Vous venez de publier un guide juridique sur le
traitement des données personnelles, d’où est parti ce
projet ?
Les RSSI et les chefs de projets informatiques mettent en œuvre
de façon croissante des systèmes stockant les données
personnelles de leurs clients, de leurs partenaires, de leurs
fournisseurs ou de leurs salariés. Or cette activité est très
fortement réglementée et la portée de cet encadrement
réglementaire est souvent mal connue des porteurs de projet.
De la même façon, les juristes ont une connaissance restreinte du
fonctionnement et des possibilités des nouvelles technologies, ce
qui est normal, compte tenu de la complexité et de la vitesse
d’évolution de ce secteur.
Le décalage entre ces deux mondes et ces deux visions peut
générer des difficultés, soit parce que le traitement et le
stockage de données personnelles outrepasse les frontières de la
protection de la vie privée, soit au contraire parce que le
développement de projets est trop bridé par le poids du
droit.
Mon objectif, à travers cet ouvrage, est donc de faciliter la
communication entre le droit et la technique et plus largement,
de sensibiliser à la culture juridique des données personnelles
tous ceux qui sont confrontés à la problématique de la gestion de
données.
En quoi la protection des données personnelles est-elle
devenue un enjeu majeur ?
Les échanges de données à caractère personnel se sont multipliés
de façon exponentielle ces dernières années. Cela n’est pas sans
conséquence sur le droit de la vie privée, et le grand public est
de plus en plus sensible à ces questions.
Des exemples récents montrent que les utilisateurs exigent de
connaître l’exploitation qui peut être faite de leurs données
personnelles. Ainsi Facebook a plusieurs fois été contraint de
reculer sur les modifications de ses Conditions Générales
d’Utilisation face à la pression des internautes.
Rappelons-nous également du cas Acadomia en 2010 qui avait révélé
que les fichiers des élèves et des professeurs contenaient des
commentaires excessifs, injurieux voire relevant de données
sensibles comme la santé ou les condamnations. Cette affaire a eu
un gros impact dans les médias et sur la réputation de
l’entreprise, même si les sanctions ont été limitées.
Justement, quelles sont aujourd’hui les conséquences
juridiques et pénales d’un manquement aux obligations de respect
des données personnelles ?
Elles restent faibles et peu dissuasives, pour plusieurs
raisons.
D’une part, les pouvoirs de sanction de la CNIL sont
limités : le montant de l’amende qu’elle peut prononcer est
plafonné à 150 000 euros, ce qui est ridicule pour des géants de
l’internet comme Google. Des peines de prison figurent également
dans le Code pénal, mais ne sont jamais appliquées.
D’autre part, la CNIL ne peut intervenir que si les données
personnelles sont traitées sur le territoire français ou par une
entreprise établie en France. On voit ainsi que dans le cas d’une
entreprise, disons au hasard californienne, dont les serveurs
informatiques sont implantés en Californie, les pratiques
échappent à tout contrôle.
De fait aujourd’hui, les enjeux se situent plus sur le terrain de
l’image de marque. On a même pu assister, il y a 5-6 ans, à une
« course à la vertu » des moteurs de recherche, chacun
revendiquant le plus petit délai de conservation des requêtes
effectuées par les internautes et des cookies. L’idée d’un
« label CNIL », qui garantirait la conformité de la
protection des données personnelles, fait également son
chemin.
De son côté, l’Union Européenne s’est attaquée de front au
problème et un projet de règlement est en cours d’examen au
Parlement Européen. Ce règlement viserait, entre autres, à
instituer des sanctions pécuniaires plus sévères, qui pourraient
aller jusqu’à 2% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise
incriminée. On parle également d’un projet de réforme des moyens
d’action et des pouvoirs des CNIL au niveau européen avec la
création d’un guichet unique CNIL couvrant l’ensemble du
territoire européen.
Mais la pression des lobbies du numérique est forte et nul ne
sait quand ces évolutions verront réellement le jour.
- Traitement des données personnelles : le guide juridique par Fabrice Mattatia – Editions Eyrolles, mars 2013