Jorge Munoz - Université de Bretagne Occidentale, LABERS EA 3149 : Les nouvelles technologies contribuent à l’invisibilisation du travail

Les nouvelles technologies contribuent à l’invisibilisation du travail

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Organisation du travail
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23/08/2018
Jorge Munoz - Université de Bretagne Occidentale, LABERS EA 3149
Jorge Munoz
maître de conférences en sociologie
Université de Bretagne Occidentale, LABERS EA 3149

Spécialiste de la santé au travail, Jorge Munoz a mené de nombreux travaux sur les mutations du travail. Dans le cadre d’une conférence à Préventica Bordeaux, il apportera son éclairage sur la question de l’ambivalence du progrès au travail et de l’apport des nouvelles technologies.
Zoom.

Les nouvelles technologies sont souvent au cœur de la question de l’équilibre vie privée-vie professionnelle, qu’en pensez-vous ?
C’est un point de vue que l’on entend effectivement très souvent. Les nouvelles technologies remettraient en cause les frontières entre vie privée et vie professionnelle et contribueraient à l’invasion du travail dans notre sphère personnelle. Pour moi qui étudie le travail depuis plusieurs dizaines d’années, la question n’est pas nouvelle, c’est un vieux débat qui est remis au goût du jour. Ces questions se posaient bien avant internet et les smartphones. Toutefois, les nouvelles technologies introduisent d’autres paramètres : la traçabilité, meilleure quantification, instantanéité.
La diffusion de ces nouvelles techniques bouleverse profondément nos organisations. Elles peuvent nous faire croire à une disparition du travail matériel et de tous ses risques. C’est un prisme qui est trompeur, le travail a seulement changé de forme mais son impact potentiel sur la santé est toujours présent.

La numérisation et l’automatisation sont de réels progrès pour le travail, comment peuvent-ils être également porteurs de risque pour la santé ?
C’est là toute l’ambivalence du progrès au travail.  Effectivement, les nouvelles technologies ont permis de soulager les efforts, de diminuer la pénibilité mais elles n’ont pas effacé les contraintes du travail. Ce serait un leurre de le penser. Les contraintes ont simplement changé de forme. Les risques professionnels classiques sont toujours présents : TMS, risques de chutes et s’y ajoutent de nouveaux risques liés aux nouvelles technologies dont on ne sait pas encore vraiment cerner les conséquences. Dans l’industrie, la robotique a complètement transformé le travail des ouvriers, on est passé d’une économie de production à une économie de la connaissance. Les préventeurs doivent y être particulièrement attentifs pour préserver la santé de ces nouveaux « travailleurs de l’immatériel ». On parle ainsi d’hypersollicitation par exemple dans les nouvelles formes d’organisation du travail.


Selon vous, ces nouvelles technologies rendraient le travail invisible. Expliquez-nous
L’exemple des caisses automatiques dans les supermarchés est tout à fait représentatif de cette évolution. Progressivement les caisses ont été remplacées par des automates sur lesquels le client fait lui-même toutes les opérations auparavant réalisées par les hôtesses de caisse. De ce fait, les hôtesses se sont transformées en superviseur d’îlots de caisses automatiques. Leur mission n’est plus du tout la même : elles doivent vérifier que le système fonctionne, anticiper les dysfonctionnement éventuels et intervenir en cas de problème. Leur travail n’étant plus vraiment aussi réel, ces nouvelles hôtesses sont parfois aux yeux des clients « payées à ne rien faire » , voire payées à les surveiller. Une dévalorisation qui peut être difficile à vivre. La reconnaissance du travail devient beaucoup plus complexe, les managers ont un rôle important à jouer pour que le travail sous ses nouvelles formes conserve un sens.

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