Situation dangereuse liée au covid19, vers un dispositif d’amende administrative pour les entreprises ?

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Pandemie / Covid19
/
14/01/2022 - Sébastien MILLET

Le paradoxe est bien connu : l’inflation réglementaire est associée quasi-mécaniquement à une moindre effectivité d’application de la règle de droit. Cela constitue un défi dans tous les domaines, et tout particulièrement celui de la santé-sécurité au travail.


En cas d’inobservation par l’employeur, une tendance de fond de ces dernières années est d’outiller l’autorité administrative avec une nouvelle arme : l’amende administrative, jugée plus rapide, plus efficace et moins infamante que le recours à une répression pénale, par l’évitement du juge.

Pourquoi en effet s’embarrasser des garanties de la procédure pénale ? Sur le principe, l’Avocat ne peut que s’insurger contre cette évolution insidieuse vers un droit « para-pénal » du travail de plus en plus marqué.

Au fil de réformes successives, on dénombre ainsi 13 domaines d’infractions pour lesquels l’administration dispose d’un pouvoir de sanction de l’entreprise sous forme d’une amende administrative.

Un nouveau cas devrait venir s’y ajouter, puisque dans le cadre de l’examen en cours du projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire (passe vaccinal), il est envisagé d’instituer un dispositif d’amende en cas de constat persistant de situation dangereuse résultant d’un risque d’exposition à la covid?19, du fait du non?respect par l’employeur des principes généraux de prévention.

Ce dispositif, non codifié, serait toutefois temporaire et non pérenne dans la loi (applicable jusqu'à une date à déterminer par décret et au plus tard jusqu'au 31 juillet 2022).

Il reposerait sur le mécanisme existant de la mise en demeure préalable (C. Trav., L4721-2), afin d’éviter une situation « arbitraire » où une amende pourrait être appliquée sans que l’employeur n’ait être mis à même de régulariser sa situation et de fournir ses explications à l’agent de contrôle.

Les modalités seraient les suivantes :

Conditions

    • Situation dangereuse résultant d’un risque d’exposition à la covid?19 du fait du non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention prévus aux articles L4121?1 à L4121?5 et L4522?1 du Code du travail
    • Absence de poursuites pénales engagées

Compétence

    • Constatation par l'agent de contrôle de l'Inspection du travail (ACIT)
    • Décision : compétence du responsable hiérarchique (DREETS)

Procédure

    1. Constatation de manquement aux PGP et de situation dangereuse par l'ACIT
    2. Mise en demeure par le DREETS + délai d'exécution (4 jours ouvrables minimum – cf. C. Trav., R4721-2)
    3. En cas de non-exécution au terme du délai : constat de persistance de la situation dangereuse
    4. Notification d'amende par le DREETS

 

 

Risque encouru

Alternative :

      • Amende administrative :
        • Plafond de 1000 euros par  travailleur concerné (salarié, stagiaire, etc.) dans la limite globale de    50000 euros.
        • Modulation selon le comportement de l’employeur, ses ressources et ses charges, les circonstances et la gravité du manquement.
      • Ou procès-verbal d'infraction et poursuites pénales pour délit de non-exécution de mise en demeure (C. Trav., L4741-3)

Recours

    • Contestation de la mise en demeure :
      • Pas de recours hiérarchique (mais possibilité de saisine du Tribunal administratif compétent en référé-suspension)
    • Contestation de la notification d'amende administrative
      • Recours hiérarchique aménagé : saisine du Ministre chargé du travail
        • Délai : 15 jours
        • Effet suspensif d'exécution
        • Silence 2 mois après la saisine = annulation implicite de l'amende

 

L’objectif avancé est que dans la grande majorité des situations où une mise en demeure a été prononcée depuis la crise sanitaire (plus de 500 depuis mars 2020), les entreprises ont « joué le jeu » à plus de 90%, et régularisé leur situation pour se conformer notamment aux recommandations très évolutives du protocole sanitaire national (dernière version en date du 3 janvier 2022).

Seules les entreprises jugées « récalcitrantes » seraient donc concernées.

Le dispositif ne convainc toutefois pas totalement, dans la mesure où il existe un décalage entre la lettre du texte, qui vise de manière large et générale les situations dangereuses par inobservation des principes généraux de prévention, alors que dans un contexte de fort rebond épidémique, l’amendement a été perçu comme une volonté de donner indirectement force obligatoire au protocole sanitaire sur la question du télétravail au moins 3 jours par semaine ... Le dispositif souffre de ce « malentendu » originel.

Officiellement donc, « l'amendement du Gouvernement ne vise pas le télétravail, mais des situations dangereuses ».

Dont acte, et tant mieux car la question de la jauge de télétravail et du caractère « télétravaillable » des tâches doit avant tout relever du pouvoir de direction de l’employeur en lien avec le dialogue social, alors que les organisations sont déjà très éprouvées par la crise et sans cesse tiraillées par des injonctions contradictoires (le télétravail en est un très bon exemple puisqu’il contribue à limiter l’exposition au risque biologique mais engendre des risques notamment psychosociaux que l’entreprise doit prévenir). A ce niveau, la crise a eu le mérite de faire progresser les entreprises dans la compréhension de l’importance de la protection de la santé physique et mentale de leurs personnels, et dans un contexte où l’on vise la prévention primaire et la culture du risque (cf. nouveau PST4), mieux vaut miser sur la pédagogie et le pragmatisme plutôt que sur la menace de sanction.

En définitive, si le dispositif est voté en l’état au terme de la navette parlementaire (à noter qu’à date, le Sénat vient en effet de supprimer le texte inscrit à l’article 1er bis A du projet de loi), il pourra être mis en œuvre en cas de constat d’une « situation dangereuse ».

Celle-ci ne se présume pas et devra faire l’objet d’une décision motivée en fait et en droit, avec une possibilité de discussion et de recours juridique le cas échéant.

A noter qu’il existe une ambiguïté dans la mesure où le pouvoir de mise en demeure du DREETS sur lequel repose le dispositif vise légalement 2 hypothèses :

  • D’une part le non-respect par l'employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L4522-1 (cf. 1° du L4721-1) ;
  • D’autre part l’infraction à l'obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l'article L4121-1 (cf. 2° de l’article L4721-1).

Or, le projet de loi fait seulement référence à l’inobservation des principes généraux de prévention, ce qui permet de viser des manquements précis (par exemple, le défaut de mise à jour de l’évaluation des risques, si cela entraîne une situation dangereuse). A contrario, il nous semble qu’en vertu du principe d’interprétation stricte de la loi, cela doit exclure la possibilité d’une amende fondée sur un manquement plus diffus à l’obligation générale de sécurité.
Espérons pour la sécurité juridique que cette ambiguïté rédactionnelle soit corrigée dans le cadre des débats législatifs …