Arturo MAZZOLINI - Valessentia : S’il ne génère pas performance ET bien-être au travail, le lean n’a pas d’avenir

S’il ne génère pas performance ET bien-être au travail, le lean n’a pas d’avenir

|| Conditions de travail
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12/09/2013
Arturo MAZZOLINI - Valessentia
Arturo MAZZOLINI
Consultant et directeur des opérations
Valessentia
Valessentia est un cabinet spécialisé en Lean Management et Excellence Opérationnelle qui a développé une méthodologie tout aussi originale qu’efficace dans ses interventions pour concevoir des organisations d’excellence où productivité et bien-être au travail sont réconciliées. Le lean tel qu’il est compris et appliqué aujourd’hui serait-il devenu « obsolète » ? Entretien avec l’un des fondateurs de Valessentia.

Expliquez-nous d’où est partie l’idée d’aborder l’approche lean autrement ?
Lorsque Jean-Claude Douthe, Jean-François Charuel et moi-même avons fondé Valessentia, nous venions tous trois d’univers industriels avec une expérience approfondie de la mise en œuvre des outils du lean manufacturing. Ce savoir-faire nous a permis dans les années 2000, lorsque le lean n’était pas encore aussi « vulgarisé » qu’aujourd’hui, de fournir à nos clients des résultats significatifs en termes de productivité de l’ordre de 30 à 50% et même plus encore dans certains cas.
Mais parallèlement, nous constations que d’un point de vue des conditions de travail, nos interventions comportaient des effets secondaires en termes de TMS (troubles musculo- squelettiques) synonymes de souffrance chez les salariés.
Economiquement, pour l’entreprise ce qui était gagné en productivité d’un côté était en partie perdu de l’autre en absentéisme, arrêts de travail, baisse de motivation et il ne nous semblait pas éthique d’accroitre la productivité en générant de la souffrance.
A cette époque, les solutions permettant de limiter l’impact sur la santé sans impacter négativement la productivité n’existaient pas ou pouvaient être rejetées par les opérateurs eux-mêmes pour qui, ces solutions sensées apporter de meilleures conditions de travail n’étaient pas « pratiques ».

Lean et bien être au travail sont-ils compatibles ?
Si l’on s’en réfère aux principes fondateurs du lean édictés par Taiichi Ohno,  il est dit peu de choses sur les conditions de travail sinon le concept de Muri (pénibilité) et aucun outil spécifique n’a été développé par Toyota sur le sujet, sinon à se référer aux préconisations de l’ergonomie naissante d’après-guerre.
En outre, on assiste aujourd’hui à une démocratisation du lean qui a ouvert la voie à de nombreuses dérives et erreurs dans la compréhension des concepts et dans leur mise en oeuvre. Des lean practicionners et même des cabinets-conseils ont ainsi mis en place des process lean invalidant fortement la santé des salariés.
Il faut désormais réparer les dégâts pour ces entreprises mais aussi redorer le blason du Lean qui se trouve de fait montré du doigt autant par les employés que les syndicats et les préventeurs.
Par conséquent, il y a en effet une incompatibilité apparente entre lean et bien-être, mais elle n’est pas différente de celle qui, il y a 40 ans affirmait qu’il n’était pas possible de proposer à la fois un haut niveau de qualité et un prix de vente « abordable ».

Est-il vraiment possible d’adapter le lean pour créer des organisations intégrant le Bien-Etre des salariés dans la notion d’Excellence Opérationnelle ?
Nous avons longtemps cherché sans être tout à fait satisfaits des résultats que nous avions obtenus. Le recours à l’ergonomie a certes donné des gains significatifs mais pour nous largement insuffisants. En effet, l’ergonome va chercher à réduire les contraintes du poste de travail telles que le bruit, la disposition des objets au poste, l’effort... mais rien n’est prévu au niveau de l’opérateur et de son comportement qui peut aller jusqu’à « adapter » sa gestuelle à ses besoins et ainsi développer des astreintes préjudiciables pour sa santé.
D’ailleurs, l’approche ergonomique a clairement montré ses limites puisqu’elle n’a pas suffi à elle seule à juguler la croissance exponentielle des TMS en Europe. Il manquait comme une « pièce » dans ce puzzle. Nous l’avons trouvée en rencontrant Gilles Galichet, ergonome et ergomotricien.

Qu’est-ce que l’ergomotricité et quelle place peut-elle prendre dans ce contexte ?
L’ergomotricité permet de compléter l’approche de l’ergonomie en s’intéressant justement à la motricité des individus pour développer une véritable conscience gestuelle capable de trouver, dans toutes les situations qui se présentent, le geste durablement efficace.
La synergie entre nos trois approches : ergonomie, ergomotricité et lean nous a permis de combler les lacunes respectives tout en conservant le positif. Ainsi, l’approche conventionnelle du lean telle que pratiquée encore de nos jours risque de se trouver en déphasage dans une société où l’allongement de la durée du travail et le vieillissement de la population active vont peser fortement sur l’évolution des modèles d’organisations du travail.
L’opinion publique et les états dont les organismes de tutelle de la santé et du travail déjà fortement endettés vont accentuer la pression sur ce point. La dégradation accélérée de la santé au travail sera de moins en moins tolérée et de plus en plus sanctionnée. Déjà, par peur d’amalgame, certaines entreprises ont préféré bannir le mot Lean de leur vocabulaire.

Votre approche semble idéale, mais avez-vous des résultats probants ?
Oui des résultats chiffrés et qui se maintiennent dans la durée. Par exemple, nous sommes intervenus il y a maintenant plus de 5 ans dans un atelier de La Redoute qui traitait des retours d’invendus. 10% des opérateurs de cet atelier avaient des inaptitudes et étaient très souvent absents pour cause de TMS contractés sur ces postes. 18 mois après notre intervention ce taux est tombé à 0 (oui, zéro !) et la productivité individuelle a augmenté de 15 à 35%.
Autre exemple, un atelier de filetage de poissons, filiale du Groupe Intermarché dans lequel les conditions de travail étaient particulièrement difficiles et les TMS impossibles à juguler. 12 mois après, les TMS sont neutralisés, les opérateurs formés à la gestuelle durablement efficace et la productivité a également augmenté évitant ainsi l’investissement dans une autre ligne de filetage.

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