Vols commis au sein de l’entreprise : quand l’enquête interne dérape

SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL || Prévention intrusion / malveillance
/
17/04/2018 - Sébastien MILLET

En ce début d’année 2018, riche en mouvements sociaux de tout type, le respect des libertés individuelles des salariés comme de celles des cadres dirigeants des entreprises semble concentrer une partie de l’attention des magistrats de la Haute Cour.


La position qu’elle a récemment retenue en matière de séquestration de salariés et/ou des représentants de l’employeur au sein de l’entreprise en est une illustration. Ayant déjà eu l’occasion de statuer dernièrement – et de faire preuve d’une sévérité certaine – à l’égard de grévistes ayant abusivement retenu les membres d’une équipe dirigeante (Cass. crim., 24 janv. 2018, n° 17-80.940), la Chambre criminelle entend conforter sa position en connaissant, cette fois-ci d’une affaire quelque peu atypique (les rôles étant inversés), celui de la détention d’un salarié par des dirigeants sociaux (Cass. crim, 28 février 2018, n° 17-81.929).

Pour la parfaite compréhension du contexte et des enjeux ayant conduit la Cour de cassation à rendre l’arrêt objet du présent commentaire, il est essentiel de revenir un tant soit peu sur les faits de l’espèce.
Constatant par la voie de la vidéosurveillance qu’un salarié était sur le point de commettre un flagrant délit de vol de marchandises appartenant à l’entreprise, les supérieurs de l’intéressé décidèrent de mener une enquête aux fins de confondre l’ensemble des protagonistes de l’infraction.

Si le salarié fautif reconnut immédiatement les faits qui lui étaient ainsi reprochés, il désigna également un de ses collègues comme complice du vol. Afin de faire le clair sur cette affaire, ces deux salariés furent conduits dans des locaux séparés (afin d’éviter toute concertation), interrogés et leur téléphones portables récupérés aux fins d’exploitation. Pendant près de trois heures, le salarié présenté comme le complice fut ainsi retenu dans le noir, sans téléphone et avec l’injonction de ne pas bouger jusqu’à nouvel ordre par ses supérieurs.

Aucune personne extérieure ne s’étant présentée pour récupérer le fruit du vol, la direction décida, afin d’éprouver sa version, de confronter l’auteur présumé de l’infraction au complice désigné. Revenant sur ses premières déclarations, le voleur reconnut alors être le seul responsable de la survenance des faits litigieux.
Très logiquement, ce dernier fut alors mis à pied tandis que le salarié injustement désigné comme complice déposa plainte pour contester les conditions de sa «détention» dans les locaux de l’entreprise. Si aux termes de la procédure au fond, les dirigeants ont été reconnus coupables de détention arbitraire inférieure à sept jours sur le fondement de l’article 224-1 du Code pénal – décision confirmée par la Cour d’appel de Lyon – ces derniers n’en sont pas restés là et ont formé un pourvoi en cassation. C’est dans ces circonstances que la Cour de cassation a été saisie du litige et a pu rendre un arrêt intéressant sur deux aspects : celui du droit pénal et celui du droit social.

Pour caractériser le délit de détention illégale, la personne qui en est l’objet doit avoir été retenue contre sa volonté pendant un certain laps de temps. Le fait que cette détention ait eu lieu au sein d’une entreprise ne déroge pas à cette règle. Aussi, à défaut de l’existence d’actes positifs d’accomplissement (constitués par l’existence d’une contrainte physique ou morale), l’incrimination précitée ne saurait être retenue. Partant, il revient aux juges du fond de préciser aux termes de leurs décisions les faits sur lesquels ils se fondent pour caractériser une telle infraction. Si dans cette affaire, il n’appartenait pas à la Cour – en sa qualité de juge du droit – d’apprécier les faits de l’espèce, elle se devait néanmoins de contrôler la motivation retenue par les juges du fond, ce qu’elle ne manqua pas de faire.

Pour preuve, elle reproche ainsi aux juges précités de ne pas avoir suffisamment caractérisé l’acte matériel de détention illégale. En substance, la Cour estime ainsi que l’injonction faite à un salarié de fait de ne pas « bouger jusqu’à nouvel ordre » ne suffit pas, à lui seul, à démontrer l’existence d’une contrainte et donc à caractériser le délit de détention illégale. Si à la lecture de la décision commentée, le non juriste pourrait s’interroger sur le fait de savoir si la Cour n’a pas ici entendu compliquer la tâche du salarié dans la caractérisation des éléments constitutifs du délit de détention illégale, ce n’est pourtant en réalité aucunement le cas. En effet, la position retenue par la Haute juridiction s’explique par sa seule volonté de veiller à maintenir un contrôle particulièrement strict – en matière pénale (article 593 du Code de procédure pénale) – des motivations des juges du fond. Il est d’ailleurs important de préciser que la Cour fait preuve de la même rigueur lorsque l’incrimination concerne la séquestration de représentants d’employeurs (cf. arrêt du 28 février 2018).

L’autre apport de cet arrêt intéresse le droit social dans la mesure où il permet de préciser les contours du pouvoir disciplinaire de l’employeur lorsque ce dernier est témoin de l’accomplissement, par ses salariés, de faits répréhensibles et pouvant faire l’objet de sanctions disciplinaires. La Cour estime ainsi, qu’en pareil cas, ce dernier a la faculté de « procéder à une enquête et recueillir les explications de ses salariés ». Cette précision – qui semble faire figure d’évidence – est importante s’agissant du  vol commis en entreprise dans la mesure où aucune disposition spécifique ne précise si l’employeur peut ou non procéder à une enquête interne en la matière. S’il ressort de manière explicite de l’arrêt de la Chambre criminelle que l’employeur n’a pas l’obligation de mener une telle enquête – comme cela peut être le cas en matière de harcèlement ou de violence au travail – la Cour de cassation vient néanmoins reconnaître à l’employeur qu’il a toute latitude pour diligenter une enquête aux fins non seulement d’identifier mais surtout de sanctionner l’auteur de faits incriminants. Si une telle prérogative est ainsi admise au profit de l’employeur, il est important d’en préciser les limites et plus spécifiquement les mesures raisonnablement admissibles. Si les faits répréhensibles (et susceptibles de revêtir une qualification pénale) n’obligent pas pour autant l’employeur à se décharger de l’affaire au profit d’officiers de police judicaire, il paraît néanmoins évident que ce droit d’enquête – qui lui est ainsi reconnu – est insusceptible ni de justifier la séquestration d’un salarié ni de porter atteinte à sa liberté d’aller et venir. Partant, si l’employeur peut dans le cadre de cette enquête convoquer un salarié aux fins de l’entendre et recueillir ses explications, il ne peut en revanche le contraindre de quelque manière que ce soit (physiquement ou moralement) à le maintenir contre sa volonté dans le lieu où il est entendu mais aussi et surtout à se présenter à cet entretien. Le régime de l’enquête interne tend – au regard de ce qui précède – à se rapprocher de celui de l’entretien préalable et où le salarié jouit des mêmes droits.

A défaut de cadre légal, un appel à la vigilance apparaît être de rigueur dans la conduite de telles enquêtes. La prise de mesures « à chaud » par l’employeur est donc vivement déconseillée. A défaut, l’employeur pourrait s’exposer à un risque pénal et social prégnant et préjudiciable aux droits et libertés des salariés. La prudence semble être de mise, une fois encore, s’agissant de l’exercice par l’employeur des prérogatives qui lui sont reconnues.

Article co-écrit par Maîtres Sébastien MILLET & Simon PARIER – Ellipse Avocats