Risques industriels : un renforcement annoncé des obligations pour les exploitants de sites Seveso

SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL || Sites industriels / seveso
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04/03/2020 - Sébastien MILLET

Après cinq mois de retour d’expérience consécutifs à l’accident du 26 septembre 2019 à ROUEN, le ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) vient de rendre ses conclusions et annonce une série de mesures en vue d’améliorer la prévention des risques industriels, articulées autour de quatre axes :


  1. améliorer la prévention des risques industriels (cf. https://www.preventica.com/actu-chronique-seveso-salaries-prevention-risques-majeurs.php) ;
  2. anticiper et faciliter la gestion technique d’un accident ;
  3. améliorer le suivi des conséquences sanitaires et environnementales de long terme ;
  4. renforcer les contrôles et se doter des moyens d’enquête adaptés.


Pour l’essentiel, il s’agit à l’analyse de mesures visant à améliorer l’action de l’État dans la gestion des incidents ou des accidents, et remédier à certaines critiques émises concernant le dispositif existant. On notera toutefois que paradoxalement, et alors qu’il existe une forte attente sur la transparence, en ce plan d’action appréhende assez peu la question des moyens de communication de crise auprès du public et des populations.

Il se concentre essentiellement sur la relation prioritaire entre les exploitants et les autorités en vue de corriger certaines lacunes mises à jour par l’affaire LUBRIZOL - NORMANDIE LOGISTIQUE, en cherchant à ne pas alourdir excessivement une réglementation déjà très complexe en la matière.

Le juste point d’équilibre entre attractivité économique et prévention des risques est toujours une affaire délicate…

Concrètement pour les exploitants concernés, ce plan d’action va se traduire par certaines évolutions réglementaires à venir, ainsi qu’un renforcement des campagnes de contrôle par l’autorité administrative de la conformité et du respect des prescriptions applicables à l’exploitation (en complément des mesures déjà annoncées par deux instructions ministérielles des 2 octobre et 31 décembre 2019).

Pour l’essentiel, retenons que les exploitants pourront être soumis à de nouvelles prescriptions générales particulières :

  • Concernant le régime administratif des grands entrepôts de matières combustibles un renforcement de conception et d’exploitation est annoncé (cf. règles minimales de tenue au feu avant effondrement, disponibilité et  débits d’eau pour concourir à l’extinction d’un éventuel incendie, règles d’exploitation du stockage dans les entrepôts existants pour éviter la propagation aux installations voisines, etc.), avec un changement important puisque le classement dans la nomenclature ICPE s’examinera au regard de l’échelle d’un entrepôt dans son ensemble, même s’il y a des installations contiguës de stockage relevant de plusieurs rubriques différentes ;

  • Concernant les risques d’effets domino et de propagation aux installations voisines avec :
    • D’une part, l’identification des ICPE voisines de sites Seveso (éloignement inférieur à 100 m) non soumises à étude de danger, y compris celles bénéficiant d’un droit d’antériorité, qui sont susceptibles de présenter un risque d’effet domino en cas de sinistre ;
    • D’autre part, le renforcement de l’obligation des sites Seveso situés dans un même bassin industriel d’échanger entre eux les informations sur leurs effets domino potentiels et de coopérer pour l’information des ICPE voisines ;

  • Concernant les plans d’opération interne (POI) et leur bonne préparation avec :
    • Un renforcement de la fréquence des exercices, soit une fois par an a minima pour les sites Seveso seuil haut (contre 3 actuellement) ou tous les 3 ans pour les autres sites industriels concernés ;
    • L’obligation d’acter dans le POI les moyens de mesure des émissions de polluants ainsi que la mise à disposition d’équipements nécessaires auprès de prestataires identifiés pour mener les premiers prélèvements environnementaux en cas d’incident (lesquels pourront être mutualisés entre industriels géographiquement proches - à noter toutefois que le plan d’action ne prévoit pas de modifier particulièrement la nouvelle réglementation relative aux plates-formes industrielles – cf. https://www.preventica.com/actu-chronique-securite-collective-plateformes-industrielles-contrat.php). L’objectif étant de permettre de mener des analyses précises au-delà des premiers polluants classiquement analysés dans des situations accidentelles.

      Par ailleurs, il est prévu d’inclure dans le POI les opérations de nettoyage et de remise en état après un accident majeur ;

  • Concernant le stockage des liquides inflammables, via :
    • Des mesures techniques visant à limiter la propagation d’incendie (dimensionnement des cuvettes de rétention, utilisation de conteneurs de type IBC) ;
    • Une meilleure prise en compte des volumes de liquides combustibles ;
    • Un renforcement de la vigilance en matière de conformité des pratiques en matière de stockage des produits finis avant expédition ;

  • Concernant les équipements de défense anti incendie, avec la mise en adéquation des capacités en matière d’émulseur de mousse ;

  • Concernant la capacité de mettre à disposition immédiatement en cas d’accident l’ensemble des informations à jour nécessaire concernant les volumes de produits stockés et leur nature (famille et propriétés).
    Pour cela, il est envisagé d’imposer aux exploitants concernés (sites Seveso ainsi que principaux entrepôts et sites de tri – transit – regroupement de déchets) la tenue d’une base de données sur un support « non-dépendant des conditions matérielles sur site », devant faire l’objet d’un suivi administratif a minima quotidien doublé périodiquement d’un inventaire physique.

    La réglementation sera adaptée en conséquence, et il faut s’attendre à ce qu’elle prévoit des exigences minimales en termes de sûreté des données dans l’hypothèse où celle-ci serait hébergée sur un cloud informatique externalisé. Il est certain que la capacité de l’exploitant à pouvoir fournir ces informations à première demande est cruciale, non seulement en termes de gestion d’accident, mais également lorsqu’il s’agira d’apprécier l’accomplissement de ses diligences et sa responsabilité éventuelle…

Ainsi, pour les exploitants concernés, « à risques majeurs, enjeux majeurs » , avec d’un côté, celui de la maîtrise de la conformité réglementaire, et de l’autre, celui de la maîtrise des risques opérationnels.

Si le simple respect des prescriptions réglementaires ne préjuge pas de la sécurité effective (cf. Risques liés aux facteurs humains par exemple), leur inobservation est potentiellement lourde de conséquences pour l’exploitant en cas d’accident et de poursuites pénales, même si le débat judiciaire reste toujours ouvert sur les éléments constitutifs de l’infraction et son imputation au prévenu en termes de causalité.

À noter sur ce point qu’en cas d’accident important, le ministère prévoit la création d’un bureau enquête accident industriel (BEAI), à l’instar de ce qui existe dans le domaine des transports.

Dans le cadre de la mission d’enquête parlementaire, il a été proposé d’aller plus loin avec la création d’une autorité de sûreté des sites Seveso indépendante, calquée sur le modèle de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN), et dont la compétence s’étendrait plus largement à la prévention des risques industriels et pas uniquement aux enquêtes post-accident. Pour l’heure, cette option n’est toutefois pas retenue par le Gouvernement, qui privilégie de réorienter l’action d’inspection des DREAL à moyens constants.