Salima Benhamou - Commissariat général à la stratégie et à la prospective : TIC et agents du secteur public, un mariage forcé souvent mal vécu

TIC et agents du secteur public, un mariage forcé souvent mal vécu

|| Management SST
/
05/05/2014
Salima Benhamou - Commissariat général à la stratégie et à la prospective
Salima Benhamou
Economiste au département Travail et Emploi
Commissariat général à la stratégie et à la prospective
Si l'impact des TIC sur les conditions de travail des salariés du secteur privé a déjà fait l'objet de plusieurs travaux d'analyse, le cas particulier du secteur public avait rarement été exploré en profondeur. Salima Benhamou a voulu savoir comment les agents du public vivaient l'introduction massive des TIC dans leur travail quotidien. Existe-t-il des facteurs de réussite ou d'échec dans un plan TIC ? Explications.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée spécifiquement à l'impact des TIC sur les conditions de travail des agents du public ?
Aujourd'hui, en ce qui concerne l'usage des technologies de l'information et de la communication, le secteur public a clairement rattrapé son retard par rapport au privé. Par exemple, en 2006, 85% des agents de la fonction publique avaient déjà un accès aux outils numériques contre 86% dans le privé.
Ces évolutions technologiques ont par ailleurs souvent été accompagnées de changements organisationnels profonds. Or l'impact spécifique des TIC sur les conditions de travail des agents avait très peu été étudié. Les agents du public ont rarement été interrogés sur leur ressenti et leur relation à l'usager avec l'intrusion du numérique dans leur travail. Et ceci, alors même que les plans TIC ont été généralement introduits pour améliorer la qualité du travail et des missions de services aux usagers.

Quels avantages et inconvénients les agents associent-ils aux outils numériques ?
Les principaux avantages identifiés tiennent souvent à une plus grande autonomie et polyvalence et à l'enrichissement des tâches ou des missions, qui suscitent par ailleurs un sentiment de responsabilisation plus fort. Les outils numériques peuvent également renforcer les collectifs de travail avec notamment le développement de projets collaboratifs. Du côté des inconvénients, les ressentis sont souvent identiques à ceux du secteur privé : augmentation du rythme et intensification du travail, pression plus forte et sentiment d'urgence, affaiblissement des relations de travail entre collègues… Il est important de noter que les agents du public expriment un sentiment de contrôle renforcé : l'autonomie liée au numérique s'accompagne d'une standardisation accrue des modes et processus de travail, d'une plus grande traçabilité des tâches et de fixation de normes de productivité.
Globalement la relation entre TIC et conditions de travail est donc complexe et ambiguë. Il est difficile d'affirmer de façon tranchée que les usages numériques ont un impact négatif ou positif sur les conditions de travail. Il importe de prendre en compte la nature du travail et des missions des agents, le type de nouvelles technologies et surtout la manière dont les plans TIC sont implantés dans les services publics.

Comment modifier les pratiques numériques des agents de la fonction publique sans impacter négativement leurs conditions de travail ?
L'accompagnement et la concertation sont essentiels pour réussir la transition numérique. Lorsque les agents sont questionnés en amont sur leurs missions et leurs pratiques, lorsqu'ils sont associés à la mise en œuvre de nouveaux projets technologiques , lorsqu'il y a accompagnement et formation aux nouveaux usages numériques, il y a une acceptation et une appropriation beaucoup plus forte et efficace des nouveaux outils. Cette condition préalable est essentielle pour concilier modernisation des services publics et amélioration des conditions de travail et in fine proposer une meilleure qualité de service à destination des usagers.
Je recommande également de développer un pilotage plus transversal associant les directions des ressources humaines, les directions administratives et financières et les représentants des agents publics. La concertation entre l’ensemble des acteurs est une condition indispensable pour la modernisation des services publics dans toutes leurs dimensions.

En savoir plus