La QVCT appelle un leadership courageux

MANAGEMENT RH / QVT || Management RH
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05/06/2023

Le passage de la QVT à la QVCT renforce la nécessité d’un leadership marqué par le courage car s’emparer de la prévention primaire, ce qu’impose les évolutions de son cadre structurant (la loi santé de 2021 et le PST 4), suppose justement cette vertu. 


Le courage est très souvent cité comme une qualité essentielle en management et il fait partie intégrante de certaines formes de leadership actuellement très prisées dans les organisations. Souvent synonyme de parler vrai, le courage est néanmoins rarement défini. Il est encore moins associé à la thématique de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Pourtant l’action ciblée sur la prévention primaire que supposent la loi santé de 2021 et le 4ème plan santé au travail (PST4) demande beaucoup de courage aux parties prenantes pour se remettre en question et (ré)interroger les pratiques de travail existantes. Aussi il est nécessaire de définir à quelles réalités le courage renvoie.

 

D’un point de vue universitaire, le courage est mis au cœur de la conception de deux modèles de leadership actuellement très appréciés dans les organisations : celui dit transformationnel et le servant-leadership. 

Le leadership transformationnel est généralement défini comme étant la capacité d’un leader à transformer les énergies déployées par ses collaborateurs de façon à les amener à être plus motivés, tant sur le plan individuel qu'organisationnel, dans l'atteinte des résultats et des objectifs désirés par l’organisation. Or cela ne peut se faire sans courage ni sagesse ou vision. Dès lors, le courage est défini comme étant la capacité à prendre des risques et à persévérer malgré les erreurs. Notons bien qu’il s’agit de persévérance malgré les erreurs et non dans les erreurs. La nuance est subtile mais pourtant fondamentale. Tout travail sur la QCVT s’inscrit donc bien dans cette logique. 

De la même façon, de récentes études spécialisées sur le servant leadership montrent que le courage est une caractéristique fondamentale des leaders serviteurs, au même titre que l’humilité, l’authenticité et l’empathie. Ces travaux montrent également que c’est de cette manière que le servant-leader, qui est celui qui va « au-delà de l’intérêt personnel », va pouvoir aider ses collaborateurs considérés comme ses égaux à grandir. 

Ainsi donc, sans courage, point de leadership transformationnel ou de servant leadership et point de performance. Si ces deux formes de leadership sont d’un point de vue conceptuel assez proches, leur différence fondamentale tient à ce que le leader transformationnel se préoccupe davantage d'amener ses collègues à s'engager et à soutenir les objectifs organisationnels quand le leader serviteur se focalise surtout sur le service qu’il apporte à ses collaborateurs car il a un souci inconditionnel du bien-être de ces personnes qui constituent l'organisation. Ces deux formes de leadership peuvent donc être considérées comme étant complémentaires à bien des égards et tout aussi utiles à la performance et au bien-être et à la qualité de vie au travail de chacun.

La prise à bras-le-corps de la prévention primaire dans la QVCT et plus généralement les questions de bien-être au travail appellent donc à de tels exercices de leadership. Pour autant, à quelles réalités renvoie le courage ? Il est donc temps d’y réfléchir.

 

Définir du courage est difficile tant sa conceptualisation est pluridisciplinaire et protéiforme. Néanmoins, il est établi par le Littré que le courage « est l’ensemble de passions qu’on rapporte au cœur » mais aussi qu’il s’agit d’une disposition d’âme ou un trait de caractère (cf. le CNRTL du CNRS). 

Le détour par quelques conceptions philosophiques permet également de comprendre que le courage :

  • consiste à faire ce qui est juste (Confucius) ;
  • est la résultante d’un acte réfléchi issu d’un apprentissage et l'une des quatre vertus cardinales avec la prudence, la tempérance et la justice (Platon) ;
  • est une activité entre la témérité et la bravoure, entre la peur et l'audace que l'homme dirigé par la vertu (entendue au sens d’habitude volontaire issue d’une démarche intellectuelle) et par les valeurs morales effectue en vue d'accomplir des actions nobles et de défendre ce qui est juste (Aristote) ;
  • est enfin ce qui relève de la passion, de la souffrance devant l’injustice (Descartes).

