter un autre regard sur le
risque alcool, la personne alcool dépendante, l’alcool au
travail, la loi,
- évaluer et limiter les facteurs de risques d’alcoolisation dans
leur service,
- développer et utiliser un dispositif collaboratif d’action et
de soutien face à une situation d’alcoolisation aiguë ou
chronique au poste de travail,
- conduire un entretien et une relation professionnelle suivie
dans le cadre du dispositif de soutien,
- orienter une personne en difficulté avec l’alcool vers la
médecine du travail.
« Si les situations à problèmes sont désormais mieux régulées grâce aux différentes actions que nous avons mises en place, la nouvelle gouvernance de l'hôpital nous oblige à démultiplier nos efforts en la matière. Pour réussir, Il faut que les démarches de prévention soient véritablement intégrées par les agents au niveau des services et de pôles », estime Michel Thiriet.
Principales étapes de la démarche
- Prédiagnostic
Cette étape permet de réaliser un état des lieux, de repérer les pistes d’amélioration et de les tester.
- Diagnostic
Cette étape en appui sur les résultats de la précédente conduit à l’élaboration du plan d’action.
- Formation action de l’encadrement (cadres de proximité et cadres).
- Mise en œuvre des autres actions (groupes relais notamment).
- Évaluation.
Addiction et réglementation - Guy BARATHIEU, juriste
« Pour assurer la sécurité au travail au sein d'une
collectivité ou d'un établissement, les mesures à prendre
relèvent non seulement du règlement intérieur et des consignes
dans le respect des libertés individuelles et collectives, mais
aussi d’un dispositif de prévention basé sur l’information, la
sensibilisation et la pédagogie », précise Guy
Barathieu, maître de conférences de droit à l'Institut de la
Promotion Supérieure du Travail de Toulouse (IPST-Cnam).
« Si la réglementation de base relève du Code du travail, on
assiste aujourd'hui, dans les jugements des tribunaux sur les
affaires liées à l’alcool, à un élargissement du champ de la
responsabilité », estime le juriste.
Il s'agit non seulement de la responsabilité pénale du chef
d’établissement ou du chef de service, de l’établissement ou de
la collectivité en tant que personne morale et de celle des
agents, le cas échéant, mais aussi de la responsabilité
administrative du service marquée par l’obligation de résultat et
aux conséquences financières qui peuvent être très lourdes
pour ne pas avoir pris les mesures de prévention nécessaires et
adaptées. Devant un accident de service ayant pour origine un
état d’ivresse manifeste ou une conduite addictive connue par ses
effets, l'appréciation de la responsabilité pénale de l’entourage
peut être relevée pour « non-assistance à personne en
danger » et celle de l’encadrement et des organisateurs pour
imprudence, négligence ou inobservation des règlements : ici le
« défaut de diligences normales » est apprécié par le
tribunal sur la base de critères relatifs à l’autorité qu’avait
et n’a pas exercée la personne en cause, à sa compétence, aux
moyens disponibles et à la nature de la mission à remplir en
tenant compte de ses difficultés éventuelles.
En pratique, ce qui est plus particulièrement regardé par le juge
dans la recherche des manquements éventuels va porter
principalement sur :
- L'organisation du travail et des activités en lien avec le
service prenant en compte ou non les exigences de la prévention,
de la santé et de la sécurité,
- L'évaluation des risques au travail et en lien avec le
travail,
- Le plan des actions de prévention correspondantes,
- Le respect des réglementations de sécurité applicables,
- La définition des tâches, procédures et consignes,
- L’information et la formation à la sécurité des agents,
- Le suivi et le contrôle de l’application effective des mesures
de prévention par les organisateurs et l’encadrement.
Pour Guy Barathieu, l’intérêt croissant porté à la mise en œuvre des mesures préventives, mais aussi la crainte de sanctions pénales et le coût croissant de la réparation, ont fait évoluer les comportements au travail face aux risques. On le voit, par exemple en matière de prévention du risque alcool au travail, avec le développement d’actions qui ne se limitent pas à l’édiction de règlements intérieurs mais qui sont de plus en plus souvent déclinés sous forme de chartes concertées recherchant par là l’efficacité plus par l’adhésion à un dispositif que par la contrainte ; les manifestions de convivialité dans le cadre professionnel intègrent ainsi la prévention dans l’organisation : nature et quantité des boissons, suivi du déroulement de l’activité, transports et moyens d'accompagnement en cas de besoin… .
Bertrand Fauquenot, chargé de formation externe à l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA).
CNRACL - Quel est le rôle de l'ANPAA ?
Bertrand Fauquenot - Notre association couvre
l'ensemble des addictions : alcool, tabac, drogues illicites
et médicaments psychotropes, pratiques de jeu excessives et
autres addictions sans produit. Les missions de l'ANPAA
s'inscrivent dans un continuum allant de la prévention et de
l'intervention précoce à la réduction des risques, aux soins et à
l'accompagnement. Pour assurer ses différentes missions,
l'association dispose d'un important maillage territorial avec
plus de nombreuses équipes de prévention et 78 CSAPA (Centres de
Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie). En
matière de Prévention des Risques Professionnels, l'association
assure des missions de sensibilisation, de formation, de conseil
et d'accompagnement auprès d'entreprises, de collectivités ou de
centres hospitaliers.
CNRACL - Avez-vous perçu des évolutions sur la prise en
compte des phénomènes d'addiction dans le milieu
professionnel ?
B.F. - Il y a quelques années, nous étions
essentiellement sollicités par les médecins de prévention ou les
CHS pour organiser des interventions et des actions de prévention
au sein des collectivités ou des établissements hospitaliers.
Aujourd'hui, les responsables du personnel - DRH et DGS - font
davantage appel à nos services. Cette évolution s'explique par
une meilleure prise en compte des conduites addictives sur le
lieu de travail et par le renforcement des obligations des
employeurs dans le domaine de la prévention des risques
professionnels. À cet égard, la question de la responsabilité de
l'employeur est devenue une réelle préoccupation. On commence à
voir apparaître une culture "sécurité" autour de ces questions
avec l'apparition de règlements intérieurs, de plans de
prévention propres à ce risque, de protocoles d'accompagnement
des personnes alcoolisées et l'intégration de la consommation de
produits psychotropes illicites parmi les actions de prévention
des addictions. Mais cette évolution s'accompagne parfois d'une
approche plus "sécuritaire", avec une demande fréquente d'outils
de dépistage, notamment pour l'alcool.
CNRACL - Comment aborder la question de l'alcool sur le
lieu de travail ?
B.F. - Lors de nos interventions, nous revenons
d'abord sur les représentations décalées des agents par rapport à
la dangerosité des produits et par rapport aux modes de
consommation. En matière de prévention, un des enjeux essentiels
consiste aussi à ne pas se focaliser sur les consommateurs à
problème et à bien appréhender le contexte local. À travers nos
actions, nous cherchons à nous adresser à l'ensemble du
personnel. Pour l'encadrement, nous insistons sur la nécessité du
dialogue de la part du management en mettant davantage en valeur
son rôle en matière de protection de la santé au travail et de
garant de la sécurité des personnels, même s’il ne faut pas
occulter le pouvoir disciplinaire et les sanctions qui peuvent
s'appliquer.
Le site de l'ANPAA
http://www.anpaa.asso.fr/
Contact :
bfauquenot@anpaa.asso.fr
Les étapes essentielles d’une démarche de prévention des conduites addictives