Entretien croisé entre Elisabeth Sellos-Cartel, adjointe au Délégué aux coopérations de sécurité chargée de la vidéoprotection, au ministère de l'Intérieur et Luc Jouve, Président de GPMSE Installation
En décembre dernier, Elisabeth Sellos-Cartel, adjointe au Délégué
aux coopérations de sécurité chargée de la vidéoprotection, au
ministère de l'Intérieur, a présenté devant de nombreux acteurs
concernés par cette évolution le nouvel arrêté technique relatif
à la vidéoprotection, destiné à remplacer l'arrêté technique du 3
août 2007.
L’objectif était de recueillir leurs demandes de modifications,
d’ajouts, de suppression… Bref, un véritable travail de longue
haleine et de réelle concertation. GPMSE Installation a
d’ailleurs validé cette proposition de texte.
Les normes techniques de l'arrêté du 3 août 2007
étant considérées comme obsolètes, vous travaillez depuis
plusieurs mois à la révision de ce texte. Pouvez-vous revenir sur
l’origine de cet arrêté et nous expliquer les raisons de cette
nécessité de révision aujourd’hui ?
Elisabeth Sellos-Cartel : Les dispositifs de
vidéoprotection dans l’espace public doivent être préalablement
autorisés par le préfet du département du lieu d’installation
depuis la loi du 21 janvier 1995 codifiée désormais au titre V du
code de la sécurité intérieure (CSI), et son décret d’application
du 17 octobre 1996 modifié, dont les dispositions sont inscrites
aux articles R 251-1 à R253-4 du CSI. Initialement ce texte
n’imposait aucune exigence technique.
L’arrêté du 3 août 2007 est né des travaux de l’inspection
générale de l’administration qui en 2005, en écho aux attentats
de Londres, s’est vue confier la mission de dresser un état des
lieux de la vidéoprotection.
Ces travaux ont dressé, en substance, les constats suivants : peu
de développement en voie publique, dispositif dans les transports
plus dirigé sur la gestion des flux que sur la sécurité des
voyageurs, images généralement de mauvaise qualité et donc peu
exploitables a postériori, systèmes installés sans concertation
avec les forces de sécurité intérieure.
La loi anti terroriste du 24 janvier 2006 prend en compte ces
conclusions et introduit, entre autre, la disposition suivante «
les systèmes de vidéosurveillance installés doivent être
conformes à des normes techniques définies par arrêté ministériel
… »
Un premier arrêté vit le jour en septembre 2006 mais, peu précis
et contesté dans son application immédiate. Il est alors abrogé
et un second arrêté est repris le 3 août 2007, plus précis et
abondé d’annexes techniques.
La question se pose aujourd’hui de l’évolution de cet arrêté au
regard des évolutions technologiques dans ce domaine et des
résultats que l’on peut en espérer.
La vidéoprotection a bénéficié d’innovations, conduisant de plus
en plus de dispositifs à tendre vers l’IP, au détriment de
l’analogique. Par ailleurs et c’est paradoxal, il se trouve que
certaines propositions techniques, très performantes pour autant,
voire davantage encore que les systèmes respectant les exigences
de cet arrêté, ne semblent pas pouvoir être mises en oeuvre, du
fait justement des exigences posées en termes de nombre d’images
secondes (je vise ici les caméras offrant un nombre de pixels
supérieur à 16 millions de pixel). Or, il faut pouvoir en
intégrer le principe d’utilisation.
Par ailleurs, malgré les progrès enregistrés grâce à l’arrêté du
3 aout 2007, il apparait toujours de nombreux cas de figure où
l’identification d’auteurs de délits ou crimes reste difficile,
comme cela a pu être le cas ces deux dernières années.
Il apparait, par ailleurs, que suite aux recommandations récentes
de l’ANSSI sur la sécurité des systèmes, des recommandations plus
élaborées, voire des exigences pertinentes relatives à la
garantie de la confidentialité des images, afin d’éviter leur
contestation dans le cadre de procédures ou leur usage dévoyé, ne
serait pas inutile.
Pour toutes ces raisons, nous avons donc considéré, ces derniers
mois, que de nouvelles caractéristiques techniques pouvaient être
posées, de façon à assurer une qualité minimum des images et de
leur transmission. La finalité étant qu'elles puissent être
exploitées dans de meilleures conditions par les forces de
l’ordre, principalement.
