Quelle a été la genèse du projet
Cassandre ?
Le projet Cassandre est né du constat qu’il manquait, dans
l’ensemble des écrits existants autour du sujet des crises, une
réflexion sur l’émergence des crises et les signaux faibles qui
peuvent la précéder.
Il existe un certain nombre d’études d’experts qui ont observé la
crise à partir de l'évènement déclencheur jusqu’au retour à la
normale. Mais aucune n’a été consacrée à l’avant-crise et les
indices originels et originaux qui peuvent nous alerter sur la
survenance d’une crise. Le projet Cassandre est donc une première
dans l'espace francophone puisqu'il se propose de visiter
l'antichambre de la crise au travers de l'idée de signes
précurseurs...
Le mythe de Cassandre est tout à fait d’actualité lorsque l’on
parle de crise, puisqu’il est symbolique d’une capacité
prédictive qui n’est pas entendue, avec en son cœur :
l'ignorance, l'aveuglement, la surdité. Nous partons en effet
d'une définition de la crise qui, à l'évènement déclencheur (la
crise, la catastrophe), ajoute une dimension processuelle :
la crise est l'aboutissement d'un processus d'accumulation de
fragilités et de dysfonctionnements qui, en atteignant un seuil
d'intolérabilité, génère une rupture. Qui dit accumulation dit un
espace où des informations émergent pour faire comprendre le sens
de ce qui risque d'advenir. C'est dans cette antichambre de la
crise qu'apparaissent ces fameux signaux faibles...
Qui sont les contributeurs sollicités pour participer à
ce projet ?
Nous avons sollicité des spécialistes de la crise,
universitaires, chercheurs, intellectuels, issus d’univers
différents et complémentaires, afin d’ouvrir cette vision
novatrice. Des personnalités reconnues telles qu’Elie Cohen,
Michel Aglietta, Nassim Nicolas Taïeb… se sont volontiers prêtées
au jeu. Des grands témoins également, Corinne Lepage, Didier
Houssin (ancien directeur général de la Santé), Pierre Zémor
(conseiller d'Etat), Pierre Papon (ancien directeur général du
CNRS, président du Forum Endelberg), Alain Bauer (criminologue),
Dominique Bourg (philosophe de l'environnement), Louis Crocq
(médecin général des armées, fondateur des CUMP), Patrick Lagadec
(directeur de recherches à Polytechnique, consultant)… ont
participé au projet. Ainsi que de très nombreux chercheurs,
principalement en sciences humaines et/ou sociales et en sciences
et techniques.
Au total, nous avons eu une trentaine de contributions,
rassemblées dans l’ouvrage « Prévenir les crises »
sous-titré « Ces Cassandres qu'il faut savoir
écouter », paru aux Editions Armand Colin en juin 2013.
Quelle est la question centrale de votre
travail ?
La question qui est posée est de savoir s’il est possible et
souhaitable de repérer les signaux annonciateurs d’une crise, ce
que l’on appelle les signaux faibles.
A partir de cela découle une multitude d’autres questions :
comment entendre et faire comprendre les signaux faibles ?
Quels sont les biais cognitifs et organisationnels qui peuvent en
perturber la perception ? Existe-t-il des outils pour mieux
déceler ces signaux faibles ? …
Nos contributeurs ont proposé à la fois des approches théoriques
très fines mais aussi des visions opérationnelles qui apportent
beaucoup à la compréhension de la genèse des crises.
Qu’apprend-on dans « Prévenir les crises » qui
est donc le premier aboutissement du projet
Cassandre ?
Cet ouvrage n’est pas un manuel opérationnel, entendons-nous
bien. L’objectif est vraiment d’interroger la notion de crise
afin de rendre nos sociétés plus mâtures face aux risques mais
aussi et surtout de susciter l’intérêt d’un public plus large que
les cercles habituels d’experts. Les diverses contributions
posent une base de discussion pour redessiner les contours de
l'étude des crises et proposer aux opérationnels, par exemple les
risk managers, une autre culture du risque.
Elles ont pour vocation d’éveiller la curiosité, d’ouvrir une
vision différente et à 360° sur le monde qui nous entoure et les
crises de plus en plus fortes et fréquentes qui le secouent.
*Christophe Roux-Dufort est professeur agrégé à la Faculté des sciences de l’administration (Département de management) de l’Université de Laval (Québec), chercheur, auteur, conférencier et consultant.