Démarche d’évaluation des risques professionnels : se préparer aux échéances de la loi Santé-Travail

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Evaluation des risques / DU
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13/02/2022 - Sébastien MILLET

La loi santé travail n°2021-1018 du 2 août 2021 (de transposition partielle de l’ANI du 9 décembre 2020) ambitionne de renforcer la prévention primaire en entreprise. Naturellement, la démarche d’évaluation des risques professionnels est donc placée au cœur du dispositif.


Les changements introduits par la réforme s’inscrivent dans une continuité : cette démarche, déjà incontournable et essentielle, va se trouver nettement renforcée.

Pour les entreprises, le niveau d’exigences est relevé du point de vue de la formalisation documentaire obligatoire, en sachant que les manquements en la matière sont radicalement sanctionnés en jurisprudence sur le plan pénal et civil, aussi bien en tant que non-conformité qu’en tant que facteur de survenance d’accident du travail.


1°) Renforcement du formalisme


L’obligation de retranscription de l’évaluation des risques professionnels, issue du décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 et qui a fêté ses 20 ans, acquiert un rang désormais législatif, ce qui a son importance du point de vue de la hiérarchie des normes (cf. C. Trav., L4121-3-1 nouveau).

Ces dispositions sont d’application différée au 31 mars 2022, sachant qu’un projet de décret est en cours d’élaboration sur ce point.

Sans rentrer ici dans les détails, retenons que toutes les entreprises sont concernées, avec toutefois un régime différencié d’obligation selon le seuil d’effectif de l’entreprise, ce qui constitue une évolution importante puisque généralement, les dispositions applicables dans le domaine de la santé-sécurité au travail présentent un caractère « universel ».

L’idée est donc d’adapter le cadre d’obligations aux moyens dont dispose l’entreprise, de manière pragmatique tant il est évident dans la réalité que les TPE-PME ne disposent pas de la même capacité à être en conformité avec la réglementation. Bien entendu, cela ne signifie pas qu’elles soient dispensées d’évaluer leurs risques professionnels, cette obligation étant pour tout employeur au cœur de son obligation de sécurité et de protection de la santé des travailleurs.

D’une entreprise à l’autre, les incidences de la réforme vont être probablement assez variables selon le niveau de « maturité » dans la démarche.

Retenons toutefois dans les grandes lignes que les pratiques d’entreprises pourront être impactées par un renforcement des exigences légales :

—    Un dialogue social renforcé dans les entreprises dotées de CSE : il sera notamment demandé au CSE lorsqu’il existe, mais également au(x) salarié(s) désigné(s) comme référent(s) santé-sécurité ainsi qu’au SPST d’apporter leur contribution permanente à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise.

L’idée est d’en faire une démarche plus collective, même si l’évaluation des risques restera in fine sous la seule responsabilité de l’employeur. On passe d’une logique souvent très unilatérale en pratique à une attente de dialogue social pour nourrir l’analyse au plus près des réalités de travail de terrain.

En creux, l’enjeu est ici celui de la formation SSCT des élus, afin de pouvoir travailler de manière constructive et en confiance sur ces sujets. L’intérêt est de pouvoir trouver des points de consensus dans l’analyse et la priorisation des actions.

Mettant un terme à des débats jurisprudentiels, alimentés notamment par la crise sanitaire et tranchés juste avant la publication de la loi (cf. Cass. Soc. 12 mai 2021, n° 12-17288), la loi prévoit finalement une nouvelle obligation de consultation du CSE « sur le document unique d'évaluation des risques professionnels et sur ses mises à jour » (Nota : celle-ci est spécialement intégrée dans la 4e partie du Code du travail, et non dans la 2e partie relative aux attributions du CSE). Rappelons que cette consultation relève du CSE instance plénière et ne peut être déléguée à la CSSCT lorsqu’elle est instituée (celle-ci conservant toutefois un rôle préparatoire essentiel).


