Danièle Linhart - CNRS : « Si nous ne faisons pas sauter le verrou du lien de subordination, nous ne parviendrons pas à repenser le travail »

« Si nous ne faisons pas sauter le verrou du lien de subordination, nous ne parviendrons pas à repenser le travail »

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Organisation du travail
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17/03/2021
Danièle Linhart  - CNRS
Danièle Linhart
Sociologue, directrice de recherche émérite
CNRS

Les études montrent que la satisfaction des télétravailleurs a diminué au cours du deuxième confinent. Danièle Linhart, sociologue, autrice de nombreux ouvrages sur le travail tente d’expliquer pourquoi et quelle en seront les conséquences.

On remarque une différence entre l’état d’esprit des télétravailleurs pendant le premier confinement et pendant le second. Quelle est-elle ?
Au début, lors du premier confinement, certains salariés étaient contents d’être en télétravail. Ils avaient le sentiment en étant chez eux, d’être protégés du virus, que l’entreprise pensait à leur santé. Mais ils étaient aussi contents de fuir le milieu du travail qui ne leur apporte pas de véritable stimulation, qui n’est pas attractif, qui peut même compoter des éléments délétères pour la santé physique et mentale.
Mais, ce que les salariés ont découvert c’est une exacerbation des côtés négatifs du travail pendant le télétravail.

Quels sont-ils ?
Face à son ordi, tout seul, chez lui, le salarié ressent une montée en puissance de la dimension formelle, abstraite, prescrite du travail. Le contenu du travail reste très largement inspiré par l’esprit taylorien : procédures, protocoles, process, reporting, modalités de contraintes et de contrôle, etc. Le salarié n’a pas la possibilité d’influencer le contenu de son travail. Ce caractère prescrit donne un sentiment encore plus fort de perte de sens du travail, de sa finalité.
Le salarié vit un sentiment de déréalisation.
A cela s’ajoute l’isolement, le besoin des autres augmente pendant le télétravail. Sur le plan de la qualité des relations de travail il y a une aggravation. Même si les collègues sont parfois des concurrents, c’est quand même des gens avec qui l’on peut échanger, discuter, rigoler.

Beaucoup d’entreprises tendent vers un système hybride, moitié télétravail, moitié présentiel. Quelles en seraient les conséquences ?
Si les salariés retournent deux ou trois jours au travail ça ne va pas améliorer la situation. « On est chez soi c’est pire, on est sur le lieu de travail ce n’est pas mieux. »

Nous sommes à un moment historique. Il faudrait pouvoir mobiliser l’intelligence collective afin de reconsidérer un travail qui ne soit pas délétère pour la santé mentale et physique des salariés ni pour les ressources de la planète.

Quand les salariés sont chez eux, la capacité d’avoir une action collective, notamment via les organisations syndicales est fortement mise en question. Il est beaucoup plus difficile pour les syndicats d’intervenir, de poser des questions, de mener des enquêtes sur les conditions du vécu du travail, de sensibiliser les salariés, de promouvoir des formes de mobilisation, etc.
Il y a un risque que les choses restent figées. L’espoir de transformation positive risque d’aller en s’amenuisant. D’autant plus que les salariés sont pris par ce verrou de la subordination.

Comment faire sauter ce verrou ?
Cela passe par une sensibilisation de l’opinion publique et citoyenne qui, pour l’heure, n‘est pas très compréhensive à l’égard des salariés. En France, il y a cette idée que l’on ne travaille pas beaucoup, qu’il y a les 35h, notre code du travail « surdimensionné », que nos fonctionnaires en font le moins possible, etc. Ce qui est totalement faux. Quand on regarde l’intensité du travail, la productivité horaire en France est l’une des plus fortes. L’engagement des français dans le travail est très fort. Toutes les enquêtes montrent que la valeur travail est extrêmement importante.

Les médias ont un rôle important à jouer. Si on veut que le verrou saute il faut mener une lutte idéologique pour montrer la qualité de l’engagement des salariés français et montrer en quoi ce verrou de subordination est un rempart contre la remise en question des formes d’organisation du travail qui sont délétère pour les salariés et pour l’avenir de notre planète.

Connaissez-vous d’autres modèles d’organisation pour le travail ?
Il n’y a pas d’autres modèles qui existent ailleurs dont nous pourrions nous s’inspirer. La mondialisation a remodelé complètement les modalités de production de la planète. Mais rien n’empêche de libéré de l’intelligence pour construire un autre modèle ! Il faut avancer en marchant et pour marcher il faut faire sauter le verrou de subordination et planter de façon fondamentale les nécessité et les véritables finalités auxquelles doit répondre le travail.