Alexis Descatha - Centre Hospitalier Universitaire d'Angers : Travail prolongé : des risques cardiovasculaires plus importants après 10 ans

Travail prolongé : des risques cardiovasculaires plus importants après 10 ans

SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL ||
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20/04/2022
Alexis Descatha - Centre Hospitalier Universitaire d'Angers
Alexis Descatha
Professeur des universités et praticien hospitalier en médecine et santé au travail (Spécialiste épidémiologie et risques professionnels)
Centre Hospitalier Universitaire d'Angers

Les chercheurs en santé au travail essayent sans cesse de trouver des liens entre des facteurs identifiables et l’apparition de risques professionnels, voire de pathologies, afin d’améliorer la prévention et les prises en charge. Le professeur Alexis Descatha fait un point sur l’état des connaissances sur les liens probables entre le travail prolongé et les risques cardiovasculaires.

À l’heure actuelle, que savons-nous des liens entre les risques cardiovasculaires et un travail intense ou prolongé ? Comment définir le « travail prolongé » sur lequel vous vous penchez ?
L'OMS et l'OIT se sont penché un petit peu sur ces questions il y a quelques années, notamment pour essayer de hiérarchiser les risques modifiables et identifier les priorités de prévention en santé publique. Avec plusieurs chercheurs, il nous a été demandé de réaliser une revue systématique pour essayer de déterminer l’état de la science sur le lien entre le travail prolongé et les risques cardiovasculaires, en consultant la littérature scientifique. Nous nous intéressons aux « mauvaises conditions de travail », mais encore faut-il définir cela. C’est pourquoi nous nous sommes appuyés sur la notion de travail prolongé, qui bénéficie déjà d’une règlementation à plusieurs échelles.
Pour faire simple, le travail prolongé, c’est travailler plus de 55h par semaine. Nous observons déjà des effets sur la santé à partir de 50h par semaine. Un autre moyen de le définir, c’est « travailler plus de 10h par jour pendant au moins 50 jours durant une année ». Derrière cette notion, plein de choses se cachent et nous sommes justement en train de les étudier, mais plusieurs collègues ont montré que le travail prolongé tel que je viens de le définir était associé à des pathologies cardiovasculaires de deux types :

  • Des AVC
  • Ce qu’on peut résumer par des infarctus du myocarde

Nous pouvons retrouver un effet modeste, mais assez significatif pour un travail de plus de 55h. Néanmoins, d’après l’analyse des données françaises, ce risque n’est réellement important que si l’exposition est prolongée pendant au moins 10 ans.


Existe-t-il déjà des pistes de réflexion concernant la prévention ?
Nous avons des pistes, mais nous devons désormais essayer de les mettre en œuvre pour voir si cette prévention serait réellement efficace. Néanmoins, savoir que l’excès de risque n’est pas du tout significatif avant 10 ans d’exposition est important, car cela permet déjà d’agir. C’est une réflexion qui a notamment fait son chemin parmi les professionnels de santé ; la durée de travail des internes, c’est un vrai problème, pas seulement de santé au travail, mais aussi de santé publique. Nous pouvons tolérer des taux de travail plus importants sous réserve qu’il y ait après une amélioration des conditions de travail et du temps de travail.
Ensuite, il est important de comprendre ce qui explique l’augmentation des risques. Nous voyons bien qu’il y a des effets directs et des effets indirects. On observe notamment une modification des comportements face au « mauvais travail » : des troubles du sommeil, une mauvaise alimentation, une diminution de l’activité physique, des consommations de tabac, voire de stupéfiants… Et cela explique probablement une partie des AVC. C’est pourquoi, en améliorant les conditions de travail, on espère aussi pouvoir modifier des comportements à risques, qui sont souvent considérés comme « personnels », alors qu’ils sont en réalité liés aux conditions de travail.
En tant que chercheurs, nous essayons de mettre des chiffres sur ces phénomènes, mais ce sont évidemment des problématiques bien connues des professionnels de la santé au travail, et cela depuis longtemps. Les nouvelles évolutions règlementaires et législatives s’intéressent également à ces éléments, et devraient faire évoluer certaines pratiques.

Vous êtes par ailleurs assez présent sur YouTube, dans un cadre professionnel. Selon vous, cette plateforme est un bon moyen de prévention ?
Je pense que c’est un très bon moyen complémentaire pour la prévention. J’ai créé ma première chaine YouTube il y a quelques années à destination des internes en médecine du travail, pour présenter un « article du mois ». Et cela a plutôt bien fonctionné.
Avec l’aide de collègues du service de communication, et du département audiovisuel du CHU et de l'université d'Angers, nous avons pu donner un nouveau souffle à ce projet, en essayant de toucher plus largement les professionnels de santé au travail des mondes francophones et anglophones. Nous avons énormément de retours positifs ; cet outil nous permet de diffuser largement l’information et de partager les pratiques. De très nombreux collègues m’aident à créer, choisir et mettre en valeur des sujets. C'est vraiment un travail collectif enrichissant.