La QVCT et le sens : une question de leadership

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19/09/2022

La récente évolution de la QVT en QVCT met la prévention primaire au cœur des priorités managériales. La QVCT renvoie désormais à la création de sens au travail dans une communauté de pratiques. Il s’agit donc aussi d’une question de leadership.


L’ANI Santé au travail devenu loi en 2021 associé au 4ème Plan de Santé au Travail font évoluer la QVT en QVCT. La prévention primaire est ainsi mise au cœur des priorités managériales et donne une dimension plus stratégique aux sujets de santé au travail : la création de sens au travail dans une communauté de pratiques se révèle alors avec une grande acuité. Or il s’agit aussi d’une question de leadership. 

 

En effet, en 1994, Wilfred H. Drath et Charles J. Palus, deux chercheurs américains du Center for Creative Leadership, ont souhaité repenser le leadership en le considérant différemment de sa forme traditionnelle. Plus qu’un processus d'influence sociale, ils ont préféré considérer le leadership comme un processus de construction de sens social qui se produit dans des groupes de personnes engagées dans une activité commune. Ce changement de perspective est très intéressant pour les questions de santé au travail actuelles. Aussi, que pouvons-nous en retenir ?

Lorsque les individus, membres d’une communauté de pratique, se développent psychologiquement, cela engendre des nouvelles formes de pratique et fait évoluer les structures organisationnelles par la création de sens ainsi généré. D’une logique exclusivement exogène on passe alors à une logique aussi endogène, ce qui est justement ce que recherchent les récentes évolutions en matière de santé au travail.

Reprenons quelques éléments. Tout d’abord, par la loi de 2021, la conception de la qualité de vie au travail évolue en ce sens : d’une logique de meilleures conditions de vie au travail on passe désormais à la QVCT qui interroge les membres de l’organisation dans leur propre rapport au travail. Puisque les questions d’équilibre vie professionnelle - vie privée, la qualité des pratiques managériales y compris sur les questions de genre ou d’handicap, le maintien dans l’emploi et les trajectoires professionnelles, l’organisation du travail dans toutes ses dimensions mais aussi la santé et la sécurité sans oublier la question du sens au / du travail sont désormais aussi examinées avec ce prisme, la prévention primaire n’est plus le domaine réservé des spécialistes de santé au travail associés aux parties prenantes engagées dans les négociations : chaque membre de l’organisation, quel que soit son positionnement dans la structure, peut s’en emparer à titre individuel et en tant qu'être socialement intégré. De là en découle un système d’interactions qui évolue et fait évoluer les pratiques managériales par la capacité de chacun d'adopter le point de vue de l’autre et celle d'engager le dialogue. 

Par ailleurs, cette considération du leadership par la création de sens dans la communauté de pratique est une manière de répondre aux attentes des différents objectifs du PST4. Prenons quelques exemples. Comment en effet développer une culture de prévention (objectif 1) et une approche partagée de la santé (objectif 5) mais aussi travailler à la QVCT (objectif 3) et à la prévention de la désinsertion et de l’usure professionnelles (objectif 4) sans donner à l’ensemble des salariés des éléments qui font sens ?  Comment également renforcer le dialogue social (objectif 8) sans développer un leadership fort basé justement sur cette question du sens ? Comment enfin répondre aux situations de crises (objectif 6) sans créer du sens ?

 

Tout cela suppose toutefois que les managers changent de façon de penser leur responsabilité de créateurs de sens : de récents travaux universitaires montrent en effet que les managers n’ont pas l’obligation de donner du sens au travail de leurs collaborateurs mais plutôt de créer les conditions d’un environnement créateur de sens. La nuance est subtile mais lourde de sens, c’est le cas de le dire.

