La responsabilité pénale pour mise en danger d’autrui au travail

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10/03/2016 - Sébastien MILLET

Même en l’absence de tout accident ou dommage, l’inobservation de prescriptions légales ou réglementaires est de nature à engager la responsabilité pénale personnelle du chef d’entreprise ou de son délégataire de pouvoirs, ainsi que celle de l’entreprise personne morale. Typiquement, la simple inobservation d’un texte ayant une finalité de prévention des risques -par exemple en matière d’environnement ou de sécurité au travail- peut en soi constituer une infraction spéciale si un texte le prévoit.


Dans certains cas particulièrement graves, elle peut également devenir punissable au titre du délit de risques causés à autrui (ou « mise en danger d’autrui » dans le langage courant). Les dirigeants ne sont alors pas les seuls concernés puisque de simples salariés peuvent également être poursuivis sur ce terrain, selon les cas. Les applications sont potentiellement nombreuses dans la vie courante d’une entreprise.

Une récente décision vient illustrer les critères et rappeler les limites d’engagement de la responsabilité pénale dans ce domaine (Cass. Criminelle, 22 septembre 2015, n° 14-84355).   

 

Les faits

Après s’être vue retirer son autorisation d’exploiter à la suite d’une explosion sur son site de stockage en 2002, une société industrielle spécialisée dans le stockage de produits pyrotechniques est autorisée à reprendre une activité partielle limitée à la destruction des munitions. L’entreprise sera liquidée en 2006. Plusieurs tonnes d’explosifs actifs étant restées enfouies et laissées à l’abandon, son ancien Directeur technique, titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de santé et sécurité au travail,  est poursuivi du chef de plusieurs infractions en 2008. En appel, il est relaxé au titre des infractions environnementales en matière de déchets (pour prescription de l’action publique essentiellement).

Il est en revanche condamné à une amende de 10.000 euros pour avoir omis de prendre les mesures nécessaires dans les mois précédant la cessation d’activité en vue de procéder à la neutralisation et l’élimination de déchets de munitions pyrotechniques dont il avait la charge, selon les procédés prévus par la réglementation en vigueur et conformes à son autorisation d’exploitation. Elément aggravant dans le dossier du point de vue de sa culpabilité, il avait caché à l’expert la véritable situation du site qui présentait une masse importante de produits laissés à l’abandon et d’une très grande dangerosité.

L’affaire est éclairante sur la question de la responsabilité pénale : si a priori, le manquement d’omission pouvait paraître grave, l’infraction n’était pour autant pas constituée de manière automatique. Telle est l’analyse de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui casse et annule cet arrêt. Le motif retenu est d’ordre purement juridique.  

 

Le texte

Il faut revenir au texte de l’article 223-1 du Code pénal, qui dispose que « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 € d'amende ».

Sont tout particulièrement visés dans ce cadre les comportements dangereux, notamment en matière de sécurité au travail. Dans cette définition, le risque doit être entendu au sens de l’exposition directe à une situation objectivement dangereuse et d’une gravité importante. Ce texte permet ainsi de sanctionner la faute délibérée du dirigeant, de son délégataire voire même d’un salarié, dans des cas de « quasi-accident ».

Encore faut-il qu’il y ait violation évidente d’une prescription textuelle spéciale, et c’est sur ce point en lien avec l’élément légal de l’infraction que la décision est rendue.

 

La décision

La Cour de cassation applique à la lettre le texte en énonçant que le caractère restrictif du délit de mise en danger, qui « n’est caractérisé qu’en cas d’exposition d’autrui à un risque de mort ou de blessures par une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Il n’était pas ici question d’apprécier ici la gravité du risque d’exposition, ni le lien de causalité entre celui-ci et le manquement, ni même l’élément intentionnel de l’infraction.

L’arrêt reproche en revanche aux juges d’appel d’avoir simplement retenu à l’encontre du prévenu qu’il n'avait pas pris les mesures nécessaires au cours des mois précédant la cessation d'exploitation pour nettoyer le site afin d'éviter tout danger alors qu’il connaissait la situation, sans avoir précisément identifié le texte légal ou réglementaire édictant en l’espèce une obligation particulière de prudence ou de sécurité en matière de neutralisation et d'élimination des déchets de munitions et pyrotechniques (concrètement, il appartiendra donc à la Cour d’appel de renvoi de rejuger l’affaire en mieux motivant mieux sa décision sur ce point).

 

En synthèse

Cette décision est une illustration du principe de légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte des textes d’incrimination par les tribunaux, ce qui ne peut qu’être approuvé en pratique.

En visant l’inobservation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence, le texte conduit à exclure qu’une condamnation pour mise en danger puisse être fondée sur la référence -expresse ou implicite- à l’obligation générale de sécurité de l’employeur (cf. C. Trav., L4121-1 et L4122-1), ce qui constitue une nette différence par rapport au régime de la responsabilité civile de l’employeur, qui repose sur une logique sévère d’obligation de résultat.

Cette rigueur d’analyse, particulièrement bienvenue en matière pénale, n’est pas sans rappeler l’évolution récente de la jurisprudence relative aux conditions d’engagement de la responsabilité des entreprises personnes morales, désormais mieux encadrée puisque la Cour de cassation veille à ce que soit établi en quoi l’organe ou le représentant de la personne morale a commis l’infraction, pour le compte de celle-ci (cf. pour une illustration récente : Cass. Crim. 2 juin 2015, n° 14-82171).

Le message est important pour tous les acteurs du monde de l’entreprise soumis à des diligences de sécurité, et du monde judiciaire qu’il s’agisse des Parquets, des administrations (DIRECCTE, DREAL, etc.), des magistrats du siège et des plaideurs.