Radioprotection des travailleurs : les nouvelles exigences en matière organisationnelle

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Management SST
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02/07/2018 - Sébastien MILLET

Afin de transposer la directive européenne n° 2013/59/Euratom du 5 décembre 2013 fixant les nouvelles normes de base relatives à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l’exposition aux rayonnements ionisants, plusieurs textes réglementaires viennent de paraître.


Selon les chiffres officiels, 372 262 travailleurs étaient exposés aux rayonnements ionisants dans le cadre de leur activité professionnelle en France en 2016, avec une répartition principalement dans les secteurs médicaux, vétérinaire, industriel, de la recherche et du transport aérien.

De nouveaux textes réglementaires ont été publiés au JORF du 5 juin 2018 :

  • Un décret général (n° 2018-434 du 4 juin 2018) venant adapter les dispositions du Code de la santé publique, du Code de l’environnement et du Code de la défense, notamment, concernant la protection contre les rayonnements ionisants dans le cadre des activités nucléaires ;
  • Deux décrets « travail », le décret n° 2018-437 du 4 juin 2018 (décret en Conseil d’Etat) relatif à la protection des travailleurs contre les risques dus aux rayonnements ionisants d’origine naturelle ou artificielle, accompagné d’un décret n° 2018-438 du 4 juin 2018 (décret simple) sur les règles de prévention spécifiques applicables à certaines catégories particulières de travailleurs (femmes enceintes, jeunes travailleurs, CDD et intérim). 

Ce cadre juridique est complexe à mettre en oeuvre, du fait de la particulière technicité de la matière et de sa transversalité entre plusieurs législations.

Aussi, l’un des objectifs majeurs de cette évolution est de mettre en place un environnement normatif plus accessible tout particulièrement à destination des nombreuses TPE/PME concernées, en vue d’une meilleure effectivité de la prévention.

Pour les employeurs, il s’agit de « mieux intégrer le risque radiologique dans la démarche générale de prévention des risques professionnels, notamment en ce qui concerne l’organisation de la radioprotection et les modalités de réalisation des vérifications à caractère technique des lieux et équipements de travail. Cette approche globale, qui vise à une meilleure maîtrise des risques et de la prévention des incidents et accidents, contribue à optimiser les moyens mis en œuvre par l’employeur ».

Environ 100 000 entreprises françaises sont concernées par ces nouvelles dispositions réglementaires.

Sans rentrer dans tout le détail technique de cette réforme, qui nécessitera un temps d’appropriation pour les entreprises concernées, signalons que ces nouvelles dispositions entrent en vigueur pour l’essentiel à compter du 1er juillet 2018, sous réserve de dispositions transitoires permettant aux organisations de s’adapter (cf. s’agissant de la date d’effet des dispositions relatives à l’abaissement de la valeur limite de dose pour le cristallin ; aux modalités de surveillance dosimétrique interne et externe des travailleurs ; aux nouvelles missions du Conseiller en radioprotection ; aux contrôles techniques de vérification initiale réalisés avant le décret). 

Le Chapitre réglementaire du Code du travail dédié à la prévention des risques d’exposition aux rayonnements ionisants est entièrement remanié (cf. C. Trav., R4451-1 s. nouveaux), dans le prolongement de la précédente modification du chapitre législatif par l’ordonnance n° 2016-128 du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire.

Celle-ci a posé en guise de préambule que « les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris les travailleurs indépendants et les employeurs, exposés aux rayonnements ionisants sont fixées dans le respect des principes généraux de radioprotection des personnes énoncés aux articles L1333-2 et L1333-3 du code de la santé publique, sans préjudice des principes généraux de prévention prévus à l'article L4121-2 du présent code » (C. Trav., L4451-1).

Le nouvel article R4451-5 du Code du travail reboucle les choses en prévoyant que « conformément aux principes généraux de prévention énoncés à l’article L4121-2 du présent code et aux principes généraux de radioprotection des personnes énoncées aux articles L1333-2 et L1333-3 du code de la santé publique, l’employeur prend des mesures de prévention visant à supprimer ou à réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux rayonnements ionisants, en tenant compte du progrès technique et de la disponibilité de mesures de maîtrise du risque à la source ». La rubrique intitulée « principes de radioprotection » est ainsi rebaptisée plus simplement « principes de prévention ».

Concrètement, cela ne modifie pas fondamentalement les choses : la démarche globale de prévention nécessite de coupler les 3 principes généraux de radioprotection que sont l’exigence de justification, d’optimisation et de limitation, avec les 9 principes généraux de prévention du Code du travail, qui sont la déclinaison de l’obligation générale de sécurité de l’employeur. Le « pont » indissociable entre ces 2 blocs est ainsi plus clairement affirmé.

