Rencontres Santé au travail 2024 : Florence Chappert propose des solutions pour une santé professionnelle équitable

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Etat des lieux et prospective SST
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25/03/2024

Le 26 mars 2024, lors de la 14ème édition des Rencontres pour la Santé au Travail à la Maison de la Chimie à Paris 7, Florence Chappert, qui occupe le poste de Responsable de la Mission Egalité Intégrée au sein de l'ANACT, va enrichir la discussion à la table ronde intitulée "Comment améliorer la prise en considération de la santé des femmes sur leur lieu de travail ?"


En partenariat avec Préventica, cet événement est un rendez-vous majeur pour aborder les enjeux de santé et de sécurité au travail à travers diverses tables rondes. Il offre une occasion précieuse d'échanger et de réfléchir sur les défis de la prévention professionnelle. Florence Chappert a accepté de partager en avant-première son expertise sur la thématique « femmes & travail ».

 

Sur quelle thématique allez-vous intervenir à l’occasion de la 14e édition des Rencontres pour la Santé au travail ?

Je tiens tout d'abord à dire que je suis aussi pilote de l'action du Plan Santé au travail N°4 dédiée à la santé des femmes et ce sur 2 volets : la conception d'outils dédiés à la santé des femmes notamment en lien avec les services de prévention en santé au travail et l'accompagnement des entreprises dans la prévention des violences sexistes et sexuelles. 

Je vais intervenir sur les leviers d'actions pour mieux prendre en compte la santé des femmes au travail.

En effet pour progresser sur ce sujet qui jusqu'ici était invisibilisé, il faut :

  • d'une part mener une analyse différenciée selon le sexe des conditions de travail, expositions, impacts différenciés sur la santé
  • et d'autre part dans une approche universelle de la prévention améliorer l'organisation du travail et les dispositifs de prévention existants au service de toutes et tous. 

 

Pouvez-vous nous parler de l'importance de prendre en compte la santé des femmes au travail et des défis spécifiques auxquels elles peuvent être confrontées ?

Quels sont les enjeux ? Il y en a plusieurs. 

Tout d'abord un enjeu de santé au travail que d'arriver à améliorer la qualité de vie et des conditions de travail de toutes et tous ! En effet on constate que les femmes sont désormais sur représentées dans les maladies professionnelles, les inaptitudes, les accidents de trajets, et les absences au travail. La cause principale : la sous-évaluation de l'exposition des femmes aux contraintes de travail physiques ou psycho-sociales dans leurs emplois et le déficit de prévention associé, sans compter leur exposition durable à l'usure professionnelle due à des parcours peu évolutifs.

C'est aussi un enjeu de santé publique pour limiter les risques de désinsertion professionnelle que d'arriver à maintenir en activité les femmes enceintes, atteintes d'endométriose ou d'un cancer du sein ou encore exposées à des violences conjugales.

C'est aussi un enjeu organisationnel dans les entreprises que d'améliorer les conditions de travail et d'emploi afin de développer la mixité dans les activités, de décloisonner les postes pour par exemple faciliter les remplacements en cas d’absence. 

Tout cela se traduit aussi au niveau des entreprises et de la société par un enjeu économique qui passe par la maîtrise des coûts liés à des problèmes de santé au travail

Cette question de santé des femmes au travail, c'est aussi très en lien avec l'enjeu d’attractivité pour résoudre des problèmes de recrutement sur des métiers en tension et aussi se différencier sur son marché.

Et puis on ne peut sous-estimer l'enjeu juridique avec la responsabilité de l'employeur en matière de SST : prévenir des risques de contentieux - notamment en cas d'absence de prise en compte du risque VSST dans les dispositifs d'évaluation des risques c'est à dire dans de le DUERP et dans les plans de prévention.

 

Quels sont les impacts des inégalités de genre sur la santé des femmes dans le milieu professionnel ? Quelles solutions proposez-vous au sein de l’ANACT pour les atténuer ?

