28 janvier 2021. La cour d’appel de Douai vient de rendre une
  décision favorable aux 726 anciens mineurs des Charbonnages de
  Lorraine qui recevront chacun 10 000 euros de dédommagement au
  nom du préjudice d’anxiété. Même dénouement pour les employés de
  la centrale EDF de Porcheville en février. Précédemment, en
  septembre 2020, la cour d’appel de Nancy avait fait de même pour
  les anciens employés de la cristallerie Baccarat.
  Coïncidence du calendrier ? Ou est-ce que quelque chose a changé
  autour de cette notion du préjudice d’anxiété ? Nous avons
  échangé avec Maitre Marie Albertini, spécialisée en santé au
  travail.
  Maitre Marie Albertini, est-ce que les récentes décisions
  de justice font jurisprudence en ce qui concerne le préjudice
  d’anxiété ?
  Le véritable tournant, ce ne sont pas vraiment ces trois
  décisions. Elles sont la conséquence de l’arrêt du 11 septembre
  2019. C’est lui qui est important.
  Avec cet arrêt, le préjudice d’anxiété bascule dans le droit
  commun. Alors qu’il ne concernait à l’origine que l’amiante, il
  est maintenant élargi à toutes les substances novices ou toxiques
  susceptibles d’entrainer une pathologie grave. Par exemple le
  plomb, les poussières de bois, le risque CMR…
  Concrètement, quels sont désormais les critères à réunir
  pour demander une réparation au titre du préjudice d’anxiété
  ?
  Pour qu’il y ait préjudice d’anxiété il faut un risque élevé de
  tomber malade suite à une exposition à des substances
  dangereuses. Il faut qu’il s’agisse d’une pathologie grave comme
  un cancer.
  Le salarié doit aussi apporter la preuve du préjudice car
  l’anxiété ce n’est pas subjectif, cela a des répercussions
  physiologiques. A cela s’ajoute une prescription de deux ans pour
  entamer les démarches.
  Comment fonctionne cette prescription ?
  Le 20 novembre 2020 la cour de cassation a précisé que le point
  de départ du délai (de 2 ans) ne compte qu’à partir du moment où
  le salarié a eu connaissance du risque. Donc quand il a reçu une
  information officielle, par exemple un arrêté de classement du
  site, ou une fiche d’exposition données par l’employeur. S’il n’a
  pas eu cette information, la cour de cassation considère que la
  prescription ne court pas tant que l’exposition dure. Autrement
  dit elle ne commence qu’au moment de la fin de l’exposition au
  risque, soit quand le salarié quitte son poste.
  Au fil des années, le préjudice d’anxiété s’est élargi,
  assoupli. Va-t-on voir de plus en plus de procédures lancées par
  des salariés pour se faire dédommager ?
  Assez curieusement, après les arrêts ayant étendu à toutes les
  substances nocives ou toxiques, nous étions assez inquiets de
  voir un déferlement de demandes de préjudices d’anxiété. Cela ne
  s’est pas encore produit.
  C’est un parcours où il reste quand même quelques embûches même
  s’il a été facilité par la cour de cassation.
  Comment ça ?
  Je crois comprendre que les avocats des salariés considèrent que
  le chemin reste difficile. Ils doivent apporter un certain nombre
  de preuves comme l’exposition au risque, que le risque est élevé
  et susceptible de générer une pathologie grave, et apporter une
  preuve de l’anxiété. Toutes les personnes anxieuses ne vont pas
  systématiquement chez le médecin traitant. Est-ce qu’une
  attestation de l’entourage qui dit que la personne est inquiète
  sera considérée comme suffisante ? A partir de quel moment on
  considère que le risque est élevé ? Qu’est-ce qu’une pathologie
  grave ? Tous ces critères n’ont pas de définition. Et du côté des
  entreprises, que drevont-elles produire pour prouver que toutes
  les mesures qui devaient être prises ont bien été prises ?
  L’avenir nous le dira ?
  Je crois qu’il va falloir encore beaucoup de décisions de justice
  pour que nous parvenions à définir toutes les notions dont nous
  venons de parler.
 
                                         
             
                                     
             
             
             
             
                                     
            