La fiche de prévention des expositions, un document sensible

ORGANISATION DE LA PREVENTION || AT / MP - Pénibilité
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18/03/2013 - Sébastien MILLET

L’obligation de mettre en place et de tenir des fiches de prévention des expositions (FPE) aux facteurs de risques professionnels est entrée en vigueur le 1er février 2012 dans toutes les entreprises. Un an plus tard, face à des situations très disparates, il semble utile de resituer les enjeux juridiques liés à ce nouveau système documentaire, notamment à l’attention des PME/PMI et TPE.


Contrairement aux accords et plans d’action « anti-pénibilité », dont la mise en place est subordonnée à un double seuil (cf. CCS, L138-29), l’établissement de FPE est rendu obligatoire indépendamment de toute référence à un seuil d’effectif, pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé (C. Trav., L4121-3-1). Neuf facteurs de risques présentant ces caractéristiques sont identifiés (C. Trav., D4121-5), et repris dans le modèle de fiche.

Plusieurs obligations en découlent ici pour l’employeur :

  • Tout d’abord, une obligation générale de prévention (C. Trav., L4121-1 1°), au titre de laquelle la problématique de la pénibilité a été placée sur le même niveau que celle des risques professionnels bien que les deux restent distincts ;
  • Ensuite, des obligations particulières visant à assurer une traçabilité individualisée pour chaque salarié de ses conditions d’exposition aux facteurs de risques ; de la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ainsi que les mesures de prévention primaire ou secondaire mises en œuvre par l'employeur pour faire disparaître ou réduire ces facteurs durant cette période.

Il faut bien considérer que l’obligation de devoir établir et mettre à jour cette fiche, pour lequel la loi prévoit que le salarié -ou ses ayants droit en cas de décès- dispose d’un droit d’accès (et de rectification), est de nature à entraîner de nombreuses conséquences juridiques et à aggraver le risque pour l’employeur de voir sa responsabilité engagée.

Une vigilance et un suivi permanents sont donc de rigueur :

  • D’une part, le fait pour l’employeur ou son représentant de ne pas remplir ou actualiser correctement la fiche constitue une infraction réprimée à l’article R4741-1-1 du Code du travail, pour laquelle l’inspecteur ou le contrôleur du travail peuvent dresser procès-verbal (précisons qu’il s’agit d’une contravention de 5e classe, et que l’amende correspondante est appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés). Citons également le délit général prévu à l’article L4741-1 du Code du travail en cas de faute personnelle du chef d’entreprise ou de son délégataire pour  manquement aux textes applicables en matière de santé et sécurité au travail.
  • D’autre part, le défaut de remise de la fiche au travailleur en cas de départ de l’établissement, d'arrêt de travail d'au moins 30 jours consécutif à un ATMP et d'au moins 3 mois dans les autres cas serait de nature à engager la responsabilité civile de l’employeur. Dans un cas de toute évidence transposable, la jurisprudence a récemment condamné une entreprise à verser des dommages et intérêts à ses salariés (en l’espèce 4000 euros x 154 salariés, soit 616 000 euros de toute même), pour défaut de remise de l’attestation d'exposition à l'amiante lors de leur départ de l'établissement (cf. Cass. Soc. 23 octobre 2012, n° 11-13792).
  • Surtout, le fait de devoir consigner « noir sur blanc » l’existence d’une exposition à des facteurs de risques et des mesures de prévention organisationnelles, collectives ou individuelles correspondantes appellera inévitablement des développements contentieux sur le terrain du manquement à l’obligation de sécurité dont l’employeur doit assurer l’effectivité (c’est une obligation de résultat). Typiquement, la faute inexcusable de l’employeur est en effet caractérisée en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle survenus alors que celui-ci « avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel est exposé le salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger » (jurisprudence constante). Par ailleurs, le préjudice d’exposition indemnisable est reconnu (il a été jugé qu’une exposition à un risque d’intoxication identifié par l’entreprise mais sans avoir pris toutes les mesures préventives appropriées constitue, même en l’absence de tout dommage, un manquement causant nécessairement un préjudice au salarié qui lui ouvre droit à dommages et intérêts – cf. Cass. Soc. 30 novembre 2010, n° 08-70390). Même s’il n’est pas ici a priori question de danger, le risque pour l’entreprise n’en reste pas moins que ses actions puissent apparaître comme insuffisantes ou inadaptées, surtout si les rubriques de la fiche ont été mal rédigées ou non mises à jour. A fortiori, les omissions ou inactions éventuelles n’en seront que plus flagrantes.

On peut également imaginer que le salarié, désireux de demander le bénéfice d’une retraite anticipée pour pénibilité, puisse invoquer avoir subi un préjudice lié à une sous-évaluation de son exposition à des facteurs de risque. Avec l’allongement des durées de carrière, l’enjeu lié à traçabilité des expositions sera également de plus en plus aigu.
La question de la pénibilité va également monter en puissance en matière d’inaptitude médicale, aussi bien lorsqu’elle en est à l’origine que dans le cadre de l’obligation de recherche de reclassement (où la jurisprudence commence déjà à sanctionner le défaut de réflexion sur le sujet : cf. Cass. Soc. 1er février 2012, n° 10-23500). 

Dans tous cas –gageons que les déclinaisons sont potentiellement nombreuses- la fiche se trouvera inévitablement au cœur des débats, avec le risque de constituer un élément « à charge » contre l’employeur plusieurs années plus tard compte tenu de l’effet différé de ces facteurs de risques. Sans doute est-il utile pour s’en prémunir que les intervenants intègrent bien cette dimension et étendent leur « culture de la prévention » sur le terrain de la pénibilité, cette fiche n’étant pas une simple formalité administrative, loin s’en faut.