Le risque psychosocial est fondamentalement impalpable,
comment le mesurer scientifiquement ?
C’est l’objet de l’étude que j’ai menée en 2012 pour le Centre
d’Analyse Stratégique. Cette étude basée sur des méthodes
scientifiques avait pour finalité d’analyser le lien entre
changements organisationnels au sein des entreprises et émergence
de risques psychosociaux pour les salariés.
Par ailleurs, nous avons pu mettre en évidence une corrélation
statistique entre risques psychosociaux et profils des salariés
et des firmes.
Quelles sont alors les variables scientifiques du risque
psychosocial ?
Nous sommes partis du travail élaboré par le comité Gollac qui a
classé les risques psychosociaux en six dimensions :
- les exigences du travail, c’est à dire la quantité de travail, la pression temporelle, la complexité du travail et la difficulté de conciliation entre travail et hors travail
- les exigences émotionnelles, qui mesurent la charge émotionnelle qui est évaluée dans la relation avec le public, l’empathie et le contact avec la souffrance, les tensions avec le public, l’obligation de cacher ses émotions et enfin la peur du travail
- l‘autonomie et les marges de manœuvre, qui concernent l’autonomie procédurale, la prévisibilité du travail, l’utilisation et le développement des compétences et, enfin, la participation dans la prise des décisions
- les rapports sociaux et relations au travail, qui couvrent tout ce qui a trait à l’interaction avec les collègues ou supérieurs hiérarchiques, la violence au travail, le leadership et la reconnaissance de l’effort accompli
- les conflits de valeur, qui sont mesurés principalement par les conflits éthiques
- l’insécurité de l’emploi, définie comme étant l’impuissance ressentie à préserver la continuité souhaitée dans une situation de menace sur l’emploi
Nous avons ensuite mesuré, pour un individu donné, dans un contexte de changement organisationnel, quelles sont les dimensions qui jouent le plus sur son risque psychosocial.
Vous parlez de changement organisationnel déclaré et
perçu, quelle différence en termes de risque
psychosocial ?
Elle est fondamentale. En effet, les changements organisationnels
mis en œuvre par les entreprises ne sont pas tous perçus par les
salariés. Ainsi lorsque 68% des entreprises déclarent avoir mis
en place un changement organisationnel au cours de l’année
écoulée, seulement 46% des salariés de ces mêmes entreprises ont
perçu le changement.
Si l’on se place au niveau des changements organisationnels
déclarés (par les entreprises), ces changements ne génèrent des
risques psychosociaux qu’à court terme et uniquement sur la
dimension « Exigences du travail ».
Par contre, si l’on mesure les risques psychosociaux lorsque les
changements organisationnels sont perçus par les salariés,
l’augmentation est nette et concernent pratiquement toutes les
dimensions.
En dehors des changements organisationnels, vous avez
aussi mesuré l’effet de certains outils de gestion sur les
risques psychosociaux ?
En effet, nous avons mesuré l’effet de la certification qualité,
de la certification environnementale et de l’organisation en
équipes de travail autonomes, notamment à travers le lean
management. Les résultats sont encourageants puisqu’ils semblent
indiquer que de manière générale, ces trois outils n’ont pas
d’impact, voire diminuent les risques psychosociaux.
Retrouve-t-on des caractéristiques similaires chez les
salariés les plus sensibles aux risques psychosociaux ainsi
qu’au niveau des entreprises concernées ?
C’est l’un des enseignements de cette étude. On retrouve des
caractéristiques communes chez les salariés les plus affectés par
les risques psychosociaux : plutôt des hommes, de moins de
50 ans, travaillant dans des entreprises de 250 à 500
salariés, issues du secteur du transport. Ce constat est à
nuancer si l’on fait une analyse par dimension. Par exemple les
femmes ont un risque psychosocial plus important que les hommes,
dans les dimensions « Conflits de valeur » et « Rapports
sociaux et relations au travail ».
Quelles recommandations pratiques formulez-vous en
conclusion de cette étude ?
Un constat tout d’abord : il n’existe pas aujourd’hui
d’évaluation fiable, actualisée des coûts économiques et sociaux
des risques psychosociaux. Certes ce n’est pas la dimension la
plus importante pour un phénomène qui touche à la relation entre
l’homme et le travail mais ce serait une base objective de
dimensionnement qui pourrait également permettre de mesurer son
évolution dans le temps.
Nos recommandations portent ensuite sur deux axes :
- Activer un réseau de surveillance sur les bonnes pratiques au niveau des branches professionnelles, ce qui permettrait aux pouvoirs publics d’avoir une remontée des informations et de pouvoir mettre en place des actions adaptées.
- Rédiger un livret de bonnes pratiques proposant des accords-types et une introduction à la gestion des risques psychosociaux. Ce livret serait un outil d’accompagnement utile pour les employeurs et les instances représentatives du personnel qui se trouvent souvent démunis face à l’émergence de risques psychosociaux.
En savoir plus
- Changements au sein des entreprises et risques psychosociaux pour les salariés, par Marc-Arthur Diaye pour le Centre d’Analyse stratégique, déc. 2012 : http://www.strategie.gouv.fr/.../2012-12-20_-_dt_risquespsychosociaux_-_dt11.pdf
- Les risques psychosociaux au travail : les indicateurs disponibles, étude DARES, déc. 2010 : http://travail-emploi.gouv.fr/.../2010-081-2-2.pdf
- Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser, rapport du collège d’expertise présidé par Michel Gollac sur le suivi des risques psychosociaux au travail, mai 2010 : http://www.travailler-mieux.gouv.fr/.../rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf
- Bien-être et efficacité au travail, dix propositions pour améliorer la santé psychologique au travail, présenté par Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, fév. 2010 : http://travail-emploi.gouv.fr/.../02_17_Rapport_-Bienetre_et_efficacite_au_travail-.pdf