—    Un renforcement du document unique en tant que base d’un plan d’actions. La prévention ne s’arrête pas au fait d’identifier et de coter les risques, sa finalité est de déboucher sur des actions concrètes et adaptées, avec la prévention primaire en fil rouge.
 
Cette logique est renforcée au niveau légal, avec une distinction selon le seuil d’effectif :

o    Pour les entreprises dont l'effectif est inférieur à 50 salariés : la liste de ces actions devra être consignée directement dans le corps du DUERP et ses mises à jour.

La loi ne définit toutefois pas quel est le degré de précision attendu, ce qui laisse une certaine marge de souplesse comparativement aux entreprises de 50 salariés et plus.

Observons ici qu’en pratique, les DUERP contiennent généralement une colonne relative aux mesures de prévention Toutefois, celles-ci sont souvent exprimées de façon assez sommaire (ce qui risque de donner lieu à discussions judiciaires sur leur consistance et leur suffisance, et nécessitera le cas échéant de s’interroger sur leur contenu).  

La loi incite ici les branches à élaborer des outils visant à faciliter la démarche des entreprises, et notamment des TPE-PME.


o    Pour les entreprises dont l'effectif de 50 salariés et plus, le cahier des charges sera plus strict et structuré puisque la démarche devra déboucher sur un véritable programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail, contenant des rubriques obligatoires, à savoir :

?    Une liste détaillée des mesures de prévention (y compris en matière de pénibilité) prévues sur N+1, avec pour chaque mesure :
•    ses conditions d'exécution ;
•    des indicateurs de résultat ;
•    une estimation de son coût ;

?    L’identification des ressources de l'entreprise pouvant être mobilisées ;
?    Un calendrier de mise en œuvre.

La loi ne prévoit pas l’obligation d’intégrer ce programme dans le corps du DUERP, sachant qu’il restera le support obligatoire d’information du CSE dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale, au même titre que le bilan annuel sur la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l'entreprise et des actions menées au cours de l'année écoulée dans ces domaines (C. Trav., L2312-27).

Rappelons ici que lors de l'avis rendu sur le rapport et sur le programme annuel de prévention, le CSE peut proposer un ordre de priorité et l'adoption de mesures supplémentaires. Lorsque certaines des mesures prévues par l'employeur ou demandées par le CSE n'ont pas été prises au cours de l'année concernée par le programme, l'employeur énonce les motifs de cette inexécution, en annexe au rapport annuel. Cette consultation reste particulièrement importante puisque le PV de réunion doit être joint à toute demande en vue d'obtenir des marchés publics, des participations publiques, des subventions, des primes de toute nature ou des avantages sociaux ou fiscaux.


—    Un renforcement du suivi d’actualisation du DUERP : les obligations de mise à jour régulière ou ponctuelle ne sont pas modifiées en tant que telles.

* Un projet de décret en cours d’examen envisage toutefois d’assouplir l’obligation de mise à jour annuelle pour les TPE, en prévoyant que celle-ci ne s’imposerait plus que dans les entreprises d’au moins 11 salariés, en application de l’article L4121-3, selon lequel « lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l'application du présent article doivent faire l'objet d'une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ». Ce texte était en attente de dispositions réglementaires depuis 2012, et le pouvoir réglementaire va certainement devoir retravailler encore sa copie pour satisfaire à l’exigence de garanties d’un niveau équivalent de protection … ).

Rappelons que le DUERP est un document vivant qui doit être exploitable. Il existe en la matière une marge de progression importante, même s’il y a eu certains progrès avec la crise sanitaire ; à titre d’exemple selon une étude de la DARES (2019 avant covid19), malgré l’obligation légale, seuls 45?% des employeurs avaient élaboré ou actualisé un DUER au cours des 12 derniers mois. De manière globale, le taux d’actualisation du DUERP est estimé à environ 50%, avec des écarts très variables selon les secteurs et la taille des entreprises.

Ajoutons que selon le même projet de décret, la mise à jour du programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail ou de la liste des actions de prévention et de protection devrait être effectuée parallèlement à chaque mise à jour du document unique.

