Les grandes lignes de la réforme de la médecine du travail

DOSSIER
ORGANISATION DE LA PREVENTION || Management SST / 01/09/2010

Genèse d'une réforme annoncée

Une première réforme de la médecine du travail, réalisée en 2002 et 2004, a contribué, par la création des services de santé au travail, à faire évoluer la médecine du travail vers une culture de la promotion de la santé en milieu de travail, conformément aux engagements européens de la France.

Cependant, les questions de santé au travail et de protection des salariés demeurent un enjeu social majeur en raison de l’émergence de risques professionnels nouveaux ou peu pris en compte préalablement (troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux, risques différés dus aux expositions professionnelles à des cancérogènes…) et du vieillissement de la population (adapter les conditions de travail pour permettre le maintien dans l’emploi).

Dans ce contexte, la place croissante accordée aux questions de santé au travail nécessite de poursuivre l’adaptation des missions et de l’organisation des services de santé au travail, alors même que la démographie des médecins du travail subit une évolution préoccupante (-30% des effectifs d’ici 2015). Des réflexions et expérimentations ont été initiées par les pouvoirs publics : large concertation de l’Etat et des partenaires sociaux en particulier, dans le cadre de la conférence tripartite sur les conditions de travail du 27 juin 2008. Le 25 juillet 2008, un document d’orientation a été transmis aux partenaires sociaux. A l’issue de sept séances de négociation, un texte a été élaboré le 11 septembre 2009 mais n’a pas reçu la signature des organisations syndicales de salariés. En l’absence d’accord collectif, le gouvernement propose une réforme des services de santé au travail dont les axes ont été communiqués lors de la réunion du conseil d’orientation sur les conditions de travail du 4 décembre 2009. Cette réforme doit faire l’objet d’un projet de loi déposé au parlement avant la fin de l’année.

 

La volonté de conserver les atouts des services de santé au travail tout en confortant les évolutions engagées depuis 2002

Les grands principes sur lesquels repose l’organisation française du système de santé au travail se doivent d’être conservés à savoir l’universalité (la médecine du travail doit s’adresser à l’ensemble des travailleurs) ; la spécialisation et l’indépendance professionnelle des médecins du travail et la vocation exclusivement préventive du système de santé au travail.
Les services de santé au travail constituent le réseau de prévention le plus proche des entreprises (notamment dans les plus petites d’entre elles) et l’expertise des médecins du travail est reconnue.

En revanche, il faut poursuivre l’évolution des services de médecine du travail, engagée en 2002/2004, à savoir :
- La promotion d’une politique de la santé au travail efficace par une meilleure prévention dans l’entreprise (actions collectives adaptées à toutes les situations de travail et suivis individuels mieux adaptés aux besoins). Par ailleurs, un suivi médical individuel, adapté par voie conventionnelle ou réglementaire, prendra davantage en compte des salariés pour l’instant exclu du système (employés de maison à temps partiel).
- Le renforcement de la pluridisciplinarité : accroître le recours des entreprises aux compétences pluridisciplinaires et s’assurer de la qualité des intervenants.
- L’assurance d’un meilleur pilotage du système : promotion de l’échelon régional, de l’innovation pour restructurer et redynamiser les services de santé au travail autour d’objectifs qualitatifs et quantitatifs.
- Le développement de l’attractivité de la médecine du travail et de la coordination entre médecins. Sur ce dernier point et plus particulièrement sur la question de la formation des professionnels de la santé au travail, le gouvernement a confié une mission à Christian Dellacherie, Paul Frimat et Gilles Leclercq.

Le point de vue du conseil national des médecins sur la réforme
Réuni en session plénière le 25 juin 2010, le Conseil national de l’Ordre des médecins a adopté les préconisations suivantes sur la réforme annoncée de la santé au travail et demande à ce qu’elles soient reprises dans le texte du projet de loi à venir :

- L’indépendance des médecins du travail doit être préservée,
- Le directeur du service de santé au travail doit se centrer sur un rôle de coordination et d’organisation du travail (doit être le facilitateur des missions que la loi confie aux médecins du travail),
- Les objectifs locaux et orientations doivent être mis en cohérence avec des objectifs nationaux.
- La pénurie médicale n’affecte pas que la médecine du travail et des solutions innovantes doivent être mises en œuvre sans porter atteinte à la qualité du service que les salariés et les employeurs sont en droit d’attendre,
- Il faut offrir des perspectives de carrière à tous les médecins (passerelles pour donner aux médecins et autres praticiens de réelles perspectives de reconversion),
- Des médecins généralistes pourraient ainsi, après avis du conseil départemental de l’Ordre des médecins, faire bénéficier d’un suivi médical certaines catégories de salariés qui y échappent à l’heure actuelle (travailleurs à domicile, saisonniers…). L’accomplissement de ces missions par des médecins généralistes pourrait s’effectuer au sein du service de santé au travail sous forme de vacations hebdomadaires.

