Déposée à l’Assemblée Nationale le 23 décembre 2020, la
proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au
travail découle en grande partie de l’accord national
interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail, conclu le 9
décembre par les partenaires sociaux représentatifs. Le regard de
Pierre Yves Montéléon, responsable des sujets de la santé au
travail à la CFTC, sur ces textes.
Quelle est la position de la CFTC sur la proposition de
loi déposée en décembre ?
Cette proposition de loi est l'aboutissement d'un long parcours.
Elle fait notamment suite au rapport Lecocq-Dupuis-Forest et aux
négociations qui ont eu lieu dans le cadre de l’ANI sur la santé
au travail. Elle s’inscrit dans le cadre particulier de la
pénurie de médecins du travail, qui dure maintenant depuis de
nombreuses années, mais aussi dans le cadre volontaire des
pouvoirs publics d’avoir une action sur la santé au travail. En
grande partie, la proposition de loi a pris en compte l’accord
auquel nous sommes parvenus en décembre, qui a été signé par
toutes les parties à l’exception de la CGT. Le résultat de cette
réflexion est donc positif pour nous, mais un accord suppose
forcément des compromis. Nous avons par conséquent un certain
nombre de souhaits qui n’ont pas tous abouti.
Lesquels, par exemple ?
L’élément phare pour nous, c’est la prévention primaire. Et nous
continuerons à la défendre pour qu’elle soit effective. Pour
nous, la prévention primaire effective passe par le fait que les
conditions de travail, les postes de travail, proposés aux
salariés ne puissent pas être dangereux pour leur santé. Donc une
réflexion en amont pour protéger. Aujourd’hui, on détermine si un
salarié est apte à occuper un poste de travail. Selon nous, il
faut renverser la logique ; le poste de travail doit être apte à
recevoir un salarié. Et cela n’apparaît ni dans l’ANI ni dans la
proposition de loi. Bien sûr, il y a une obligation générale,
dictée notamment par le Code du Travail, mais là encore ce ne
sont que de grands mots. Si l’on regarde en détail la proposition
de loi, on voit que la traduction de la prévention primaire,
c’est la conformité des machines et des EPI. Mais pour nous, cela
n’a pas de sens. S’il y a besoin d’EPI, c’est que la protection
collective n’est pas assurée. Notre réflexion, c’est d’affirmer
qu’il faut des professionnels qui mettent à disposition leurs
compétences dans la conception même du lieu de travail pour
protéger les salariés. Et cela de manière proactive, pour agir
plutôt que constater. Il est nécessaire d’avoir des services de
santé au travail qui connaissent les entreprises qu’ils suivent,
interviennent avant que surviennent des problèmes, et mettent en
place les mesures nécessaires pour de bonnes conditions de
travail, autant dans les champs matériels que les champs
psychologiques ou d’organisation du travail.
Concernant la formation, il y a un vrai progrès, notamment sur la
formation des membres des CSE. Mais concernant la mise en place
du passeport formation, nous attendons de voir. Ni la proposition
de loi ni l’ANI n’apportent de choses concrètes sur le sujet.
Mais nous ne sommes pas très satisfaits de cette dénomination,
ayant la crainte que cela se transforme en « livret ouvrier ».
Notre souhait, c’est que les traces de formations existent,
qu’elles soient colligées dans une base de données accessible par
le salarié. Tout organisme de formation pourrait l’alimenter,
mais la consultation ne serait permise que par le salarié, à
l’image d’une carte vitale. Et non le contraire, où le
travailleur est obligé de communiquer l’ensemble de ses données
sous peine de ne pas avoir un emploi. Dans le cadre d’un
passeport, les choses ne sont plus vraiment dans la main du
salarié.
Au-delà de cette proposition de loi, qu'est-ce qu'il
reste aujourd'hui à faire pour améliorer la QVT et la prévention
des risques professionnels ?
Encore une fois, la priorité pour nous est de renverser la
logique actuelle pour mettre la prévention en amont. Et ce n’est
pas vraiment le sens de la proposition de loi. Une autre priorité
est la prévention de l’usure professionnelle. Ce que l’ANI ou la
proposition de loi évoquent comme étant la prévention de la
désinsertion professionnelle. L’une des actions que nous
défendons en ce sens, c’est la visite de mi-carrière. Il est
nécessaire qu’au moins une fois dans sa carrière, le salarié
rencontre le médecin du travail pour parler de sa santé. Et nous
insistons sur le terme « mi-carrière », détaché d’un âge légal
par exemple, car chaque milieu est particulier. Enfin, la prise
en compte par l’ANI et la proposition de loi des travailleurs qui
ne sont pas des salariés habituels, pour la plupart des
travailleurs indépendants « ubérisés », est un point important
pour nous. Nombre de ces travailleurs n’ont pas de suivi
médico-professionnel, et le suivi de leurs conditions de travail
est rendu complexe du fait du caractère diffus et individualisé
de leurs métiers. S’adapter à ces nouveaux modes qui s’imposent
est une urgence.
