Continuer à fonctionner en mode « dégradé », un objectif vital pour les entreprises face à la menace virale

ORGANISATION DE LA PREVENTION || AT / MP - Pénibilité
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18/03/2020 - Sébastien MILLET

Chaque jour, les annonces et les textes se succèdent pour restreindre les flux et les contacts entre les personnes, et limiter la propagation du Covid-19.


Que l'entreprise dispose ou non d'un plan de continuité d'activité formel (PCA), elle doit impérativement réorganiser ses activités et le travail de son personnel afin de s'adapter, avec une forte volatilité puisque de nombreux évènements peuvent venir interférer sur la mise en œuvre du plan.

La cellule de crise doit se préparer à l'imprévu et faire preuve de méthode, de sang-froid, d'efficacité, de créativité, et de sécurité dans la recherche de solutions opérationnelles.

Il est essentiel d'expliquer que, sauf exception, l'entreprise va pouvoir tout de même continuer à fonctionner de manière réduite, en tenant compte des diverses restrictions posées par les pouvoirs publics.

Ceux-ci ont privilégié une approche graduée, qui évolue de jour en jour en fonction de la situation sur le territoire, mais sans imposer à ce stade un confinement général de la population et de fermeture des entreprises. Toutefois, un projet de loi sur la mise en place d'un état d'urgence sanitaire est à l'étude.

Les entreprises doivent bien entendu jouer le jeu de la lutte contre la crise sanitaire et limiter le plus possible les contacts professionnels, mais il est légitime qu'elles puissent trouver des solutions pour limiter la casse économique liée aux lourdes pertes d'exploitation qui s'annoncent.

Plusieurs actions méritent être envisagées, quelle que soit la taille de l'entreprise :

1) Identifier dans quelle mesure telle ou telle activité est soumise à interdiction temporaire selon la catégorie d'établissements recevant du public (ERP) dont relève l'entreprise, au regard de l'arrêté du 14 mars 2020, modifié par celui du 15 mars, puis celui du 17 mars.

Au titre des restrictions, tout rassemblement, réunion ou « activité » mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert a été interdit sur le territoire de la République jusqu'au 15 avril 2020 (avec la possibilité de dérogation ou de restriction supplémentaire sur décision spéciale du représentant de l'État au regard des circonstances locales).

Sitôt adoptée le 14 mars, la portée de cette règle vient d'être nuancée par le Ministère de l'Intérieur dans un document du 17 mars appelant au discernement plutôt qu'à un décompte scrupuleux, et considérant que les limitations aux déplacements individuels issues du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 rendent « caduques » cette restriction en matière de regroupement de personnes … (notons que pour autant, l'arrêté du 14 mars n'est pas abrogé, ce qui ne manque pas de créer une certaine insécurité juridique pour les entreprises, et notamment celles qui continuent de fonctionner avec une activité soutenue telles que dans le secteur logistique).

En parallèle de l'appel des citoyens à « rester chez eux », il est précisé que ces mesures « ne sauraient signifier que l'activité économique doit être réduite pour les [autres] secteurs professionnels qui ne génèrent pas habituellement des rassemblements de clientèle », et que les établissements industriels notamment sont autorisés à fonctionner « dans le respect des consignes sanitaires en vigueur ».

Le message est clair et suppose que l'entreprise prenne le cas échéant les mesures nécessaires afin de limiter les contacts rapprochés entre les individus, conformément aux recommandations de santé publique.


2) Repenser les activités autour de l'objectif de continuation « aussi normale que possible » et de limitation d'impact, ce qui nécessite, selon une approche par cercles concentriques :

— De privilégier les secteurs vitaux et stratégiques de l'entreprise, en tenant compte des directives clients, puis d'informer également les prestataires de services extérieurs des mesures de réduction d'activité.

— De déployer au maximum le télétravail « de crise » ponctuel en application de l'article L1222-11 du Code du travail, selon lequel « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ». Dans ce cadre, le passage en télétravail ne relève plus du volontariat et peut s'imposer au salarié sans constituer une modification contractuelle. Attention toutefois au respect des dispositions prévues dans le cadre de l'accord d'entreprise ou de la charte régissant le recours au télétravail.

