Les changements introduits par la réforme s’inscrivent dans une
continuité : cette démarche, déjà incontournable et essentielle,
va se trouver nettement renforcée.
Pour les entreprises, le niveau d’exigences est relevé du point
de vue de la formalisation documentaire obligatoire, en sachant
que les manquements en la matière sont radicalement sanctionnés
en jurisprudence sur le plan pénal et civil, aussi bien en tant
que non-conformité qu’en tant que facteur de survenance
d’accident du travail.
1°) Renforcement du formalisme
L’obligation de retranscription de l’évaluation des risques
professionnels, issue du décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001
et qui a fêté ses 20 ans, acquiert un rang désormais législatif,
ce qui a son importance du point de vue de la hiérarchie des
normes (cf. C. Trav., L4121-3-1 nouveau).
Ces dispositions sont d’application différée au 31 mars 2022,
sachant qu’un projet de décret est en cours d’élaboration sur ce
point.
Sans rentrer ici dans les détails, retenons que toutes les
entreprises sont concernées, avec toutefois un régime différencié
d’obligation selon le seuil d’effectif de l’entreprise, ce qui
constitue une évolution importante puisque généralement, les
dispositions applicables dans le domaine de la santé-sécurité au
travail présentent un caractère « universel ».
L’idée est donc d’adapter le cadre d’obligations aux moyens dont
dispose l’entreprise, de manière pragmatique tant il est évident
dans la réalité que les TPE-PME ne disposent pas de la même
capacité à être en conformité avec la réglementation. Bien
entendu, cela ne signifie pas qu’elles soient dispensées
d’évaluer leurs risques professionnels, cette obligation étant
pour tout employeur au cœur de son obligation de sécurité et de
protection de la santé des travailleurs.
D’une entreprise à l’autre, les incidences de la réforme vont
être probablement assez variables selon le niveau de « maturité »
dans la démarche.
Retenons toutefois dans les grandes lignes que les pratiques
d’entreprises pourront être impactées par un renforcement des
exigences légales :
— Un dialogue social renforcé dans les
entreprises dotées de CSE : il sera notamment demandé au CSE
lorsqu’il existe, mais également au(x) salarié(s) désigné(s)
comme référent(s) santé-sécurité ainsi qu’au SPST d’apporter leur
contribution permanente à l’évaluation des risques professionnels
dans l’entreprise.
L’idée est d’en faire une démarche plus collective, même si
l’évaluation des risques restera in fine sous la seule
responsabilité de l’employeur. On passe d’une logique souvent
très unilatérale en pratique à une attente de dialogue social
pour nourrir l’analyse au plus près des réalités de travail de
terrain.
En creux, l’enjeu est ici celui de la formation SSCT des élus,
afin de pouvoir travailler de manière constructive et en
confiance sur ces sujets. L’intérêt est de pouvoir trouver des
points de consensus dans l’analyse et la priorisation des
actions.
Mettant un terme à des débats jurisprudentiels, alimentés
notamment par la crise sanitaire et tranchés juste avant la
publication de la loi (cf. Cass. Soc. 12 mai 2021, n° 12-17288),
la loi prévoit finalement une nouvelle obligation de consultation
du CSE « sur le document unique d'évaluation des risques
professionnels et sur ses mises à jour » (Nota : celle-ci est
spécialement intégrée dans la 4e partie du Code du travail, et
non dans la 2e partie relative aux attributions du CSE).
Rappelons que cette consultation relève du CSE instance plénière
et ne peut être déléguée à la CSSCT lorsqu’elle est instituée
(celle-ci conservant toutefois un rôle préparatoire
essentiel).
— Un renforcement du document unique en tant
que base d’un plan d’actions. La prévention ne s’arrête pas au
fait d’identifier et de coter les risques, sa finalité est de
déboucher sur des actions concrètes et adaptées, avec la
prévention primaire en fil rouge.
Cette logique est renforcée au niveau légal, avec une distinction
selon le seuil d’effectif :
o Pour les entreprises dont l'effectif est
inférieur à 50 salariés : la liste de ces actions devra être
consignée directement dans le corps du DUERP et ses mises à
jour.