Pour les chercheurs Sandrine Frémeaux (Ecole de Management Audencia Business School, Nantes) et Benjamin Pavageau, (IAE de Nantes et EM Lyon Business School), il y a 5 composantes du sens au travail spécifiquement liées à l’activité de leadership :

1. L’exemplarité morale : en adoptant des comportements profondément ancrés sur leurs valeurs, les leaders permettent à leurs collaborateurs d’adopter des comportements analogues. Une recherche collective d’excellence morale est ainsi générée.

2. La conscience de soi : assurer la cohérence entre son être profond, ses actes et la manière dont on est perçu est essentiel pour les leaders porteurs de sens au travail

3. L’accompagnement personnel et professionnel : le travail de chaque collaborateur et son épanouissement au travail font l’objet d’une attention régulière de la part de ces leaders.

4. La contribution à l’esprit communautaire : l’implication de ces leaders et leur soutien aux travaux collectifs sont constants.

5. Une attitude positive envers chacun et en toute circonstance : cette attitude d’accueil se traduit par des signes de confiance et de bienveillance envers les autres mais aussi par la croyance que tout problème peut trouver sa ou ses solution(s).

Ces composantes du sens au travail sont essentielles pour les dirigeants, les managers et leurs collaborateurs car elles permettent à chacun de bénéficier d’un environnement créateur de sens, non d’imposer un sens au travail et c’est là toute la subtilité.

 

Dès lors, par cette forme de leadership ainsi exercé (un courant universitaire international le nomme leadership spirituel), ces dirigeants permettent à chacun de pouvoir trouver du sens à leur travail ; ils ne sont pas les créateurs du sens au travail en lui-même mais ils sont les créateurs des conditions qui permettent au sens d’émerger, libre après à chacun de générer ce sens en fonction de ce qu’il est, de ce qu’il fait, de ses propres valeurs et de ses croyances. Chaque collaborateur peut alors non seulement mieux se comprendre en tant qu’individu et en tant qu'être socialement intégré mais également mieux se représenter dans le système d’interactions qui évolue et fait évoluer les pratiques managériales de l’organisation. Il dispose ainsi de meilleures conditions pour se reconnaître comme membre de la communauté de pratique créatrice de sens. Les problématiques liées aux questions de QVCT pourront alors être abordées d’une façon plus inclusive pour les non spécialistes et la prévention primaire mieux s’en porter. 

Cela répondra enfin au besoin de sens qu’a révélé un récent sondage Opinion Way pour l’Anact publié à l’occasion de la Semaine pour la qualité de vie au travail (juin 2022) : si 84% des actifs considèrent avoir un métier porteur de sens au printemps 2022, ils sont pourtant 4 sur 10 à envisager de quitter leur emploi dans les deux ans dans la perspective d’un poste qui aurait plus de sens, ce qui fait ajouter à Richard Abadie, directeur général de l’Anact, « Ce sondage montre également que loin de la représentation d'une quête de sens au travail essentiellement individuelle, répondre à ces inspirations implique des démarches collectives permettant de mieux reconnaître le travail, de le réaliser dans de bonnes conditions, de construire des parcours professionnels pour tous etc. Les démarches QVCT (qualité de vie et des conditions de travail) sont des leviers pour progresser dans ces directions ».

Précisons enfin que le leadership des responsables des questions de santé au travail - dirigeants, représentants du personnel, managers - ne se trouverait alors pas suppléé mais au contraire renforcé par cette création de sens dans la communauté de pratique. Il serait ainsi envisageable de penser que la prévention primaire en sortirait alors peut-être plus développée que par leur seule intervention d’un leadership d’influence sociale. 

En savoir plus :

  • Drath W. H., Palus C. J. (1994), Making Common Sense: Leadership as Meaning-making in a Community of Practice, Center for Creative Leadership. 
  • Frémeaux, S., Pavageau, B. (2022). Meaningful Leadership: How Can Leaders Contribute to Meaningful Work? Journal of Management Inquiry, 1–13, vol. 31(1), 54-66.
  • Sondage Opinion Way pour l’Anact (2022), Les actifs et le sens au travail, Juin, Opinion Way et ANACT.