Blandine Barlet - cabinet IRTEM : La réforme de la santé au travail risque d’aggraver la pénurie de médecins du travail

La réforme de la santé au travail risque d’aggraver la pénurie de médecins du travail

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Santé / Qualité de vie au travail
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19/04/2021
Blandine Barlet  - cabinet IRTEM
Blandine Barlet
Intervenante en santé au travail (sociologue rattachée au laboratoire IRISSO de l'Université Paris Dauphine)
cabinet IRTEM

Adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail soulève certaines inquiétudes. Blandine Barlet, sociologue et intervenante en santé au travail, livre son point de vue sur le texte de loi.

Quels sont selon vous les changements majeurs qu’apporte la proposition de loi sur la santé au travail ?
Selon moi, cette loi est dans la continuité des lois précédentes qui rapprochent le système de prévention d’un système d’assistance à la gestion des risques, davantage au service de l’employeur que de la protection des salariés.
Il y a par ailleurs un décloisonnement avec la santé publique qui est maladroit. Le système de prévention devrait s’axer sur les risques professionnels et s’attacher à les supprimer plutôt que s’axer sur des problématiques de santé publique générale. L’hygiène de vie, la lutte contre les addictions, etc. devraient rester des préoccupations secondaires en santé au travail. Au contraire, les expositions professionnelles aux produits cancérogènes ou le développement des risques psychosociaux gagneraient à être envisagés comme des problématiques de santé publique à part entière, car leurs effets sur la santé de la population sont dévastateurs.
De plus, le projet de loi insiste sur la responsabilité individuelle des salariés dans la prévention. L’idée du passeport prévention est une manière de dire « si les salariés étaient mieux formés, il y aurait moins d’accidents et de maladies professionnelles ». Il y a effectivement des besoins en formation, mais les expositions professionnelles sont un phénomène collectif. Ce sont donc prioritairement les conditions de travail qu’il faut s’attacher à améliorer par la prévention, or ce n’est malheureusement pas ce que la loi met en avant.

Certains s’inquiètent de la confidentialité des données concernant le passeport prévention. Est-ce votre cas ?
Ce qui est problématique, c’est que l’on parle de partager les données entre les médecins de ville et les médecins du travail. En théorie, cela pourrait être une bonne idée, car cela permet d’avoir toutes les informations pour prendre les bonnes décisions. Mais en pratique, cela peut entraîner des dérives, dont la sélection des travailleurs pour ne garder que les « bien-portants », et donc des discriminations. Jusqu’à présent, le système cloisonnait les informations et le salarié n’était pas tenu de révéler toutes ses problématiques de santé. Le risque de glissement est donc bien réel.

Quelles seraient les solutions à envisager pour pallier le manque de médecins du travail ?
À mon avis, cette loi va aggraver la pénurie. Il est prévu d’introduire des médecins correspondants, donc d’ouvrir la spécialité à des non-spécialiste. C’est un changement majeur, car cela signifie ouvrir une spécialité à des non-spécialistes, après une formation dont ne sait pour le moment ni le contenu ni la durée. Et comment, en rendant une spécialité médicale accessible à d’autres médecins, pourrait-on garder le même degré d’attractivité ? Quel serait l’intérêt pour des internes en médecine de choisir une spécialité qui peut être exercée par d’autres médecins ? Tout cela participe à nier la spécialité, les spécificités et l’expertise autour du milieu du travail, la connaissance des expositions professionnelles, des pathologies développées à la suite de ces expositions… La première chose à faire serait donc de se demander ce qui anime les internes à encore choisir la médecine du travail et de rendre la spécialité attractive. Car il s’agit d’un métier passionnant et varié. Il faudrait se questionner, en tant que société, sur ce que l’on attend d’un système de prévention, pour motiver tous les acteurs qui souhaiteraient s’insérer dans le milieu.
Un autre levier serait d’améliorer la formation en médecine du travail et en pathologies professionnelles dispensée à tous les médecins, car il est important de donner une formation solide à tous pour aider la prévention. Actuellement, beaucoup de praticiens constatent des pathologies sans forcément faire le lien avec le milieu du travail.


Y a-t-il un autre point que vous souhaitez soulever ?
Dans le projet de loi, il y a une vraie volonté d’inclure les indépendants, de repenser le système. Mais il n’y a aucune mention du système prévention pour la fonction publique, qui est vraiment catastrophique. Je pense qu’il est urgent de s’occuper aussi de la santé des fonctionnaires.