Par ailleurs, un point ne change pas, à savoir la responsabilité qui pèse sur l’employeur dans la mise en œuvre des règles de prévention en matière de radioprotection des travailleurs (à noter : même si les deux peuvent se recouper en pratique, cette sphère de responsabilité est à distinguer le cas échéant de celle du responsable de l’activité nucléaire au titre du Code de la santé publique et de la protection de la santé publique, de la salubrité et de la sécurité publiques, ainsi que de l'environnement).

Cette obligation sort même renforcée du fait de la volonté de « recentrage des obligations réglementaires sur des obligations de résultat », selon les termes du communiqué de la DGT.

Répétons-le : si la stricte conformité réglementaire est une obligation, elle n’est pas une fin en soi pour autant ; ce qui compte est la maîtrise effective des risques et la démarche systématique pour y parvenir, dont l’un des ressorts est l’amélioration continue.

Les employeurs concernés vont devoir mettre en conformité leur organisation de la radioprotection pour tenir compte de ces évolutions.

Cette organisation est définie aux nouveaux articles R4511-111 et suivants du Code du travail.

Elle s’impose de plein droit à l’employeur, au chef de l’entreprise extérieure ou au travailleur indépendant « lorsque la nature et l’ampleur du risque d’exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants le conduisent à mettre en œuvre au moins l’une des mesures suivantes », à savoir : 1/ le classement de travailleur (catégorie A ou B), 2/ la délimitation de zone d’exposition ou d’opération, 3/ les vérifications obligatoires des moyens de prévention (équipements, sources, lieux de travail et véhicules.

Dans le cadre de cette organisation, le Conseiller en radioprotection défini par la Directive EURATOM révisée occupe une place essentielle.

Cette fonction ne peut être exercée par l’employeur lui-même (sauf à titre dérogatoire dans les entreprises de moins de 20 salariés, lorsque l’évaluation des risques exclut tout risque d’exposition interne et qu’il est lui-même titulaire du certificat de formation « PCR » (C. Trav., R4451-117).

Elle pourra recouvrir 3 catégories d’intervenants :

  • Soit la personne compétente en radioprotection désignée en interne (cf. PCR actuelle, étant précisé que plusieurs PCR peuvent être désignée au sein d’une même organisation à condition de les regrouper au sein d’une entité interne dotée de moyens adaptés) ;
  • Soit l’organisme compétent en radioprotection (OCR, personne morale qui remplacera la PCR externe actuelle) ;
  • Soit le pôle de compétences en radioprotection habilité par l’ASN, spécifique aux installations nucléaires de base.  

La mission de conseil de l’employeur est renforcée concernant ces personnes ou organismes, et s’articule notamment autour de l’évaluation des risques (il est précisé qu’en l’absence d’une désignation de Conseiller en radioprotection, l’employeur est tenu de solliciter le concours du « référent sécurité », salarié ou IPRP désigné en vertu de l’article L4644-1 du Code du travail, pour procéder à l’évaluation des risques liés aux rayonnements ionisants).

L’intervention du Conseiller en radioprotection repose sur un acte de désignation écrit, qui doit consigner « noir sur blanc » les modalités d’exercice des missions que l’employeur a définies, en termes de volume de temps alloué (décharge des fonctions « métier ») et de moyens mis à disposition (cf. moyens techniques et matériels, formation, mais également concernant la confidentialité des données de surveillance de l’exposition des travailleurs, notamment dans le cadre de la nouvelles possibilité d’échanges avec le médecin du travail d’informations protégées par le secret professionnel).

Comme précédemment, aucun statut particulier n’est adossé à cette mission, et la réglementation reste très évasive sur la nature contractuelle ou non de cette désignation …

En tout état de cause, la définition des missions elles-mêmes n’est pas aménageable par l’employeur, puisqu’elles sont fixées par le nouvel article R4451-123 du Code du travail et regroupées en 3 blocs :

  • Conseiller l’employeur (lieux de travail, dispositifs de sécurité ; programmes de vérification périodique ; suivi de l’exposition individuelle ; dosimètres ; classement des travailleurs ; zonage radiologique ; situations d’urgence radiologique) ;

  • Concourir à certaines opérations (évaluation des risques -cf. R4451-13 s.- ; moyens de prévention ; évaluation de l’exposition individuelle ; mesures de protection individuelle ; formation et information à la sécurité ; surveillance de l’exposition individuelle ; coordination des mesures de prévention en cas d’opération générant des interférences avec un entreprise extérieure ; décontamination des lieux de travail ; enquêtes et analyses en cas d’évènements significatifs) ;

  • Exécuter ou superviser certaines opérations (mesurages sur le lieu de travail ; vérification de l’efficacité de certains moyens de protection).