Outre les données de sinistralité dont j'ai parlé plus haut, ce qui a été le déclencheur de la prise de conscience de l'Anact et du déclic d'un certain nombre de partenaires c'est de constater par exemple que depuis 20 ans, sur le périmètre des 19,6 Millions de salariés du secteur privé, les accidents de travail des hommes diminuent et ceux des femmes augmentent fortement. On a les mêmes tendances sur les taux de fréquence qui se rapprochent, indicateur important car il tient compte des heures supplémentaires des hommes et des temps partiels des femmes. 

Si on regarde des secteurs comme le BTP, l'énergie et la logistique on explique cette évolution asymétrique des accidents de travail selon le sexe par l'insuffisante adaptation des matériels, EPI, cadences, horaires à l'arrivée des femmes, sans compter bien sûr l'environnement de travail souvent sexiste. 

Pour les secteurs à prédominance féminine où les femmes sont rentrées massivement sur le marché du travail (santé, social, propreté, commerce, grande distribution, mais aussi banque assurance...), cette explosion des accidents de travail pour les femmes s'explique par la sous-évaluation des risques notamment psycho-sociaux (rythme, exigences émotionnelles, tensions ...) dans leurs emplois mais aussi des risques physiques (port de personnes, position statique debout ou accroupie ...).

En préalable, ce qui nous apparait très important, c'est d’impliquer tous les acteurs de l'écosystème de la prévention : Entreprises, acteurs de la Prévention et notamment les Services de Prévention et de Santé au travail -et ce à tous les niveaux national, régional, territorial ou au niveau des entreprises 

Ce que nous recommandons, c'est avant tout 4 axes de progrès :

1. Disposer de données sexuées (taux de fréquence, santé mentale, absentéisme, inaptitudes... pas seulement en données brutes mais aussi en taux de fréquence ...) en santé au travail, de pouvoir suivre leur évolution dans le temps avec des données longitudinales, s'appuyer sur les SPST pour cela aussi. En tant que pilote de l'action Santé des femmes du PST 4, je constate que les PRST dont certains ont réalisé des diagnostics régionaux assez poussés sont en attente d'un état des lieux consolidé au niveau national avec tous les régimes (CNAM, MSA, FP).

2. Développer des axes de recherche sur les liens Genre Santé Travail par exemple pour identifier les déterminants des problématiques de santé mentale ou les facteurs d'exposition professionnelle des cancers des femmes qui sont invisibilisés  - ou encore prendre en compte les différences d'expositions et d'impacts des  transitions numérique (télétravail, IA), écologique (températures / évènements extrêmes / canicule car le métabolisme des femmes et des hommes n'est pas le même..., efforts de sobriété, actions d'adaptation ou d'atténuation...) sur les conditions de travail des femmes et des hommes car il y a encore trop peu de données sexo spécifiques.

3. Outiller l’Evaluation différenciée des risques selon le sexe dans le DUERP dans les entreprises en n'oubliant pas les unités de travail à prédominance féminine, les situations de grossesse, les facteurs de risques VSST, les risques environnementaux...

4. Développer des dispositifs de maintien en activité qui passent d'abord par l'adaptation du travail : grossesse, endométriose, cancer du sein ou de l’utérus…, santé mentale, violences conjugales.

 

3 autres points nous semblent aussi très importants :

1. Faire évoluer les seuils d’exposition, les normes des matériels et Equipements de Protection Individuelle aux différences physiologiques F/H dans les normes pour les matériels, outils et EPI 

2. Concernant le risque de Violences sexistes ou sexuelles au travail, développer la prévention primaire en faisant le lien avec les facteurs de risques au travail, en identifiant les activités et postes plus exposés  

3. Construire un référentiel de formation Santé au travail et Genre (préventeurs, médecins et services de prévention et santé au travail).

 

Crédit photo : ©Florian_Maguin.

 

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