De facto, l’actualisation -ou la non-actualisation- des actions de prévention dans le DUERP (qui sera obligatoire pour les entreprises de moins de 50 salariés) sera ainsi rendue particulièrement « visible » sur le long terme, du fait du dispositif de plateforme numérique de mise à disposition (cf. point suivant).  


—    Un renforcement de l’accessibilité du document unique, et de la traçabilité des expositions collectives, via l’obligation de conservation et de tenue à disposition du document unique d'évaluation des risques professionnels, dans ses versions successives et pendant une durée de 40 ans minimum.

Un projet de décret envisage ici de clarifier l’articulation des obligations de conservation et de dépôt dématérialisé, en prévoyant que jusqu’à l’entrée en vigueur de l’obligation de dépôt du DUERP sur le portail numérique national (soit entre le 31 mars 2022 et le 1er juillet 2023 pour les entreprises de 50 salariés et plus, ou le 1er juillet 2024 au plus tard pour les entreprises de taille inférieure), l’employeur devra conserver les versions successives du document unique au sein de l’entreprise (établies à compter du 31 mars 2022, sans rétroactivité), sous la forme au choix d’un document papier ou dématérialisé.

La liste des personnes ayant accès à ces versions serait également complétée par l’ajout des anciens travailleurs, pour les périodes durant lesquelles ils ont travaillé dans l’entreprise, avec possibilité pour eux de le communiquer aux professionnels de santé en charge de leur suivi médical


2°) Au-delà du formalisme, vers un renforcement du contenu qualitatif ?  


La combinaison d’une plus grande exigence documentaire avec celle d’une plus grande « transparence » va nécessairement conduire à ce que les entreprises soient plus exposées du point de vue de la qualité de leur politique de prévention des risques professionnels.

Le fait de pouvoir, à simple lecture, disposer d’un historique d’analyse des risques et de le confronter à l’évolution des mesures de prévention prises pour chaque « génération » du document unique pourra en effet faciliter les actions judiciaires fondées sur la connaissance des risques et dangers, l’absence ou l’insuffisance des mesures de prévention mises en place, ou encore leur inadéquation au regard des moyens de l’entreprise.

Dans ce cadre, les entreprises devront donc être d’autant plus vigilantes quant au contenu rédactionnel de leurs documents (on ne pourra que recommander de croiser le regard technique avec une relecture juridique systématique).

La définition des actions de prévention et des moyens associés constitue un engagement social particulièrement fort puisqu’il engage l’employeur au niveau de son obligation de sécurité et de protection de la santé.

Côté entreprise, voyons néanmoins le « verre à moitié plein », en sachant que :

—    Au-delà de la conformité légale et réglementaire, l’enjeu de la démarche d’évaluation des risques est surtout d’éviter les situations dangereuses et les accidents, et d’améliorer les conditions de travail, donc au passage le travail lui-même et la performance de l’entreprise ;

—    L’évolution progressive de la jurisprudence civile depuis 2015 permet à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité, lorsqu’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et 2 du Code du travail. De ce point de vue, rapporter la preuve que l’évaluation des risques professionnels a été menée selon une méthodologie adaptée contribue à justifier du respect du respect de l'obligation légale de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (cf. précédente chronique : https://www.preventica.com/actu-chronique-respect-obligation-securite-protection-sante-evaluer-prouver.php )

—    Le fait de s’appuyer sur une approche collective et concertée avec les salariés et leurs représentants permet d’objectiver utilement l’analyse et de conforter les arbitrages retenus, notamment en termes de priorisation d’actions de prévention qui constitue toujours un exercice délicat.

Ces nouvelles exigences peuvent plus généralement être une opportunité de nourrir et d’améliorer le dialogue social dans l’entreprise, en travaillant sur un sujet qui fait sens et de susciter l’adhésion et l’engagement dans le travail, à une époque où les entreprises en ont particulièrement besoin.