On remarque une différence entre l’état d’esprit des
télétravailleurs pendant le premier confinement et pendant le
second. Quelle est-elle ?
Au début, lors du premier confinement, certains salariés étaient
contents d’être en télétravail. Ils avaient le sentiment en étant
chez eux, d’être protégés du virus, que l’entreprise pensait à
leur santé. Mais ils étaient aussi contents de fuir le milieu du
travail qui ne leur apporte pas de véritable stimulation, qui
n’est pas attractif, qui peut même compoter des éléments
délétères pour la santé physique et mentale.
Mais, ce que les salariés ont découvert c’est une exacerbation
des côtés négatifs du travail pendant le télétravail.
Quels sont-ils ?
Face à son ordi, tout seul, chez lui, le salarié ressent une
montée en puissance de la dimension formelle, abstraite,
prescrite du travail. Le contenu du travail reste très largement
inspiré par l’esprit taylorien : procédures, protocoles, process,
reporting, modalités de contraintes et de contrôle, etc. Le
salarié n’a pas la possibilité d’influencer le contenu de son
travail. Ce caractère prescrit donne un sentiment encore plus
fort de perte de sens du travail, de sa finalité.
Le salarié vit un sentiment de déréalisation.
A cela s’ajoute l’isolement, le besoin des autres augmente
pendant le télétravail. Sur le plan de la qualité des relations
de travail il y a une aggravation. Même si les collègues sont
parfois des concurrents, c’est quand même des gens avec qui l’on
peut échanger, discuter, rigoler.
Beaucoup d’entreprises tendent vers un système hybride,
moitié télétravail, moitié présentiel. Quelles en seraient les
conséquences ?
Si les salariés retournent deux ou trois jours au travail ça ne
va pas améliorer la situation. « On est chez soi c’est pire, on
est sur le lieu de travail ce n’est pas mieux. »
Nous sommes à un moment historique. Il faudrait pouvoir mobiliser l’intelligence collective afin de reconsidérer un travail qui ne soit pas délétère pour la santé mentale et physique des salariés ni pour les ressources de la planète.
Quand les salariés sont chez eux, la capacité d’avoir une action
collective, notamment via les organisations syndicales est
fortement mise en question. Il est beaucoup plus difficile pour
les syndicats d’intervenir, de poser des questions, de mener des
enquêtes sur les conditions du vécu du travail, de sensibiliser
les salariés, de promouvoir des formes de mobilisation, etc.
Il y a un risque que les choses restent figées. L’espoir de
transformation positive risque d’aller en s’amenuisant. D’autant
plus que les salariés sont pris par ce verrou de la
subordination.
Comment faire sauter ce verrou ?
Cela passe par une sensibilisation de l’opinion publique et
citoyenne qui, pour l’heure, n‘est pas très compréhensive à
l’égard des salariés. En France, il y a cette idée que l’on ne
travaille pas beaucoup, qu’il y a les 35h, notre code du travail
« surdimensionné », que nos fonctionnaires en font le moins
possible, etc. Ce qui est totalement faux. Quand on regarde
l’intensité du travail, la productivité horaire en France est
l’une des plus fortes. L’engagement des français dans le travail
est très fort. Toutes les enquêtes montrent que la valeur travail
est extrêmement importante.
Les médias ont un rôle important à jouer. Si on veut que le verrou saute il faut mener une lutte idéologique pour montrer la qualité de l’engagement des salariés français et montrer en quoi ce verrou de subordination est un rempart contre la remise en question des formes d’organisation du travail qui sont délétère pour les salariés et pour l’avenir de notre planète.
Connaissez-vous d’autres modèles d’organisation pour le
travail ?
Il n’y a pas d’autres modèles qui existent ailleurs dont nous
pourrions nous s’inspirer. La mondialisation a remodelé
complètement les modalités de production de la planète. Mais rien
n’empêche de libéré de l’intelligence pour construire un autre
modèle ! Il faut avancer en marchant et pour marcher il faut
faire sauter le verrou de subordination et planter de façon
fondamentale les nécessité et les véritables finalités auxquelles
doit répondre le travail.