Comment êtes-vous devenu « croqueur de
feu » ?
La passion du camion de pompier, je l’ai attrapé tout petit et
elle ne m’a jamais quitté. Déjà à 6-7 ans, je dessinais des
camions partout ! Alors j’ai fait une formation en arts
graphiques et j’ai commencé à faire des croquis de reportage pour
la revue Allo 18. Au fur et à mesure, mes croquis sont devenus de
plus en plus techniques et j’ai mis au point un procédé de
croquis rapide en 3D qui permettait d’avoir une vision immédiate
et évolutive des bâtiments et du sinistre. Les équipes
opérationnelles ont compris que ces croquis pouvaient leur
apporter un plus dans leur lutte contre la propagation du
feu et m’ont alors demandé d’approfondir ma technique.
Concrètement, comment se passe une
intervention ?
Le dessinateur est appelé sur les gros incendies, sur lesquels il
y a une demande de renforts, mais il m’est aussi arrivé
d’intervenir sur des accidents de métro, des attentats, des
effondrements : l’attentat de la station du RER Saint-Michel en
1995, l’incendie du Tunnel du Mont Blanc en 1999, l’explosion de
l’usine AZF en 2001…
Lorsque l’on arrive sur le lieu de l’incendie, il faut aller
vite, très vite. En quelques minutes, on doit être capable de
comprendre et retranscrire la configuration des lieux, anticiper
les axes de propagation du feu et donner aux opérationnels sur le
terrain ainsi qu’à l’état major des informations précises sur
l’agencement des locaux, les couloirs, les courettes, les cages
d’escalier, … tous les chemins par lesquels le feu peut
progresser.
10 mn pour rendre un croquis opérationnel, une course
contre la montre ?
Effectivement, c’est sportif ! Pour que le croquis soit
explicite, il faut choisir les bons points de vue, monter sur les
grandes échelles, se poster sur les toits, explorer le
bâtiment en quelques minutes, se rapprocher au plus près des
flammes, dessiner vite et bien. Pas toujours simple au milieu de
la fumée, des lances à incendie, dans la chaleur… et de plus en
tenue de feu. Mais on est pompier avant tout, et avec
l’expérience, on devient capable de faire face au stress en
toutes circonstances, et de garder sa seule mission en ligne de
mire.
A l’heure du multimedia et de la palette graphique, votre métier
n’est-il pas amené à disparaître ?
Bien au contraire, les nouvelles techniques de communication
m’ont apporté beaucoup en termes de précision et de réactivité. A
mes débuts, il n’y avait rien comme moyen de transmission entre
moi et l’état major, puis est arrivé en 1990 le fax mais avec un
usage limité au noir et blanc. Aujourd’hui, lorsque le
dessinateur arrive sur le lieu d’un sinistre, il branche son
smartphone pour avoir une vue satellite des lieux, ce qui lui
permet déjà d’avoir une bonne vision d’ensemble. Puis, au fur et
à mesure que les croquis sont réalisés, ils sont remis au
commandement opérationnel sur place et photographiés pour être
envoyés par MMS à l’Etat Major. Néanmoins, l’outil de travail
principal n’a pas changé depuis 47 ans : un bloc et trois
feutres, un noir pour les traits, un gris pour le relief et les
ombres et l’orange pour le feu.
Ce métier si singulier, d’autres personnes
l’exercent-elles à travers le monde ?
Je suis resté très longtemps le seul et c’est une spécialité au
niveau mondial qui n’existait qu’au sein de la Brigade des
Sapeurs Pompiers de Paris. Malgré toute son utilité, cette
technique est restée peu médiatisée. Aujourd’hui, cela change et
les croquis opérationnels commencent à se développer.
Pour ma part, après 47 ans de carrière et plusieurs centaines
d’interventions, j’ai raccroché définitivement le casque l’année
dernière.
Je me consacre désormais à la transmission de mes techniques et
de mon savoir-faire. J’ai ainsi recruté et formé sept
pompiers-graphistes à Paris, qui sont de garde 7 jours sur 7 et
réalisent une centaine d’interventions par an. Je continue à les
suivre de près, ils m’envoient leurs croquis et je les conseille,
les aide pour travailler toujours plus vite et mieux. Je vais
également former une quinzaine d’officiers à Genève et je
travaille aussi à la réalisation d’une base de données
opérationnelles de vues 3D des édifices complexes, ceci afin de
préparer d’éventuelles interventions sur des sinistres. La lutte
contre le feu au travers de l’image, c’est une passion, je ne
pourrai jamais complètement raccrocher !

Pour en savoir plus
« Croqueurs de feu - Le croquis opérationnel,
pourquoi, comment ? »
par René Dosne aux éditions France Sélection : http://www.franceselection.fr/boutique/Librairie/E0391.asp