La loi ne définit toutefois pas quel est le degré de précision
attendu, ce qui laisse une certaine marge de souplesse
comparativement aux entreprises de 50 salariés et plus.
Observons ici qu’en pratique, les DUERP contiennent généralement
une colonne relative aux mesures de prévention Toutefois,
celles-ci sont souvent exprimées de façon assez sommaire (ce qui
risque de donner lieu à discussions judiciaires sur leur
consistance et leur suffisance, et nécessitera le cas échéant de
s’interroger sur leur contenu).
La loi incite ici les branches à élaborer des outils visant à
faciliter la démarche des entreprises, et notamment des
TPE-PME.
o Pour les entreprises dont l'effectif de 50
salariés et plus, le cahier des charges sera plus strict et
structuré puisque la démarche devra déboucher sur un véritable
programme annuel de prévention des risques professionnels et
d'amélioration des conditions de travail, contenant des rubriques
obligatoires, à savoir :
? Une liste détaillée des mesures de prévention
(y compris en matière de pénibilité) prévues sur N+1, avec pour
chaque mesure :
• ses conditions d'exécution ;
• des indicateurs de résultat ;
• une estimation de son coût ;
? L’identification des ressources de
l'entreprise pouvant être mobilisées ;
? Un calendrier de mise en œuvre.
La loi ne prévoit pas l’obligation d’intégrer ce programme dans
le corps du DUERP, sachant qu’il restera le support obligatoire
d’information du CSE dans le cadre de la consultation annuelle
sur la politique sociale, au même titre que le bilan annuel sur
la situation générale de la santé, de la sécurité et des
conditions de travail dans l'entreprise et des actions menées au
cours de l'année écoulée dans ces domaines (C. Trav.,
L2312-27).
Rappelons ici que lors de l'avis rendu sur le rapport et sur le
programme annuel de prévention, le CSE peut proposer un ordre de
priorité et l'adoption de mesures supplémentaires. Lorsque
certaines des mesures prévues par l'employeur ou demandées par le
CSE n'ont pas été prises au cours de l'année concernée par le
programme, l'employeur énonce les motifs de cette inexécution, en
annexe au rapport annuel. Cette consultation reste
particulièrement importante puisque le PV de réunion doit être
joint à toute demande en vue d'obtenir des marchés publics, des
participations publiques, des subventions, des primes de toute
nature ou des avantages sociaux ou fiscaux.
— Un renforcement du suivi d’actualisation du
DUERP : les obligations de mise à jour régulière ou ponctuelle ne
sont pas modifiées en tant que telles.
* Un projet de décret en cours d’examen envisage toutefois
d’assouplir l’obligation de mise à jour annuelle pour les TPE, en
prévoyant que celle-ci ne s’imposerait plus que dans les
entreprises d’au moins 11 salariés, en application de l’article
L4121-3, selon lequel « lorsque les documents prévus par les
dispositions réglementaires prises pour l'application du présent
article doivent faire l'objet d'une mise à jour, celle-ci peut
être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze
salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de
protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ». Ce
texte était en attente de dispositions réglementaires depuis
2012, et le pouvoir réglementaire va certainement devoir
retravailler encore sa copie pour satisfaire à l’exigence de
garanties d’un niveau équivalent de protection … ).
Rappelons que le DUERP est un document vivant qui doit être
exploitable. Il existe en la matière une marge de progression
importante, même s’il y a eu certains progrès avec la crise
sanitaire ; à titre d’exemple selon une étude de la DARES (2019
avant covid19), malgré l’obligation légale, seuls 45?% des
employeurs avaient élaboré ou actualisé un DUER au cours des 12
derniers mois. De manière globale, le taux d’actualisation du
DUERP est estimé à environ 50%, avec des écarts très variables
selon les secteurs et la taille des entreprises.
Ajoutons que selon le même projet de décret, la mise à jour du
programme annuel de prévention des risques professionnels et
d’amélioration des conditions de travail ou de la liste des
actions de prévention et de protection devrait être effectuée
parallèlement à chaque mise à jour du document unique.