L’analyse des travaux psychologiques du XXème siècle permet aussi de savoir que le courage est la capacité qu’un individu a, grâce à ses qualités personnelles, à contrôler sa peur lors d’un comportement ou de la prise de décision. Le courage suppose donc notamment un apprentissage, y compris de l’impuissance, le développement de certaines habilités mais également une certaine estime de soi, une motivation, une volonté et une capacité à persévérer.

La QVCT appelle donc à davantage de courage du fait même qu’elle met l’accent sur l’environnement de travail mais aussi et surtout sur les relations que la QVT entretient avec l’ensemble des pratiques de management des organisations. Dès lors, il apparaît pertinent de considérer que travailler à l’amélioration de la QVCT nécessite et engendre une démarche courageuse : sans un engagement guidé par un fort sens de justice, ce qui suppose toutefois un apprentissage, toute démarche afférente à la qualité de vie et des conditions de travail n’est peut-être pas aussi performante qu’elle devrait l’être. 

 

D’ailleurs la littérature en management, ne s’y trompe pas. Qu’il soit généralement abordé comme une qualité, une vertu, un attribut, un trait, un comportement ou une compétence nécessaire pour être efficace dans la direction d’une équipe ou d’une structure, le courage est souvent mobilisé. Les avantages du courage sont multiples selon les travaux universitaires en management ; s’interroger sur ses éventuels apports aux sujets de QVCT est donc judicieux :

  • Le courage est un moyen de résister à l'autorité surtout si elle est abusive et de n’avoir aucun regret. Son intérêt face aux situations de toxicité et de harcèlement est donc réel.
  • Le courage est également une voie pour découvrir ses erreurs (ou celles des autres) et y remédier. La logique d’amélioration continue que continent la QVCT s’en trouve donc renforcée.
  • Le courage est aussi ce qui permet de prendre à bras-le-corps l'incertitude. Les pratiques de management et donc de QVCT étant remises en question depuis les bouleversements issus des confinements Covid-19, le courage est donc essentiel.
  • Le courage est par ailleurs le moyen de protéger les personnes dans le besoin ou fragilisées. Là encore le courage est nécessaire pour prendre en considération les risques psychosociaux et agir au niveau de leurs causes racines.
  • Ce sont enfin souvent les personnes agissant le plus de façon courageuse qui sont susceptibles d’être les moins sensibles au stress mais aussi les plus porteuses d’espoir, de résilience et de positivité. Leur empathie et leur connectivité sociale, sans oublier leur propension à avoir un état d’esprit moral, sont par ailleurs également souvent reconnues. Ces qualités sont nécessaires pour la QVCT après les crises économiques, sociales et sociétales issues de la période Covid-19 qui sont confrontées par ailleurs à la fulgurance technologique de l’intelligence artificielle dont ChatGPT n’est qu’un symbole.

 

Dès lors, il est compréhensible que les mesures visant à éradiquer les comportements toxiques au travail, à faire la promotion du retour au bien-être au travail et à viser le développement de la prévention primaire dans la QVCT puissent revendiquer le courage tout comme les modèles conceptuels de prise de décision, de négociation et de leadership l’ont fait avant. Notons toutefois qu’il serait facile de se prévaloir d’un courage en QVCT comme autant de mots managériaux à la mode totalement vidés de leur sens. Le détour par la définition protéiforme de ce concept montre toute la richesse du courage, en particulier dans le contexte professionnel. Les travaux universitaires surtout anglosaxons montrent d’ailleurs combien le leadership transformationnel comme le servant-leadership, dont le courage est un élément constitutif essentiel à chaque fois, sont gage de performance individuelle et organisationnelle. Charge à la QVCT d’emprunter à son tour cette voie.