Précisons que les salariés pour lesquels le télétravail n'est pas possible peuvent demander (un seul parent à la fois) à bénéficier d'un arrêt de travail de 1 à 14 jours renouvelable pour garde d'enfant à domicile pendant la fermeture des établissements scolaires, sur déclaration de l'employeur auprès d'AMELI.

— Pour le reste du personnel disponible et non éligible au télétravail, identifier un « vivier » de salariés susceptibles d'être réquisitionnés pour assurer la continuité d'activité vitales, essentielles ou stratégiques de l'entreprise sur site (cellule de crise, service informatique, administration de la paye, RH, gardiennage, astreintes de maintenance, etc.).

Attention toutefois aux salariés fragiles ou susceptibles de développer une forme sévère d'infection, pour lesquels le maintien à domicile est recommandé (avec possibilité de bénéficier d'un arrêt de travail de 21 jours, via une déclaration simplifiée auprès d'AMELI).

Pour ce qui concerne les activités de production, le plus souvent non éligibles au télétravail, les modalités de continuité peuvent être variables au cas par cas, en fonction notamment des urgences ou du carnet de commandes. L'entreprise peut à cet effet modifier l'aménagement du temps de travail en fonction des dispositions prévues par ses accords d'entreprise.

Les déplacements devront être aussi limités que possibles pendant la période de restriction imposée par l'État (éviter le présentiel et privilégier la visioconférence ou le téléphone pour les réunions).

Il convient ici de rappeler que les déplacements professionnels pour se rendre au travail font partie des dérogations autorisées dans le cadre du décret précité n° 2020-260 du 16 mars 2020 (« Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés »).

Pour cela, l'employeur doit délivrer aux salariés concernés le formulaire d'attestation de déplacement dérogatoire mis à disposition par le Ministère de l'Intérieur, au titre des déplacements entre le domicile et le lieu d'exercice de l'activité professionnelle lorsqu'ils sont « indispensables à l'exercice d'activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail » (justificatif à valeur permanente), ou pour des déplacements professionnels (ponctuels) ne pouvant être différés (une attestation est alors requise pour chaque déplacement professionnel autre que domicile-travail).
Il convient de préciser qu'en cas de contrôle de police, l'absence de ces justificatifs sera passible d'une amende forfaitaire, à la charge du salarié, d'un montant qui vient d'être revalorisé de 98 à 135 € (création d'une nouvelle contravention de quatrième classe par le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 précisons que l'amende peut être majorée jusqu'à 375 €).
L'interprétation des textes peut conduire à des difficultés : est-ce aux forces de l'ordre de se faire juge du caractère essentiel ou non des activités et de refuser aux salariés l'accès à l'entreprise, alors qu'ils sont régulièrement en possession des justificatifs nécessaires ?

— En tout état de cause, la baisse voire l'arrêt d'activité est inévitable pour l'immense majorité des entreprises, et il appartient à la cellule de crise d'évaluer la volumétrie des besoins en termes de demande d'activité partielle auprès de la DIRECCTE, sachant que les besoins de prise en charge peuvent varier selon les établissements, les services ou les unités. Un décret en attente de publication pour adapter le dispositif existant à ces circonstances tout-à-fait exceptionnelles et inédites, compte tenu de la volonté du Gouvernement d'ouvrir massivement les vannes de l'activité partielle, sans que l'on sache véritablement comment le coût astronomique de ces mesures sera financé in fine.

Dans ce cadre, attention à bien calibrer la demande de prise en charge, sachant qu'il faut s'attendre à ce que les mesures de restrictions puissent être encore renforcées et soient prolongées dans la durée au-delà de 15 jours (une note technique de la DGEFP indique que « si l'entreprise ne dispose pas de visibilité, elle fait une demande jusqu'au 30 juin 2020 »). En outre, de nombreux événements peuvent survenir au cours de la période de confinement notamment, et nécessité de revoir les besoins à la hausse ou à la baisse, ce qu'il convient d'anticiper.

Précisons qu'en parallèle, différents dispositifs de soutien aux entreprises ont été mis en place afin de permettre notamment l'aménagement des délais de paiement des cotisations sociales, de l'impôt et des remboursements de crédit, de litiges fournisseurs.


