Quels sont selon vous les changements majeurs qu’apporte
la proposition de loi sur la santé au travail ?
Selon moi, cette loi est dans la continuité des lois précédentes
qui rapprochent le système de prévention d’un système
d’assistance à la gestion des risques, davantage au service de
l’employeur que de la protection des salariés.
Il y a par ailleurs un décloisonnement avec la santé publique qui
est maladroit. Le système de prévention devrait s’axer sur les
risques professionnels et s’attacher à les supprimer plutôt que
s’axer sur des problématiques de santé publique générale.
L’hygiène de vie, la lutte contre les addictions, etc. devraient
rester des préoccupations secondaires en santé au travail. Au
contraire, les expositions professionnelles aux produits
cancérogènes ou le développement des risques psychosociaux
gagneraient à être envisagés comme des problématiques de santé
publique à part entière, car leurs effets sur la santé de la
population sont dévastateurs.
De plus, le projet de loi insiste sur la responsabilité
individuelle des salariés dans la prévention. L’idée du passeport
prévention est une manière de dire « si les salariés étaient
mieux formés, il y aurait moins d’accidents et de maladies
professionnelles ». Il y a effectivement des besoins en
formation, mais les expositions professionnelles sont un
phénomène collectif. Ce sont donc prioritairement les conditions
de travail qu’il faut s’attacher à améliorer par la prévention,
or ce n’est malheureusement pas ce que la loi met en avant.
Certains s’inquiètent de la confidentialité des données
concernant le passeport prévention. Est-ce votre cas
?
Ce qui est problématique, c’est que l’on parle de partager les
données entre les médecins de ville et les médecins du travail.
En théorie, cela pourrait être une bonne idée, car cela permet
d’avoir toutes les informations pour prendre les bonnes
décisions. Mais en pratique, cela peut entraîner des dérives,
dont la sélection des travailleurs pour ne garder que les «
bien-portants », et donc des discriminations. Jusqu’à présent, le
système cloisonnait les informations et le salarié n’était pas
tenu de révéler toutes ses problématiques de santé. Le risque de
glissement est donc bien réel.
Quelles seraient les solutions à envisager pour pallier
le manque de médecins du travail ?
À mon avis, cette loi va aggraver la pénurie. Il est prévu
d’introduire des médecins correspondants, donc d’ouvrir la
spécialité à des non-spécialiste. C’est un changement majeur, car
cela signifie ouvrir une spécialité à des non-spécialistes, après
une formation dont ne sait pour le moment ni le contenu ni la
durée. Et comment, en rendant une spécialité médicale accessible
à d’autres médecins, pourrait-on garder le même degré
d’attractivité ? Quel serait l’intérêt pour des internes en
médecine de choisir une spécialité qui peut être exercée par
d’autres médecins ? Tout cela participe à nier la spécialité, les
spécificités et l’expertise autour du milieu du travail, la
connaissance des expositions professionnelles, des pathologies
développées à la suite de ces expositions… La première chose à
faire serait donc de se demander ce qui anime les internes à
encore choisir la médecine du travail et de rendre la spécialité
attractive. Car il s’agit d’un métier passionnant et varié. Il
faudrait se questionner, en tant que société, sur ce que l’on
attend d’un système de prévention, pour motiver tous les acteurs
qui souhaiteraient s’insérer dans le milieu.
Un autre levier serait d’améliorer la formation en médecine du
travail et en pathologies professionnelles dispensée à tous les
médecins, car il est important de donner une formation solide à
tous pour aider la prévention. Actuellement, beaucoup de
praticiens constatent des pathologies sans forcément faire le
lien avec le milieu du travail.
Y a-t-il un autre point que vous souhaitez soulever
?
Dans le projet de loi, il y a une vraie volonté d’inclure les
indépendants, de repenser le système. Mais il n’y a aucune
mention du système prévention pour la fonction publique, qui est
vraiment catastrophique. Je pense qu’il est urgent de s’occuper
aussi de la santé des fonctionnaires.
En savoir plus
- Proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail - Assemblée nationale
-
Proposition de loi pour renforcer la
prévention en santé au travail : adoption en 1re lecture à
l’Assemblée nationale - Ministère du Travail, de
l'emploi et l'insertion