A noter qu’une « codésignation » par le responsable de l’activité nucléaire est possible ; à ce titre, le Conseiller en radioprotection se voit attribuer des missions pour partie différentes (cf. CSP, R1333-18 s.). Le Conseiller en radioprotection verra ainsi ses missions étendues à la radioprotection du public et de l’environnement, ce qui nécessite des moyens adaptés. En tout état de cause, il est précisé par équivalence que « les conseils donnés par le conseiller en radioprotection au titre du 1° du I de l’article R1333-19 du code de la santé publique peuvent être regardés comme étant des conseils donnés au titre du I de l’article R4451-123 lorsqu’ils portent sur le même objet » (cf. C. Trav., R4451-124 II – la même règle est prévue en miroir à l’article R1333-19 III du Code de la santé publique).

Ces conseils devront être consignés par écrit sur un support durable (10 ans minimum de conservation). Cette traçabilité organisée n’est pas sans incidences du point de vue des responsabilités respectives :

  • D’une part, les conseils ont vocation à alimenter le rapport et le programme annuel de prévention des risques soumis au CHSCT ou au nouveau CSE qui le remplace progressivement dans les entreprises d’ici le 1er janvier 2020.
    A noter que le CSE devra être informé et consulté au préalable, non plus seulement sur la désignation de la PCR comme c’était le cas jusqu’alors, mais plus généralement sur l’organisation mise en place en matière de radioprotection (C. Trav. 4451-120 – précisons que cette compétence consultative élargie est d’ordre public et ne sera pas aménageable par voie d’accord d’entreprise sur le fonctionnement du CSE).

  • D’autre part, cela constituera une pièce capitale en cas de poursuites pénales pour inobservation de prescriptions réglementaires du Code du travail, avec ou sans accident du travail ou maladie professionnelle.

    Précisons à ce sujet que si comme la PCR actuelle, le Conseiller en radioprotection est titulaire d’une compétence (attestée par certificat) et de moyens adaptés, il ne paraît pas pouvoir être délégataire de pouvoirs au sens pénal du terme. En effet, le Code du travail est clair : il ne fait que participer à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, toujours « sous la responsabilité de l’employeur ». La responsabilité pénale paraît dès lors non transférable, faute également d’un pouvoir d’autorité suffisant (ce qui est à distinguer du critère d’indépendance à l’égard des services de production, qui relève au contraire des moyens), et sachant que bien souvent en pratique, l’insuffisance des moyens est souvent invoquée pour faire échec aux conséquences de la délégation de pouvoirs.

    Les employeurs doivent donc se montrer particulièrement vigilants : la désignation d’un Conseiller en radioprotection ne les exonère pas de leur responsabilité pénale en cas de faute personnelle, aussi bien s’agissant des employeurs personnes physiques (chefs d’entreprise ou d’établissement) que personnes morales (même si ici les règles de responsabilité pénale sont spécifiques).

    Cela étant, les PCR sont des professionnels parfaitement responsabilisés, qu’ils interviennent dans le cadre de leur contrat de travail ou au titre d’une prestation de services.

    Parallèlement, ils ne bénéficient pas d’une immunité en cas de manquement, qui peut éventuellement se traduire soit par une révocation de la désignation, soit par la mise en œuvre du pouvoir disciplinaire, soit par l’engagement de poursuites pénales (en cas de faute d’inobservation de prescriptions réglementaires –cf. C. Trav., L4741-9– ou en cas de délit de risques causés à autrui –C. Pén., art. 223-1– ou encore d’infraction de blessures involontaires imputable à une faute caractérisée ou délibérée). En cas de prestation externe, la responsabilité civile contractuelle de l’OCR peut également être mise en cause par leur client employeur, en cas de défaut de conseil, accompagnée le cas échéant d’une résiliation du contrat.


En pratique, si la perception du risque radiologique est négative car très anxiogène, il existe pour autant en France un haut degré de maîtrise des risques en la matière, même s’il est bien entendu toujours perfectible.

La mise en conformité avec cette nouvelle réglementation doit donc être perçue, au-delà de la contrainte réglementaire, comme une opportunité de sécurisation, y compris sur le terrain juridique pour les employeurs et exploitants. C’est l’occasion en effet d’identifier les points de fragilité existants et d’améliorer l’organisation pour une sécurité plus robuste au quotidien.

Parmi tous les sujets à appréhender, citons les interventions d’entreprises extérieures, qui requièrent une attention toute particulière. Il s’agira d’ailleurs d’un enjeu de sécurité tout particulier dans la perspective des futures opérations de démantèlement des installations nucléaires, qui mobilisera une grande chaîne d’acteurs économiques.