Les nouvelles technologies sont souvent au cœur de la
question de l’équilibre vie privée-vie professionnelle, qu’en
pensez-vous ?
C’est un point de vue que l’on entend effectivement très souvent.
Les nouvelles technologies remettraient en cause les frontières
entre vie privée et vie professionnelle et contribueraient à
l’invasion du travail dans notre sphère personnelle. Pour moi qui
étudie le travail depuis plusieurs dizaines d’années, la question
n’est pas nouvelle, c’est un vieux débat qui est remis au goût du
jour. Ces questions se posaient bien avant internet et les
smartphones. Toutefois, les nouvelles technologies introduisent
d’autres paramètres : la traçabilité, meilleure
quantification, instantanéité.
La diffusion de ces nouvelles techniques bouleverse profondément
nos organisations. Elles peuvent nous faire croire à une
disparition du travail matériel et de tous ses risques. C’est un
prisme qui est trompeur, le travail a seulement changé de forme
mais son impact potentiel sur la santé est toujours présent.
La numérisation et l’automatisation sont de réels progrès
pour le travail, comment peuvent-ils être également porteurs de
risque pour la santé ?
C’est là toute l’ambivalence du progrès au travail.
Effectivement, les nouvelles technologies ont permis de soulager
les efforts, de diminuer la pénibilité mais elles n’ont pas
effacé les contraintes du travail. Ce serait un leurre de le
penser. Les contraintes ont simplement changé de forme. Les
risques professionnels classiques sont toujours présents :
TMS, risques de chutes et s’y ajoutent de nouveaux risques liés
aux nouvelles technologies dont on ne sait pas encore vraiment
cerner les conséquences. Dans l’industrie, la robotique a
complètement transformé le travail des ouvriers, on est passé
d’une économie de production à une économie de la connaissance.
Les préventeurs doivent y être particulièrement attentifs pour
préserver la santé de ces nouveaux « travailleurs de
l’immatériel ». On parle ainsi d’hypersollicitation par
exemple dans les nouvelles formes d’organisation du travail.
Selon vous, ces nouvelles technologies rendraient le
travail invisible. Expliquez-nous
L’exemple des caisses automatiques dans les supermarchés est tout
à fait représentatif de cette évolution. Progressivement les
caisses ont été remplacées par des automates sur lesquels le
client fait lui-même toutes les opérations auparavant réalisées
par les hôtesses de caisse. De ce fait, les hôtesses se sont
transformées en superviseur d’îlots de caisses automatiques. Leur
mission n’est plus du tout la même : elles doivent vérifier
que le système fonctionne, anticiper les dysfonctionnement
éventuels et intervenir en cas de problème. Leur travail n’étant
plus vraiment aussi réel, ces nouvelles hôtesses sont parfois aux
yeux des clients « payées à ne rien faire » ,
voire payées à les surveiller. Une dévalorisation qui peut être
difficile à vivre. La reconnaissance du travail devient beaucoup
plus complexe, les managers ont un rôle important à jouer pour
que le travail sous ses nouvelles formes conserve un sens.
En savoir plus
- Venez échanger avec Jorge Munoz lors de sa conférence « Les ambivalences des bienfaits du progrès au travail » à Préventica Bordeaux le mardi 2 octobre à 13h30