Quelle définition donneriez-vous de la radicalisation
?
Dans un souci de simplification, je dirais que la radicalisation
touche principalement des individus ou minorités qui cherchent à
imposer, par la violence ou sous la contrainte, leur vision de la
société à des majorités constituées de façon démocratique. La
radicalisation peut être d’ordre politique (mouvements
révolutionnaires ou anarchistes, ultra-gauche,
extrême-droite...), religieuse, mais également d'ordre social
(piquets de grève, occupation d'usines, séquestration des
dirigeants...), sociétal ou environnemental (mouvements
anti-avortement, anti-expérimentations animales, anti-nucléaire,
zadistes...). Enfin, on ne saurait passer sous silence la
radicalisation qui, depuis bien longtemps, s'est invitée dans les
tribunes de supporters des stades de football (hooligans et
autres"ultras"). Si la radicalisation s'exprime, généralement, au
sein de groupes clairement identifiés, on a pu voir, à l'occasion
des derniers attentats, qu'un individu isolé pouvait parfaitement
basculer dans l'action violente, sans jamais avoir attiré
l'attention des services spécialisés.
Peut-on reconnaître un individu qui se radicalise
?
En théorie, oui, il est possible de relever des signes
précurseurs significatifs du basculement d’une personne dans la
radicalisation. On notera, par exemple, une modification
significative de son comportement et de ses rapports envers les
autres, un changement radical ou un durcissement très net de son
discours, allant parfois jusqu’à opérer une transformation de son
apparence physique.
Il existe de multiples causes de radicalisation. Elle peut avoir
pour origine une rupture d'ordre familial, affectif ou social.
Dans les années 90, j'ai été confronté à un cadre qui, à la suite
de son licenciement pour des faits de malversation, n'avait rien
trouvé de mieux que de se présenter au siège de son entreprise,
armé d'un fusil de chasse, et de prendre en otage son PDG,
responsable, selon lui, de sa déchéance sociale et de son
divorce. J'ai vécu la même expérience, quelques années plus tard,
avec un salarié qui , bardé d'une ceinture d'explosifs, avait
menacé de se faire sauter au beau milieu du hall de l'entreprise
s'il n'était pas réintégré.
En matière de terrorisme, on constate aujourd'hui que la
radicalisation touche des individus de plus en plus jeunes, issus
de quartiers défavorisés, en échec scolaire ou en perte de
repères et qui, pour certains, ont été "pris en charge" par des
prêcheurs salafistes radicaux, quand d'autres cédaient aux
sirènes de l'argent facile et de ses trafics en tous genres.
Les derniers attentats ont démontré, à cet égard, qu'il existait
une très grande porosité entre ces différents acteurs.
Que faire quand on repère une personne radicalisée dans
l’entreprise ?
Dans la pratique, les choses sont complexes car nul ne peut
définir avec précision où se situe la frontière entre une
pratique religieuse rigoureuse et une radicalisation préfigurant
un éventuel "passage à l'acte". En cas de changement de
comportement avéré d’un collègue, au sein de l'entreprise, il
convient de faire remonter l’information auprès de la DRH, à
charge pour elle d’alerter la DGSI, non sans avoir pris la peine
de procéder à une enquête interne, aux fins de confirmer ou
d'infirmer les faits qui ont été portés à sa connaissance. Cette
enquête peut parfaitement être confiée à un prestataire
extérieur, peu susceptible de se laisser abuser ou manipuler.
Car, il faut bien se rendre à l'évidence, les services de police
et de justice ont déjà fort à faire avec les milliers d’individus
"signalés"(les désormais célèbres fiches S). D'où la nécessité
impérieuse pour l'entreprise, d'étayer sérieusement ses craintes
avant d'alerter les autorités. Dans ce type d'affaires, comme
dans bien d'autres, une étroite collaboration entre les RH et la
direction juridique est plus que jamais nécessaire.
Quelle solution préconisez-vous pour lutter contre la
radicalisation ?
Comme dans bien des cas, il n'existe pas de remède miracle mais
une "addition de solutions" qui, à défaut d'être mises en oeuvre
sérieusement, confinent à poser des pansements sur des jambes de
bois, avec les succès que nous connaissons. A quoi bon s'évertuer
à déradicaliser des individus si, en parallèle, on ne travaille
pas sur les causes qui ont prévalu à cette radicalisation ? La
première de ces causes, je ne cesse de le crier depuis des
lustres, réside dans cet abyssal déficit éducatif et culturel
dans lequel sont tenus un trop grand nombre d'enfants issus de
populations déshéritées et totalement abandonnés à leur triste
sort : sans éducation, il n'y a d'avenir que pour le terrorisme
et la barbarie. Ce n'est évidemment pas le fait du hasard si, de
Boko Haram à Daesh, en passant par les talibans, sous toutes les
latitudes, les mouvements radicaux mettent le feu aux écoles, aux
collèges, aux lycées et aux universités, kidnappent et violent en
série des jeunes filles qui n'ont commis que le crime de
s'instruire pour échapper à la misère.
Il n'y a pas de meilleur antidote à la radicalisation
que l'éducation. En France, c'est un crime que de laisser sortir
des enfants du système scolaire sans savoir lire, écrire, compter
correctement et de les priver du même coup des outils
indispensables à l'élaboration d'une pensée bien construite. Sans
une étroite collaboration entre les différentes institutions
(Police, Justice ,Education Nationale) jamais aucune société ne
connaîtra de répit face aux phénomènes de radicalisation.
Il y a urgence à ce que l'ensemble des acteurs qui concourent à
l'éducation et à la sécurité de nos concitoyens, secteur privé
inclus, apprennent à travailler ensemble, en dehors de toute
idéologie partisane ou sectaire : c’est à ce prix, et à aucun
autre, que la radicalisation sera vaincue...
L’entreprise est démunie face aux phénomènes de radicalisation
Depuis plusieurs décennies qu’il évolue dans le monde de la sécurité, Daniel Rémy a assisté à l’évolution des problématiques de sûreté en France et dans le monde, et plus particulièrement à la montée des phénomènes de radicalisation, des phénomènes qui, aujourd’hui plus qu'hier encore, visent également les entreprises.Explications.