Le Conseil national refuse une médecine du travail au rabais et demande que les visites médicales et examens cliniques ne soient pas déconnectés d’une connaissance du milieu de travail et des postes de travail.
La coopération avec d’autres professionnels de la santé au travail serait bénéfique : le médecin du travail restant, prescripteur, garant et coordinateur de l’équipe pluridisciplinaire. Certaines tâches, par exemple, pourraient être déléguées aux infirmiers : entretien de santé au travail sur la base de protocoles mis en œuvre par les médecins, certains actes médicaux bien identifiés dans les conditions de l’article L.4011-1 du code de la santé, l’action en milieu de travail également selon des protocoles établis par les médecins. Des assistants de santé au travail (s’ils bénéficient d’une formation standardisée et validée au plan national) pourraient aussi réaliser des examens non invasifs, encadré par le médecin du travail. Le rôle des IPRP ne doit pas non plus être négligé.

Des conditions doivent être posées quant à l’accès au dossier médical personnel par le médecin du travail (même si cela est justifiable). Le salarié doit notamment donner un accord écrit et ledit dossier doit rester strictement consultable par le médecin : la confidentialité vis à vis de l’employeur doit être respectée même en cas de reprise d’éléments dans le dossier médical de médecine du travail. A l’inverse, le médecin du travail devrait pouvoir compléter le DMP pour que le médecin traitant du salarié ait connaissance des risques professionnels auxquels est exposé son patient.

Source :
http://www.conseil-national.medecin.fr/article/la-reforme-de-la-sante-au-travail-passee-au-crible-de-la-deontologie-medicale-1004

 

Le rapport Dellacherie-Frimat-Leclercq

Dans un contexte de crise démographique touchant les services de santé au travail, les Ministres du travail, de la santé et de la recherche ont confié une mission de réflexion sur la formation des professionnels de la santé au travail et l’attractivité de ces métiers à 3 personnalités qualifiées : Christian Dellacherie (Membre du Conseil économique, social et environnemental), Paul Frimat (Professeur de médecine du travail à l’Université de Lille II, praticien hospitalier au CHRU de Lille) et Gilles Leclercq (Médecin conseil de l’ACMS). Leur rapport a été remis avant l’été.
Riche de 46 propositions, ce rapport conforte le gouvernement dans sa volonté de s’appuyer sur la professionnalisation croissante des services de santé au travail pour rendre les métiers du secteur plus attractifs. Il invite à poursuivre les travaux visant à créer une voie de reconversion pérenne vers la médecine du travail.

Le rapport comporte une quarantaine de propositions axées sur huit préoccupations principales des auteurs :
- Le développement d’une approche intégrée interdisciplinaire pour favoriser par la suite un travail d’équipe de santé au travail. La culture interdisciplinaire et la communauté d’objectifs partagée entre les professionnels travaillant dans les services de santé au travail évitera que la pluridisciplinarité ne se réduise à une juxtaposition des compétences,
- Le besoin d’ouvrir des perspectives et passerelles de carrière aux médecins souhaitant se reconvertir vers la santé au travail,
- La reconstitution du vivier des enseignants hospitalo-universitaires pour redynamiser la recherche compte tenu des perspectives démographiques défavorables en matière d’enseignement,
- Le développement de formations initiales des professionnels de santé adaptées aux nouvelles missions marquées par le développement de la pluridisciplinarité,
- La nécessité de valoriser la médecine du travail en tant que discipline médicale,
- La nécessité de mieux valoriser l’action des services de santé au travail,
- La nécessité de faire évoluer les mentalités sur la corrélation santé au travail et performance de l’entreprise. Renforcer les prérogatives du médecin du travail en élevant au rang d’une obligation une réponse motivée écrite de l’employeur qui ne prend pas en considération les recommandations du médecin du travail.
- La mise en tension des acteurs pour le développement de dynamiques locales.