Je souligne cependant que L’Administration ne souhaite pas
s’inscrire dans une démarche qui ouvrirait la brèche à une
surenchère en matière de coût des systèmes pour autant. Il faut
d’ailleurs sans doute éventuellement raisonner de façon graduée
dans la mesure où il existe divers systèmes qui ne poursuivent
pas forcément les mêmes finalités ni les mêmes enjeux et nous
devrions nous orienter vers un texte qui prenne en compte ces
différences.
Quels étaient, pour vous, les acteurs à associer pour la
révision de cet arrêté ?
Elisabeth Sellos-Cartel : Comme je l’ai souligné,
théoriquement seuls les dispositifs installés dans l’espace
public (voie publique, lieux ouverts au public, NDLR), et
relevant de l’autorisation préalable au préfet, sont
obligatoirement soumis à ces exigences techniques définies par
l’arrêté du 3 août 2007.
Les évolutions à apporter à ce texte concernent donc,
prioritairement les responsables de sécurité en charge de sites
recevant du public. Des travaux préliminaires avaient été
effectués, en ce sens, via différentes organisations et j’ai créé
un groupe de travail interne regroupant les représentants des
services opérationnels et techniques. Nous avons souhaité
présenter ce document à un groupe élargi d’acteurs concernés,
représentant à la fois les donneurs d’ordre comme les grands
opérateurs des transports publics, les groupes bancaires, les
représentants des entreprises commerciales et les groupements
professionnels symbolisant et défendant les intérêts de
l’ensemble de la profession des métiers de la sécurité
électronique.
En tout, une quarantaine de personnes ont été conviées à cette
réunion, en décembre dernier. Chacun est reparti avec le document
rédigé, de façon à pouvoir l’étudier et renvoyer ses commentaires
et suggestions avant le 15 février 2017. En effet, il nous parait
essentiel que chaque acteur concerné par cette évolution puisse
s’exprimer, argumenter sur la possibilité ou non de pouvoir
appliquer ces futures directives, en expliquant les raisons et en
proposant une alternative.
Nous avons reçu, à ce jour, une réponse de quasiment chaque
interlocuteur présent. Certains se disent prêts et pensent
pouvoir appliquer, ou faire appliquer ces nouvelles conditions.
D’autres demandent des réajustements. Nous analysons
l’intégralité des réponses et modifieront quelque peu la première
version en fonction de ces retours.
Dans cette révision, vous n’avez pas souhaité intégrer
les nouvelles technologies, comme les robots, alors que les
médias relatent de plus en plus d’expérimentations via des
drones. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?
Elisabeth Sellos-Cartel : Pour pouvoir intégrer ces
nouvelles technologies dans un arrêté technique, il faut, au
préalable, que ce type d’innovation soit conforme à la
législation en vigueur. Or, aujourd’hui, plusieurs raisons font
que le drone ne peut être un outil permanent de sécurité et de
vidéoprotection. En premier lieu, je rappellerais que l’usage de
drones équipés d’une caméra doit tenir compte de la Loi
Informatique et Libertés, le code de la sécurité intérieure mais
aussi et avant tout une réglementation relevant de la DGAC. Il
est très difficile, aujourd’hui, de mettre en place des zones
masquées, via une caméra portée sur un drone.
Je rappelle que la Loi du 24 octobre 2016, relative au
renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils, vise à
faire évoluer la réglementation de l’usage des drones, afin de
responsabiliser les usagers et de prévenir les usages
indésirables. Elle prévoit un régime d’enregistrement par voie
électronique des drones au-delà d’un certain poids, défini par
décret. Ce qui ne semble pas aller vers une libéralisation du
champ d’exploitation possible de ces dispositifs, pour le
législateur. Par ailleurs, l’autonomie d’un drone reste limitée,
et par là même l’éventualité d’un accident est conséquente.
Enfin, un enjeu social est également à prendre en compte.
Sommes-nous prêts à voir, demain, voler des drones au-dessus de
nos têtes ?
En tant que
Président GPMSE Installation, vous avez assisté à cette réunion,
le 20 décembre dernier. Quelles ont été vos premières impressions
?