De facto, l’actualisation -ou la non-actualisation- des actions
de prévention dans le DUERP (qui sera obligatoire pour les
entreprises de moins de 50 salariés) sera ainsi rendue
particulièrement « visible » sur le long terme, du fait du
dispositif de plateforme numérique de mise à disposition (cf.
point suivant).
— Un renforcement de l’accessibilité du
document unique, et de la traçabilité des expositions
collectives, via l’obligation de conservation et de tenue à
disposition du document unique d'évaluation des risques
professionnels, dans ses versions successives et pendant une
durée de 40 ans minimum.
Un projet de décret envisage ici de clarifier l’articulation des
obligations de conservation et de dépôt dématérialisé, en
prévoyant que jusqu’à l’entrée en vigueur de l’obligation de
dépôt du DUERP sur le portail numérique national (soit entre le
31 mars 2022 et le 1er juillet 2023 pour les entreprises de 50
salariés et plus, ou le 1er juillet 2024 au plus tard pour les
entreprises de taille inférieure), l’employeur devra conserver
les versions successives du document unique au sein de
l’entreprise (établies à compter du 31 mars 2022, sans
rétroactivité), sous la forme au choix d’un document papier ou
dématérialisé.
La liste des personnes ayant accès à ces versions serait
également complétée par l’ajout des anciens travailleurs, pour
les périodes durant lesquelles ils ont travaillé dans
l’entreprise, avec possibilité pour eux de le communiquer aux
professionnels de santé en charge de leur suivi médical
2°) Au-delà du formalisme, vers un renforcement du
contenu qualitatif ?
La combinaison d’une plus grande exigence documentaire avec celle
d’une plus grande « transparence » va nécessairement conduire à
ce que les entreprises soient plus exposées du point de vue de la
qualité de leur politique de prévention des risques
professionnels.
Le fait de pouvoir, à simple lecture, disposer d’un historique
d’analyse des risques et de le confronter à l’évolution des
mesures de prévention prises pour chaque « génération » du
document unique pourra en effet faciliter les actions judiciaires
fondées sur la connaissance des risques et dangers, l’absence ou
l’insuffisance des mesures de prévention mises en place, ou
encore leur inadéquation au regard des moyens de
l’entreprise.
Dans ce cadre, les entreprises devront donc être d’autant plus
vigilantes quant au contenu rédactionnel de leurs documents (on
ne pourra que recommander de croiser le regard technique avec une
relecture juridique systématique).
La définition des actions de prévention et des moyens associés
constitue un engagement social particulièrement fort puisqu’il
engage l’employeur au niveau de son obligation de sécurité et de
protection de la santé.
Côté entreprise, voyons néanmoins le « verre à moitié plein », en
sachant que :
— Au-delà de la conformité légale et
réglementaire, l’enjeu de la démarche d’évaluation des risques
est surtout d’éviter les situations dangereuses et les accidents,
et d’améliorer les conditions de travail, donc au passage le
travail lui-même et la performance de l’entreprise ;
— L’évolution progressive de la jurisprudence
civile depuis 2015 permet à l’employeur de s’exonérer de sa
responsabilité, lorsqu’il justifie avoir pris toutes les mesures
prévues par les articles L4121-1 et 2 du Code du travail. De ce
point de vue, rapporter la preuve que l’évaluation des risques
professionnels a été menée selon une méthodologie adaptée
contribue à justifier du respect du respect de l'obligation
légale de prendre les mesures nécessaires pour assurer la
sécurité et protéger la santé physique et mentale des
travailleurs. (cf. précédente chronique :
https://www.preventica.com/actu-chronique-respect-obligation-securite-protection-sante-evaluer-prouver.php
)
— Le fait de s’appuyer sur une approche
collective et concertée avec les salariés et leurs représentants
permet d’objectiver utilement l’analyse et de conforter les
arbitrages retenus, notamment en termes de priorisation d’actions
de prévention qui constitue toujours un exercice délicat.
Ces nouvelles exigences peuvent plus généralement être une
opportunité de nourrir et d’améliorer le dialogue social dans
l’entreprise, en travaillant sur un sujet qui fait sens et de
susciter l’adhésion et l’engagement dans le travail, à une époque
où les entreprises en ont particulièrement besoin.
