Quand l’obligation de sécurité prime sur la liberté de choix du domicile …

MOBILITE ET SECURITE ROUTIERE || Mobilité et sécurité routière
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25/03/2022 - Sébastien MILLET

En vertu du principe général énoncé à l’article L1121-1du Code du travail relatif aux droits et libertés dans l’entreprise, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (règle reprise à l’article L1321-3 2° sur les dispositions du règlement intérieur).


Pour justifier une limitation à la liberté de choix du domicile par le salarié (protégée en vertu des articles 9 du Code civil et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme), la preuve doit être rapportée que l’atteinte reste proportionnée, ce qu’il appartient au juge d’apprécier en cas de litige.

Traditionnellement, une telle atteinte est rarement admise en jurisprudence (par exemple en matière de clause de mobilité géographique ou de domiciliation à proximité de l’entreprise, sauf à justifier qu’elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et qu’elle reste proportionnée au but recherché).

Une atteinte qui peut être proportionnée pour un motif de prévention des risques professionnels

Toutefois, dans une affaire récente et inédite à notre connaissance, il vient d’être jugé qu’au nom de l’obligation de sécurité et de protection de la santé, l’employeur pouvait valablement demander au salarié de rapprocher son domicile du siège de l’entreprise, en sorte que son refus était fautif et justifiait son licenciement (Cour d’appel de Versailles, 10 mars 2022, 11e chambre, n° 20/02208).

En l’espèce, le salarié, contractuellement affecté à Paris, avait choisi de déménager en Bretagne, ce qui l’éloignait considérablement de son établissement, même s’il était appelé à effectuer des déplacements professionnels.

Dès qu’il a eu connaissance de cette situation, l’employeur a informé le salarié sur son désaccord au regard des contraintes supplémentaires de trajet imposées par le choix du salarié d’établir son domicile en Bretagne, quand bien même il avait un pied-à-terre à Paris et justifiait ne pas être en retard. Afin de garantir sa sécurité, l’employeur a mis en demeure le salarié de régulariser sa situation avec un délai de 4 mois, ce que l’intéressé a refusé de faire.

La Cour d’appel confirme ici le jugement du Conseil de prud’hommes ayant reconnu le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, et considère que « cette distance excessive [4h 30 par la route ou 3h 30 en train] ne pouvait être acceptée par l'employeur compte tenu de son obligation de sécurité issue de l'article L4121-1 du code du travail, mais également de celle incombant au salarié au titre de l'article L4122-1 du même code ».

Cette double référence légale permet de justifier le caractère non disproportionné de la position de l’employeur.

Plus précisément, l’arrêt rappelle également que « l'employeur est tenu de veiller au repos quotidien de son salarié et à l'équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle dans le cadre de la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis ».

Or justement, le salarié avait fait état d’une fatigue liée à ces trajets et demandé son rattachement à une agence locale.

Cela fait d’ailleurs écho aux statistiques en matière d’accidents de mission ou de trajet (même s’il y a eu une relative amélioration due à l’effet Covid sauf en ce qui concerne les trajets liés aux nouvelles mobilités), ainsi qu’aux politiques publiques qui ciblent notamment à améliorer la prévention du risque routier professionnel en tant que risque majeur (cf. PST 4 et le nouveau plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels). 

Cette solution paraît tout-à-fait cohérente dans la mesure où parallèlement, la jurisprudence est particulièrement sévère sur le respect de l’obligation de sécurité, notamment dans sa déclinaison en matière de suivi et contrôle de la charge de travail pour les salariés en forfait annuel en jours.

* Ainsi, il a encore très récemment été jugé en présence d’une alerte sur la dégradation de l’état de santé du salarié : « Vu l'article L4121-1 du code du travail :
5. Il résulte de ce texte que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

(…) 8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont il résultait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté, a violé le texte susvisé. (…) » (Cass. Soc. 2 mars 2022, n° 20-16683).

 

Quelles conséquences en matière de télétravail ?

Cette décision, qui fera probablement l’objet d’un pourvoi en cassation, résonne avec une force particulière dans un contexte où la crise sanitaire a bien souvent conduit les directions d’entreprises à être mises devant le fait accompli de déménagements dans le cadre de l’activité en télétravail.

Le problème s’est même souvent avéré épineux en cas de télétravail depuis l’international.

Avec la sortie de la crise sanitaire, il est important que l’accord d’entreprise ou la charte définisse clairement les « règles du jeu » en la matière concernant le lieu du télétravail.

Le principe du volontariat ne signifie pas que le choix du lieu du télétravail soit libre.

Généralement, les accords laissent une certaine dose de souplesse pour permettre au salarié de télétravailler occasionnellement depuis un lieu de résidence temporaire distinct du domicile (entendu comme la résidence principale déclarée du salarié), mais tout en prévoyant un contrôle et des garde-fous, notamment s’agissant de la possibilité de rejoindre dans un délai raisonnable l’entreprise pour participer à des réunions en présentiel.

On rappellera plus généralement que le télétravail en lieu distanciel présente des risques spécifiques, qui doivent être appréhendés dans le cadre de l’évaluation des risques et du document unique « nouvelle formule » issu de la loi santé-travail et de son dernier décret d’application n° 2022-395 du 22 mars 2022 (exigence d’ailleurs rappelée par l’ANI du 26 novembre 2020, art. 3.4.1.).

Cela, d’autant qu’en matière d’accident du travail, la loi étend la présomption d’imputabilité à l'accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur (C. Trav. L1222-9).