Quelle est la démarche de votre livre « L’humain au cœur
d’un système de travail réinventé » ?
Nous partons d’un diagnostic : nous faisons beaucoup de choses en
entreprise sur les risques psychosociaux (RPS), les conditions de
travail, mais il y a toujours du mal-être et de plus en plus.
Alors, qu’est ce qui se passe ?
L’entreprise agit par rapport à un rôle prédéterminé et souvent
ne va pas plus loin. Même si elle met en place de meilleures
conditions de travail, un accompagnement des personnes, elle
n‘agit pas, fondamentalement, sur ce que sont les facteurs de
stress. Et dans mon livre, je précise que ces facteurs de stress
touchent deux paramètres essentiels : le temps et la distance.
C’est-à-dire ?
Prenons la temporalité. Les rythmes dans l’entreprise sont des
rythmes contraints qui ne correspondent pas forcément au rythme
interne des personnes. Il y a un impératif de résultats à court
terme, quand la personne, elle, a besoin pour s’accomplir, d’une
temporalité plus longue et d’une finalité qui répond à la
question « quel est le sens de mon travail ? ». Ce phénomène de
temporalité s‘est accompagné d’une distance personnelle par
rapport au travail.
Dans mon livre, je donne l’exemple des éplucheuses de sardines,
qui, quand je les ai rencontrées la première fois, étaient fières
de leur travail, malgré des conditions difficiles. Elles
sentaient qu’elles avaient une utilité sociétale.
J’ai revu ces dames 10ans après. Elles étaient équipées de gants, de blouses, etc. Leurs conditions de travail s’étaient améliorées, mais quand j’ai voulu parler à l’une d’elle, elle m’a dit « « Je n’ai pas le temps, je ne vais pas arriver à suivre la chaine ». Je n’ai pas eu la sensation que le désir de travail était toujours présent.
Si nous recherchons simplement l’amélioration du bien-être au travail, ce n’est pas seulement dans les conditions de travail, cela va plus loin que ça. Cela va dans la satisfaction des besoins de la personne pour qu’elle cultive son désir de travail. Qui correspond à un désir de bien le faire, d’être utile. La rentabilité et la productivité demandées par l’entreprise sont induites quand le salarié s’accomplit au travail. Il n’y a pas de rupture entre les deux sinon une complémentarité implicite.
Vous évoquez en parlant du travail, un tournant dans les
années 80.
C’est à ce moment-là que la notion de métier a commencé à se
désagréger. Nous sommes venus à poser des compétences =
savoir-faire / savoir-être. Nous avons développé cette logique de
compétences, qui a fait oublier la vocation, le métier, ce qui
était du ressort de la finalité de la personne.
Vous évoquez aussi la crise de la Covid-19 dans votre
livre…. Pourquoi ?
Avant la pandémie, les facteurs internes de rupture au travail
étaient présents et là sont arrivés les facteurs externes. La
bonne santé au travail qui était traitée comme un facteur isolé,
par rapport à la personne, est devenu collective et non seulement
nationale et internationale. Des éléments, qu’on ne considérait
pas comme des facteurs pouvant influencer la performance de
l’entreprise, se sont imposés. Le bouleversement de tous ces
enjeux stratégiques externes et globaux sont venus peser sur
l’entreprise et les personnes. Il s’agit par exemples des
problématiques d’environnement, de climat ou de santé.
Et maintenant, qu’est ce qui se passe ? Nous avons hâte de
revenir à la consommation, à des logiques de productivité, de
rentabilité, etc. Quand en perspective, les enjeux stratégiques
pèsent sur l’entreprise. Des prises de conscience se sont
faites. Il y a une multiplicité de faits isolés, qui mettent en
avant le phénomène du climat. Tout ceci arrive sur l’entreprise.
Qu’est-ce que l’on peut faire face à ces facteurs
?
La fonction prévention est devenue une fonction stratégique, tout
comme le financier. C’est une fonction transversale et qui fait
partie de la gouvernance. S’il n’y a pas la santé, il n’y a pas
de rentabilité.
Avec le Covid-19, le télétravail a révélé que nous pouvions nous
passer « des petits chefs ». Le salarié est chez lui, il n’a plus
les protocoles contraints, n’a plus son environnement technique,
technocratique. Il a dû se « débrouiller ». Cela a développé son
autonomie dans un cadre de travail qui n’était plus
contraint.
Si la personne travaille en autonomie, elle peut développer sa
créativité et n’est plus dans la « prison » des protocoles. Il y
a là un paradoxe : une entreprise a besoin de gens qui créent,
mais pour créer, il faut être libre dans sa tête. Il est bien
difficile à la fois de suivre des protocoles et de créer.
Vous dites qu’il faut trouver ce qui relie la finalité de
la personne, l’accomplissement de soi et la finalité de
l’entreprise. C’est -à-dire ?
Il faut retrouver le sens du travail en prenant compte qui est
l’autre. Il faut se saisir d’un dysfonctionnement pour impulser
un mode de travail différent.
Dans l’ouvrage je propose des ateliers en entreprise où nous
posons un diagnostic et un pronostic. Le but est de voir comment
intégrer cette démarche pour tenter de résoudre n’importe quel
dysfonctionnement dans l’entreprise.
Il faut admettre que les bonnes idées puissent aussi venir de la base. Il y a souvent de très bonnes idées qui viennent de tous les niveaux de l’entreprise. Ces ateliers diagnostic/pronostic mélangent les genres.
Le résultat est que l’interrelation est la condition sine qua
none d’une « Alliance » entre les individus. Nous avons besoin
d‘écouter l’autre. Si nous écoutons, nous reconnaissons la
personne, nous allons vers sa motivation, nous développons chez
lui son désir de travail. La personne dans son travail porte une
utilité sociétale dans la façon dont elle va accomplir sa tâche,
ce qui remet l’humain au cœur d’un système de travail
réinvité.