Luc Jouve : En préambule, je tiens à souligner que les
travaux préparatoires avaient été très bien menés. Aussi, lors de
cette réunion, j’ai eu le plaisir de découvrir un contenu fort
intéressant, fruit d’une réflexion approfondie, réalisée par un
groupe de travail fort impliqué dans cette démarche.
J’ai également été ravi de remarquer à quel point les initiateurs
de ce projet souhaitaient impliquer un large panel représentatif
des acteurs concernés par l’évolution de cet arrêté. En outre,
durant cette réunion, les questions posées furent très
pertinentes, ce qui a montré le vif intérêt et la volonté
d’implication des personnes présentes.
Après analyse du texte rédigé, vous avez confirmé que la
rédaction de cet arrêté vous convenait. Cela signifie-t-il que la
profession que vous représentez est prête ou en marche
?
Luc Jouve : Tout d’abord, il est évident que la révision
de l’arrêté technique du 3 août 2007 était nécessaire, et
attendue par les professionnels du secteur, les technologies
vidéo étant celles qui évoluent le plus vite et ce, au quotidien,
dans le domaine de la sécurité électronique. De ce fait, la
qualité des images est de plus en plus probante et les
dispositifs de vidéoprotection installés doivent permettre aux
forces de l’ordre d’exploiter au mieux les images enregistrées ;
celles-ci devant leur apporter des éléments factuels.
Je tiens toutefois à préciser que, si GPMSE Installation milite
depuis longtemps en faveur d’une technologie de plus en plus
performante, et de plus en plus ouverte, nous ne recommandons
aucunement la surenchère de technologies de pointe, la maîtrise
des coûts étant, pour nous, prioritaire.
En outre, les avancées technologiques doivent également tenir
compte de la transmission des données, celle-ci étant parfois
bien en deçà de ce qui pourrait être prétendu, du fait du
sous-dimensionnement du dispositif et notamment du réseau.
Je citerais, entre autres, la technologie 4K : rien ne sert
d’investir dans des caméras 4K, si le reste du matériel n’est pas
adéquat, comme l’écran, par exemple. Le résultat ne sera pas à la
hauteur du souhait et l’investissement dans ce type de matériel
sera une pure perte.
Par ailleurs, j’atteste que la profession est bien en marche vers
cette prochaine évolution des textes. Aujourd’hui, je peux
confirmer que la plupart de nos adhérents utilisent déjà ou
mettent en oeuvre des technologies supérieures à ce qui était
préconisé en 2007.
Quelles sont vos actions aujourd’hui, auprès de vos
adhérents ?
Luc Jouve : Avant de confirmer à Mme Sellos-Cartel
l’approbation de ce texte, en l’état, les propositions
d’évolutions techniques contenues dans le texte qui nous avait
été remis ont été présentées et validées en Conseil
d’Administration.
GPSME Installation attend donc aujourd’hui, avec sérénité et
impatience la publication de ce nouvel arrêté.
D’une façon plus générale, GPMSE Installation a pour vocation
d’informer ses adhérents, via des échanges permanents, de façon à
enrichir notre profession, la professionnaliser, en menant des
actions concrètes, mais également en participant à des réunions
plus stratégiques avec les pouvoirs publics.
A ce sujet, en tant que Président de GPMSE Installation, face à
ces évolutions technologiques mais aussi face aux risques de
cyber attaques et de tentatives d’intrusion dans les systèmes, je
réitère notre plus vif désir, au sein de notre organisation, de
la mise en place d’une enquête de moralité. En effet, il nous
semble indispensable de s’assurer de la bonne moralité des
techniciens installateurs qui mettent en service des dispositifs
de videoprotection ou d’intrusion, au quotidien, ceux-ci étant
très souvent titulaires d’informations sensibles et stratégiques
qui leur permettent d’agir aisément sur le système. Notre
objectif, depuis de très nombreuses années, est de pouvoir
travailler avec les pouvoirs publics, concernant ce sujet, et
avec les autres groupements de la profession, de façon à ce que
rapidement, le CNAPS puisse donner une autorisation à ces
professionnels, après enquête de moralité.
Ainsi, si GPMSE Installation n’est pas favorable à la mise en
place d’un CQP technique, considérant que les acteurs de ces
métiers ont largement les compétences, enquêter et valider la
bonne moralité de ces professionnels est devenue une urgence
!