Témoignage : Anne Barrier, présidente du Groupement des infirmier(e)s du Travail (GIT), livre ses impressions quant au rapport
Dellacherie-Frimat-Leclercq.
Pour elle, il s’agit d’un document pertinent au fait des problématiques qui concernent les services de santé au travail : « La réforme opérée en 2004 pour élargir la médecine du travail s'est avérée très difficile à coordonner. Les changements actuels permettront de passer d’une approche très individuelle (c’est-à-dire du médecin au salarié) à une approche collective: de l’équipe médicale au travailleur. Le rapport apporte aussi une reconnaissance tout particulière aux consultations et à l’expertise de l’infirmière […]»
Satisfaite des avancées proposées quant à formation des différents acteurs de santé au travail, elle souligne quand même que le diplôme interuniversitaire de santé au travail (DIUST) devra être reconnu au niveau master au regard du processus LMD (licence-master-doctorat).
Elle pense que « ce rapport signe une évolution primordiale en permettant au service de santé au travail de passer de la prévention secondaire voire tertiaire à la prévention primaire, voire à la promotion de la santé ! Aujourd’hui on nous donne la possibilité d’éduquer et de sensibiliser en amont… ».
Anne Barrier met également le doigt sur certaines limites du rapport qui, selon elle, passe outre le statu de l’ensemble des infirmières : « Il est nécessaire d’offrir un statut de salarié protégé à l’ensemble des infirmières en entreprise […] A ce jour, aucun statut protégeant nos règles professionnelles n’apparaît dans le Code du travail. Cela signifie-t-il qu’elles sont négociables ? Il est urgent d’avancer sur ce point».

Source : Aurélie Renne – Espace infirmier.com :
http://www.espaceinfirmier.com/actualites/detail/27431/

 

Et Finalement
Le 11 septembre 2010, la réforme du travail a fait partie des sujets d’actualité à l’Assemblée nationale. Mais pas comme prévu. En effet, des amendements relatifs à la réforme de la médecine du travail ont été adopté mais dans le cadre du projet de loi sur les retraites.

Eric Woerth, le ministre du travail, avait déjà abordé le sujet en mai 2010, annoncant «un lien entre le texte sur la médecine du travail et celui sur les retraites». De leur côté, les syndicats parlent d’un «démantèlement en catimini». Les syndicats et le Medef ne sont d’ailleurs pas d’accord avec les amendements proposés :
- Le recours à la médecine de ville : un amendement préconise à quelques secteurs d’activité (artistes et intermittents, mannequins, employés de particuliers, représentants…) de recourir à des médecins de ville dans le but d’améliorer la protection de certains salariés.
- Le recours aux internes et aux infirmières : les internes en médecine pourraient ainsi remplacer les médecins du travail lors de congés. En ce qui concerne le corps infirmier, une spécialité «Santé du travail» serait créée.
- Les syndicats : désormais seulement deux collèges de syndicats existeraient : les syndicats de salariés et les syndicats patronaux. Les syndicats des employeurs seraient donc supprimés.
- Les directeurs des services de santé au travail se verront attribuer un pourvoir supplémentaire, celui de «garants de l'indépendance du médecin du travail».

La réforme sur la santé au travail sera donc minimisée et intégrée au projet de loi sur les retraites, ce qui n’est pas du goût des partenaires sociaux qui déplorent le manque d’importance accordé au sujet. Une colère qui a été exprimée le 15 septembre 2010 lors d’une conférence de presse du Syndicat Nationale des Professionnel de Santé au Travail (SNPST).

 

Source :
- Ministère du travail, de la solidarité et de la fonction publique
http://www.travail-solidarite.gouv.fr/documentation-publications,49/rapports,51/travail,900/rapports-sur-la-sante-au-travail,1803/la-sante-au-travail-vision,11814.html
http://www.espaceinfirmier.com/actualites/detail/27431/
http://www.travail-solidarite.gouv.fr/espaces,770/travail,771/dossiers,156/sante-et-securite-au-travail,301/les-services-de-sante-au-travail,1657/la-reforme-des-services-de-sante,1804/mai-2010-les-objectifs-de-la,11818.html
http://www.travail-solidarite.gouv.fr/espaces,770/travail,771/dossiers,156/sante-et-securite-au-travail,301/les-services-de-sante-au-travail,1657/la-reforme-des-services-de-sante,1804/mai-2010-les-objectifs-de-la,11818.html

http://eco.rue89.com/2010/09/11/medecine-du-travail-la-reforme-low-cost-deric-woerth-165889 http://lci.tf1.fr/economie/social/2010-09/derriere-la-reforme-des-retraites-celle-de-la-medecine-du-travail-6064884.html
http://www.syndicat-infirmier.com/Sante-au-travail-Demantelement-en.html
http://www.laprovence.com/article/sante/sale-temps-sur-la-medecine-du-travail

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