La QVCT favorisée grâce à un leadership par l’humilité

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06/03/2023

La QVCT interroge chacun par les évolutions de son cadre structurant (la loi santé de 2021 et le PST 4) qui imposent la prévention primaire au centre des réflexions. Cela suppose néanmoins une certaine forme d’humilité, source d’un leadership renouvelé. 


Travailler à l’amélioration des pratiques de santé au travail est une constante nécessité. Pourtant on pourrait croire que son achèvement est proche maintenant que les problématiques des préventions secondaires et tertiaires sont bien maîtrisées. Les progrès fulgurants de la science, de la médecine et des technologies semblent en effet ne plus laisser de place au doute, au hasard, à l’imprévu. Ils pourraient même laisser à penser à l’avènement du « dataïsme ». En laissant supposer que nous serions à l’aube de la toute-puissance des systèmes de gestion de données qui permettrait de considérer les performances des systèmes informatiques, et plus globalement l’intelligence artificielle, définitivement meilleures que les performances des humains, cette « religion des data » annonce même l'éventuelle fin de règne de l'Homo Sapiens (cf. Harari, 2017). 

Dans cette logique, une fois la prévention primaire maîtrisée comme le suppose l’évolution du cadre structurant de la QVCT (la loi santé de 2021 et le 4ème Plan Santé au Travail), pourquoi encore se focaliser sur ces problématiques de santé au travail des humains ? Cette question est provocante mais elle met en lumière ce que certains pensent parfois : le management de la santé du travail est une problématique d’ordre technique, certes compliquée, mais qui sera résolue sous peu puisqu’il « ne reste que » la prévention primaire à traiter avant que ce sujet ne soit définitivement maîtrisé. 

Chaque partie prenante travaillant sur cette thématique du management de la santé du travail sait néanmoins l’erreur fondamentale que contient cette pensée : certes, les préventions secondaire et tertiaire sont mieux maîtrisées dans les organisations mais les outils, indicateurs, processus, etc. doivent être revus et ajustés en permanence et régulièrement certains doivent même être créés. En outre, maintenant que la prévention primaire est au centre des enjeux de la QVCT, il est évident que la problématique du management de la santé au travail se complexifie et ce d’autant plus qu’elle fait appel aux qualités de leadership de chaque partie prenante concernée (cf. mes précédentes chroniques).

 

Autant de complexité, tant le management de la santé au travail est en constantes interactions avec les différents systèmes de mangement des organisations, appelle alors à une grande humilité. Or l’humilité, qui est souvent confondue à tort avec l’acceptation d’être humilié (pour vous en convaincre, je vous renvoie aux liens des définitions du CNRS), est une qualité essentielle quand cela concerne les pratiques de leadership. 

Dan Cable, Professeur de comportement organisationnel à la London Business School, est en effet convaincu par ses travaux que le leadership descendant n’est plus d’actualité et bien plus, qu’il est devenu contre-productif. Pourquoi ? Parce qu’en se concentrant de façon excessive sur les contrôles et les objectifs finaux et pas assez sur leurs employés, les dirigeants ont plus de difficultés à atteindre les résultats qu’ils désirent. La raison ? Cela tient au fait que de tels comportements engendrent le stress et la peur. Dans des circonstances du chiffre à tout prix, les collaborateurs ont en effet davantage la crainte de ne pas remplir leurs objectifs, de ne pas toucher leurs bonus voire même d’échouer. Dans ce cas, pourquoi prendre des risques à expérimenter et apprendre ? Pourtant telle est la voie pour développer l’innovation et favoriser une performance accrue. Dans une logique de prévention primaire, on comprend aussi combien ce type de démarche descendante ne peut pas être envisagé et qu’il doit laisser place à une démarche ascendante, ce qui suppose l’exercice d’une certaine humilité.

Le leadership par l’humilité est-il pour autant synonyme de pyramide renversée ? Absolument pas. Dans toutes les structures où ce modèle de leadership a été adopté, l’autorité des leaders-serviteurs n’est pas remise en question (être au service n’est pas synonyme de servilité !) et même c’est l’effet contraire qui s’est produit. D’ailleurs, Dan Cable va plus loin en considérant que ces leaders d’un autre type favorisent par leur attitude (qui suppose une juste estime de soi et de réelles qualités de leadership) l’appropriation, l’autonomie et la responsabilisation de leurs équipes. Plus encore, en admettant qu’ils puissent bénéficier de l’expertise de ceux qui détiennent moins d’autorité qu’eux, ces leaders font preuve d’humilité, de courage et de clairvoyance et c’est cela même qui incite leurs collaborateurs à davantage s’impliquer dans leurs activités et à donner le meilleur d’eux-mêmes pour le plus grand bénéfice de l’organisation. Or ce n’est pas négligeable dans toute organisation en recherche de stabilité et de performance accrues par une meilleure prise en charge de la santé au travail de chacun.

 

Dès lors, intéressons-nous au leadership par l’humilité pour son apport à la QVCT. Pour de nombreux chercheurs travaillant sur le leadership, le facteur H (‘H’ pour Honnêteté et Humilité) est devenu la sixième caractéristique fondamentale de la personnalité humaine. Certes cette dimension a été reconnue très récemment dans les recherches en psychologie mais certains chercheurs en management en font la promotion depuis quelques années déjà. L’un d’entre eux est célèbre puisqu’il s’agit d’Edgar H. Schein. Ce professeur émérite de management à la MIT Sloan School of Management est notamment reconnu pour ses travaux sur le contrat psychologique et l’importance du leadership dans la culture organisationnelle mais il a écrit récemment sur l’humilité. Il distingue en fait trois types d’humilité :

1. Celle que nous éprouvons vis-à-vis de nos aînés et des dignitaires

2. Celle que nous éprouvons en présence des individus qui nous impressionnent par leurs réussites ou leurs prouesses

3. et l’humilité de circonstance, qui résulte de notre dépendance ponctuelle envers autrui pour accomplir une tâche précise.

Par conséquent, maintenant que la loi santé de 2021 et le 4ème Plan Santé au Travail mettent l’accent sur la prévention primaire, comment ne pas considérer que la QVCT soit aussi une question de leadership qui peut se renouveler par une pratique empreinte de plus d’humilité ?: « l’art de poser humblement des questions consiste à savoir interpeller une personne, à poser des questions dont on ne connaît pas encore la réponse, à bâtir des rapports humains basés sur la curiosité et l’intérêt envers autrui » (Schein, 2015, p. 13). Or n’est-ce pas ce qui est aussi au cœur de la QVCT et plus encore de toute démarche de prévention ?  

Pour aller plus loin : 

  • Yuval Noah Harari (2017), Homo Deus : Une brève histoire de l'avenir, Albin Michel
  • Dan Cable (2018), « Comment fonctionne réellement le leadership par l’humilité », article Harvard Business Review France, 22/11/2018.
  • Edgar H. Schein (2015), L’art de poser humblement des questions, Ixelles éditions.