— Pour les salariés dans le contrat de travail n'est pas suspendu, l'employeur devra en tout état de cause veiller à renforcer la vigilance sur la mise en œuvre des mesures dites « barrières » par l'ensemble des personnes telles qu'elles sont recommandées par les pouvoirs publics, notamment en matière de respect de distances minimales.

S'il faut bien entendu faire face aux suspicions d'exposition, attention toutefois concernant la gestion des salariés « à risque » dans la mesure où les données relatives à la santé sont particulièrement protégées, que ce soit en termes de collecte et traitement (cf. RGPD et loi informatique et libertés), de secret professionnel ou encore de respect de la vie privée ou de discrimination.

Il est important que ces mesures au plan organisationnel, technique et humain tiennent compte de la mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels, dans cette phase d'activité « dégradée », afin de préserver au maximum la santé et la sécurité des salariés affectés à leur poste.

Il en va de même a minima pour ce qui concerne les modalités du télétravail puisque rappelons-le, l'accident survenu au temps et au lieu du télétravail constitue un accident du travail (présomption d'imputabilité).

Il y a là un enjeu important en termes d'obligation de sécurité, qui impose une grande rigueur sur l'application des principes généraux de prévention. En effet, dans le contexte actuel, la conscience du danger sera présumée en pratique. Tout l'enjeu se portera donc sur l'adéquation et l'effectivité des mesures de prévention mise en place par l'employeur, ce qu'il est important de documenter afin d'éviter que des manquements mêmes mineurs puissent être reprochés à l'entreprise.

Sans aller jusqu'au droit de retrait (qui semblerait se justifier surtout en cas de contact imposé avec un collègue contaminé pour laquelle il existerait une présomption d'affection, ou à défaut de respect par l'employeur des mesures recommandées par les autorités de santé), il faut rappeler que la jurisprudence a connu récemment une évolution majeure concernant l'ouverture du droit à indemnisation du préjudice d'anxiété en cas d'exposition fautive à des « substances nocives » ce qui est suffisamment large pour ouvrir potentiellement la discussion au titre du Covid-19 (cf. Cass. Soc. 11 septembre 2019, n° 17-24879) … Si cela se discute au plan juridique et judiciaire, il n'en reste pas moins que le sujet est devenu particulièrement anxiogène dans les entreprises.

Pour autant, il n'est pas inutile d'observer qu'en cas d'éventuelle contamination d'un salarié, le débat sur la preuve du fait que sa pathologie aurait été causée essentiellement et directement son travail sera toujours extrêmement difficile à établir de manière certaine (délai d'incubation, source d'exposition, etc.).


3) Préparer la reprise d'activité : il est important d'anticiper ce point car il peut être aussi délicat à gérer que la descente en charge. Après une période d'inactivité généralisée, il existe toujours un risque de désorganisation lors du redémarrage.

Le plan de reprise doit donc être bien préparé et coordonné, avec tous les acteurs (salariés, CSE et partenaires économiques).

D'expérience notamment, la survenance de risques psychosociaux doit être anticipée (ex : surcharge d'activité).


4) Tout au long de ces différentes phases enfin, il est essentiel de bien communiquer auprès des salariés et de leurs représentants, et de veiller à informer et onsulter lorsque nécessaire le CSE sur ces différentes mesures impactant non seulement la marche générale de l'entreprise, mais également la thématique santé, sécurité et conditions de travail (SSCT).

La direction de l'entreprise doit s'efforcer de donner de la visibilité sur l'activité et de rassurer les effectifs. C'est l'occasion d'afficher un leadership managérial et de donner confiance avec un cap pour avancer en terra incognita.

Essayons de voir les choses de manière positive, pour les décideurs, cette situation est également l'opportunité de pouvoir prendre du recul par rapport aux urgences quotidiennes habituelles et de pouvoir se concentrer sur des sujets de fond.

Incontestablement, la situation de « guerre » pour reprendre les termes du Président de la République aboutira à d'importantes évolutions organisationnelles et comportementales, notamment au sujet de la résilience et de l'anticipation des crises, avec, espérons-le, une prise de conscience sur l'importance de la fraternité.