La prise en compte assez massive de la question des risques psychosociaux par les organisations publiques et privées, marque incontestablement une avancée dans la promotion de la santé au travail. Sur ce plan, le signal (contesté par certain mais certainement significatif) semble bien avoir été le lancement, par Xavier Darcos alors Ministre du travail, en octobre 2009, du « plan d’urgence face au stress au travail », dont son successeur Xavier Bertrand a dressé un bilan d’étape en avril 2011.
Les entreprises d’abord, la fonction publique, rapidement ensuite, semblent avoir dans l’ensemble mesuré l’importance du problème et compris que leur responsabilité en matière de préservation de la santé physique et mentale des salariés était plus souvent évoquée, que la jurisprudence évoluait et qu’il était attendu plus d’implication des employeurs privés et publics dans ce domaine.
En même temps, les institutions ou les acteurs publics ont rapidement produit des aides permettant de guider cette démarche complexe, qui consiste à mettre en œuvre une démarche sensible, multiforme, structurée dans l’ambition et le temps. C’est ainsi que la Direction générale du travail (DGT), la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), l’INRS, mais aussi les travaux et publications de l’ANACT, les divers rapports ministériels sur le sujet, définissent un nouvel « état de l’art en matière de bien-être au travail et de prévention des risques psychosociaux ».
Au regard de cette approche globale de la qualité du travail et
de la qualité de vie au travail, le projet collectif de
développement des compétences en matière de prévention des RPS
joue un rôle déterminant : nous l’appelons «
professionnalisation ». Dans ce contexte, nous formulons
l’hypothèse que la professionnalisation de l’encadrement (comme
processus et comme groupe professionnel) joue un rôle
central.
En effet, il est attendu dans les processus d’encadrement
(supérieur comme de proximité) le développement d’une meilleure
compréhension des contextes ainsi qu’une vigilance plus grande
sur les situations de souffrance des personnes de leurs équipes.
Souvent, les démarches de formation ont également pour ambition
de sensibiliser les cadres à l’identification des personnes en
difficultés, déterminer les indicateurs de signaux d’alerte,
préciser les procédures à intégrer… Par ailleurs, la plupart du
temps les projets de formation s’effectuent en une fois de 2 à
0,5 journée. Enfin, il arrive qu’aucun responsable hiérarchique
ou représentant des ressources humaines ne vienne présenter aux
stagiaires les objectifs, ni l’état des réponses mises en œuvre
ou les attentes de l’organisation. La formation est d’ailleurs
dispensée dans la plupart des cas par des spécialistes de la
formation plutôt que par des spécialistes de la santé sécurité au
travail et de la prévention des risques psychosociaux.
Toute l’expérience de la prévention invite pourtant à se méfier
des formes simplifiées et standardisées, surtout sur un sujet
aussi difficile. Il est évidemment peu probable que la formation
des cadres développées sur un mode si superficiel génère sur le
long terme les effets escomptés. La prise en compte réelle et
durable des risques psychosociaux dans l’organisation ne peut que
générer un questionnement sur l’organisation, ses attentes et ses
finalités.
La professionnalisation de l’encadrement sur le sujet demande que
les directions (au plus haut niveau) s’impliquent – durablement -
dans la recherche de solutions construites collectivement et
acceptent le défi d’assumer les contradictions qu’elle fait peser
sur ses cadres soumis aux fortes prescriptions descendantes (de
l’encadrement supérieur) et remontantes (des salariés,
agents...).
Sans cela, comment chaque encadrant peut-il s’acquitter des
responsabilités nouvelles qu’on lui transfère de fait à travers
la démarche de formation ? Comment peut-il être acteur
conscient et actif d’un processus collégial dont il ignore les
modalités ? Comment peut-il se convaincre et prendre en
considération le message préventif s’il n’a pas le sentiment que
sa direction est effectivement engagée à ses côtés dans ce
processus complexe ? Comment va-t-il résoudre les
contradictions, voire les injonctions paradoxales que la
formation ne manquera pas de produire ?
Le processus de professionnalisation des cadres affichera des
objectifs ambitieux quand les contradictions qu’il génère
inévitablement dans les échanges de pratique seront intégrées et
portées par l’organisation toute entière. Faire porter la
prévention seulement sur quelques personnes, même encadrantes,
c’est limiter la portée du message préventif.
Des décentrements sont donc nécessaires en plaçant les parties
prenantes (équipes de direction, services RH, services formation)
au cœur des problématiques du travail réel et en faisant de la
santé et de la sécurité au travail (SST) un véritable enjeu de
gouvernance qui favorise le développement de nouveaux espaces
partagés de professionnalité (en particulier au sein des CHSCT).
Pour se faire, des reconfigurations culturelles sont à opérer en termes de travail, de formation et d’apprentissage, il s’agit de quitter le registre de la tension souffrance/plaisir au travail pour celle de bien-être au travail et de la promotion de la SST et de passer de la « culture » de l’approche par le risque professionnel à la socio production et à la socio construction du travail et de la SST dans et par le travail. Dans cette perspective, l’encadrement ne sera plus « stigmatisé » sur sa responsabilisation pénale mais sollicité en termes de « contribution responsable » sociale, économique et environnementale. Enfin, la peur de l’autre (psycho) et du collectif (social) sera supplantée par l’organisation de controverses sur les métiers (passant ainsi des jeux de conflits stériles aux défis de conflictualités apprenantes).
En termes d’actions concrètes, plusieurs ruptures s’offrent
également aux parties prenantes. La première consiste à intégrer
la SST dans les processus décisionnels de l’encadrement au plus
haut niveau. La seconde demande de repenser les processus
d’apprentissage et de construction des compétences, d’une part,
en se plaçant dans des logiques d’action-formation-recherche et
d’analyses de pratiques et, d’autre part, en concevant des
formations pluridisciplinaires (encadrants, préventeurs,
représentants du personnel), distribuées dans le temps (½
journées), intégratives (prenant en compte le réel du travail des
acteurs et de leurs rôles).
Nous considérons donc qu’aujourd’hui il ne s’agit plus de former
l’encadrement par la sensibilisation à la prévention des risques
psychosociaux. A l’instar de la démarche d’évaluation des
risques, nous faisons l’hypothèse conclusive que seules les
approches globales du travail, des situations de travail et
d’apprentissage permettront de repenser les conditions et les
processus de construction et de développement des compétences
individuelles et collectives en matière de SST ; nouvelle
voie de la professionnalisation des acteurs, des activités, des
organisations et des territoires.
Sources :
- Yves Grasset
Violences Travail Environnement (VTE)
http://www.vte.fr/
- Max Masse
Institut national du travail de l’emploi, et de la formation
professionnelle
Mission santé et sécurité au travail dans les fonctions
publiques
http://www.intefp-sstfp.travail.gouv.fr/