Ignacio Doreste - Confédération européenne des syndicats : Des dizaines de milliers de décès au travail seraient évitables selon la CES

Des dizaines de milliers de décès au travail seraient évitables selon la CES

SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL ||
/
06/07/2022
Ignacio Doreste - Confédération européenne des syndicats
Ignacio Doreste
Conseiller , chargé du dossier « santé et sécurité au travail »
Confédération européenne des syndicats

Fin avril, la Confédération européenne des syndicats (CES) a publié son manifeste « Zero Death at Work » en indiquant qu’au sein de l’UE, près de 30.000 personnes pourraient perdre la vie au travail au cours de cette décennie, faute d’action pour rendre les lieux de travail plus sûrs. Le point avec Ignacio Doreste.

Récemment, la CES a publié le manifeste « Zero Death at Work ». De quoi s’agit-il ? Pourquoi l’avoir lancé ?
La CES a été créée en 1973 et compte aujourd’hui 89 confédérations syndicales nationales réparties dans 38 pays ainsi que dix fédérations syndicales européennes. Elle parle d’une seule voix, au nom des travailleurs européens ce qui permet de peser davantage dans le processus décisionnel de l’UE. Elle lutte notamment pour des augmentations salariales pour les travailleurs, un niveau élevé de protection social, une bonne santé et sécurité au travail ou encore des services publics de qualité accessibles à tous.

À travers notre manifeste, nous appelons l’Union européenne, les gouvernements de ses États membres et les employeurs à s’engager réellement et à prendre les mesures nécessaires pour parvenir à zéro décès au travail. Ces institutions doivent faire en sorte de prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles, mettre fin à l’exposition à des substances dangereuses, et être prêtes à faire face aux pandémies. Il faut aussi que la protection de la santé physique et mentale des travailleurs soit placée au cœur de l’organisation du travail et de la conception du lieu de travail.


Avec votre manifeste, vous avez également communiqué des chiffres à l’échelle européenne, ainsi que vos prévisions pour atteindre « l’année zéro décès ». Comment expliquez-vous les différences de volumes entre pays concernant le nombre de décès au travail ? La France et l’Espagne semblent loin derrière les autres pays ; comment renverser cette situation ?
Les différences sont dues à une pléthore de raisons : la législation ne protège pas suffisamment les travailleurs contre les accidents, la couverture des négociations collectives, le taux de syndicalisation, le tissu industriel, le système de notification des accidents...

Concernant la France et l’Espagne, il faut tout d’abord une législation efficace. La démocratie au travail doit être encouragée, notamment dans le domaine de la SST afin de garantir la participation active des travailleurs à l’élaboration et à la mise en œuvre de mesures préventives. Il s'agit notamment de soutenir les représentants et les comités syndicaux de santé et de sécurité au travail. Les représentants des travailleurs en matière de santé et de sécurité jouent un rôle essentiel pour assurer une prévention efficace au niveau de l'entreprise. La Commission européenne et les États membres devraient promouvoir des politiques qui améliorent la couverture et les conditions des représentants en matière de sécurité dans toute l'Europe.
 
Les États membres doivent aussi apporter un soutien adéquat aux inspections du travail, et respecter la recommandation de l'OIT d'un inspecteur du travail pour 10 000 travailleurs. De même, le rôle des représentants syndicaux en matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail doit être renforcé. Enfin, les partenaires sociaux doivent être correctement impliqués dans la conception et la mise en œuvre de mesures de santé et de sécurité solides à tous les niveaux, conformément aux règles et principes de la directive-cadre de l'UE.


Comment envisagez-vous l’avenir au sein de la CES ?
Sachant que jusqu'à 12% de tous les cancers sont liés au travail, la CES demande des mesures pour limiter les niveaux d'exposition à 20 autres substances cancérigènes, tandis que les limites d'exposition existantes pour les substances cancérigènes courantes sur le lieu de travail, comme la silice cristalline, les émissions diesel et l'amiante, n'offrent pas une protection suffisante et doivent être actualisées de toute urgence.
 
Plus de la moitié des travailleurs de l'UE déclarent que le stress lié au travail est courant sur leur lieu de travail. Compte tenu de la prévalence du stress, qui est lié au travail, l'Europe devrait disposer d'une directive spécifique dans le domaine des risques psychosociaux, en mettant l'accent sur l'organisation du travail, et non sur les caractéristiques et la résilience de l'individu. La pandémie a également eu un impact sur la santé mentale des travailleurs, notamment dans le secteur des soins de santé et d'autres services essentiels. Il est urgent d'investir davantage dans la santé mentale, et des recherches sont nécessaires sur les effets à long terme du télétravail du point de vue de la SST.
 
Pour atteindre l'objectif de zéro décès au travail, il faut aborder le lien entre les risques liés à la santé et à la sécurité et la qualité de l'emploi. Les formes d'emploi non standard sont souvent liées à l'insécurité de l'emploi. L'insécurité de l'emploi et l'augmentation du stress lié au travail en raison du travail précaire peuvent entraîner des répercussions négatives sur la santé et la sécurité des travailleurs. En outre, les travailleurs sous ce type de contrat sont plus vulnérables que les travailleurs permanents, car ils effectuent généralement les tâches les plus dangereuses, travaillent dans de moins bonnes conditions et font l'objet d'une formation moindre en matière de sécurité et de santé au travail, ce qui peut accroître le risque d'accidents du travail. Les travailleurs temporaires ont également moins accès aux professionnels de la SST, échappent à la surveillance de la santé sur de plus longues périodes et peuvent être négligés par les représentants des travailleurs en matière de politique de SST ; ce qui pourrait expliquer la situation relativement mauvaise de ces travailleurs en matière de SST.

En savoir plus