« D'une manière ou d'une autre, il faudra construire un nouveau modèle économique »

Interview de Michel Mathieu, président de SECURITAS France et président de la Commission Economique de l’USP

DOSSIER
SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL || Sécurité incendie / 01/12/2012


De pacte en redressement productif, la compétitivité est au cœur des enjeux nationaux, au centre des enjeux économiques pour les entreprises et occupe le devant de la scène médiatique. Comment la sécurité privée aborde-t-elle ce nouveau challenge ? Analyse et prospective avec Michel Mathieu, président de Securitas France et président de la Commission économique de l’USP.


La compétitivité est au cœur du débat économique non seulement national mais aussi européen. Comment la sécurité privée aborde-t-elle ce nouvel enjeu ?

La sécurité privée est à l'image de l'ensemble du secteur économique : en profond changement et ne sachant pas toujours comment réagir et se comporter dans un monde nouveau. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D'une part la sécurité privée a vécu globalement 40 ans de croissance. Les réponses aux questions que nous nous posions en période de croissance ne sont pas celles d'aujourd'hui.
D'autre part, la culture économique dans notre pays est généralement faible. Dans notre métier, il n'y a jamais eu de réflexion structurée, théorique ou académique menée sur ce terrain. Enfin, ce n'est pas un sujet porteur car dans l'imaginaire, économie veut dire argent, veut dire entreprise, veut dire patron. En résumé, des sujets profondément refusés, rejetés, voire vilipendés. Pourtant, il devient urgent de réfléchir au modèle économique de ce métier qui a complètement implosé (cf analyse de la commission économique de l'USP du cas Néo en juin 2012 consultable sur le site  www.usp-securite.org).
Ce contexte particulier a incité l'USP à se doter d’une commission économique. Nous travaillons aujourd'hui sur deux thèmes principaux : quel était le business model et pourquoi a-t-il implosé ? (Nous en avons aujourd'hui une bonne idée). Ensuite, comment imaginer le modèle de demain ? Nous commençons à nous atteler à cette question. Notre objectif est de l'aborder sous un angle théorique ET pratique.

En parallèle, nous percevons qu'il y a pour quelques acteurs une prise de conscience de l'urgence, c'est un bon point de départ pour avancer. Pour beaucoup, en particulier dans les PME, il y a surtout de l'inquiétude ou de la peur face à une situation d'une grande complexité. Cette peur est aujourd'hui très paralysante. Ce sont eux qu'il faut aider.

Le secteur est-il en capacité de construire une stratégie de compétitivité ?
Aujourd'hui non. Toutes les mécaniques en place sont destructrices de valeur. Seuls 30% des entreprises du secteur atteignent l'équilibre économique. Cela prouve par l'absurde que le prix de vente est fortement sous-évalué. Parallèlement l'offre proposée au marché est d'une valeur ajoutée faible, voire nulle. Les entreprises de sécurité ne disposent plus d’aucun moyen pour investir, innover et repartir de l'avant.

La question est plutôt : et demain ? D'une manière ou d'une autre, il faudra être en capacité de construire un nouveau modèle. L'USP doit aider à la réflexion et à la mise en œuvre de projets et d'idées dans ce domaine comme il a su le faire et continue à le faire dans le domaine social ou structurant comme le CNAPS ou la révision de la loi de 83.
L'USP et la commission économique doivent bien sûr avoir un rôle moteur pour pousser au renouveau mais le rôle décisif appartient aux entreprises, à leurs propriétaires et à leurs dirigeants.

À l’aune de votre fonction, que préconisez-vous pour améliorer la compétitivité des entreprises de sécurité françaises ?
En priorité absolue et à court terme, nous avons besoin de stabilité réglementaire, métier, fiscale et sociale. Messieurs les politiques et fonctionnaires, s'il vous plait, arrêtez de travailler et d'être créatif ! Mettez votre énergie à nous aider à faire fonctionner ce qui existe, à faire appliquer ce qui doit l'être. C'est peut-être moins valorisant dans l'instant, mais cela serait beaucoup plus utile à la collectivité.
Ensuite, les 20 premières entreprises doivent se réveiller brutalement. Le cabinet Secafi Alpha que l'on ne peut pas soupçonner d'être un porte-voix du monde patronal, a produit une analyse comparative 2009 / 2011 de l'évolution des rentabilités des 20 premières entreprises. Seules 3 d’entre elles seraient encore bénéficiaires ! Il faudra bien à un moment  donné qu'il y ait une réaction par rapport à cet effondrement. Une entreprise doit gagner de l'argent pour rémunérer ses investisseurs, pour se développer et partager avec ses salariés.

Enfin, nous améliorerons la compétitivité de nos entreprises si nous savons et si nous avons le courage à très court terme de vendre le prix juste de nos prestations. Ensuite, il faut rapidement que nous retrouvions le chemin de création de valeur pour nos clients. En effet, ils subissent une pression économique forte, nous devons leur permettre de faire évoluer leur solution de sécurité. L'intégration surveillance humaine/technologie est très en retard en France et représente un gigantesque terrain d'optimisation tant budgétaire que sécuritaire. Le challenge d'aujourd'hui est de passer de la course au moins cher à la compétition pour plus d'innovation.

La baisse des charges est-elle le seul levier pour améliorer cette compétitivité ?
Il faut rappeler que notre métier est déjà largement sponsorisé. Issu du passage aux 35 heures, un système complexe et mouvant d'allègement de charges existe déjà pour les salaires de 1 à 1,6 SMIC. Ces allègements sont aujourd'hui très supérieurs au résultat même de nos entreprises. Ceci n'a pas de sens car plus personne n'a la moindre idée des coûts réels pour l'entreprise, pour le salarié, pour le client et pour la collectivité. Ces systèmes sont de grandes erreurs historiques. Et maintenant qu'ils sont intégrés au modèle économique, il est impossible de les remettre en cause ; cela provoquerait une augmentation immédiate des prix de 15 à 20% à l'opposé de toute idée de compétitivité pour nos clients.

Le débat sur la compétitivité concerne avant tous nos clients qui se battent sur les marchés mondiaux. Nous, entreprises de service, sommes une composante de leurs coûts. Nous ne sommes pas délocalisables et nos charges sont déjà allégées. Dans l'intérêt national, ce sont nos clients industriels qu'il faut d'abord aider. La baisse des charges ne semble pas être dans l'agenda du gouvernement. C'est regrettable. C'était probablement le moyen le plus efficace et rapide pour redonner de la compétitivité aux entreprises qui se battent sur les marchés mondiaux.

Pour nous, le crédit impôt recherche n'est pas un levier d'une grande aide. Concernant le crédit d'impôt évoqué dans le pacte de compétitivité, concrètement c'est encore un grand flou : pour notre métier où 70% des entreprises ne gagnent pas d'argent, donc ne paient pas d'impôt, que veut dire crédit d'impôt ? Si c'est un apport d'argent frais qui allège la trésorerie de nos PME, ce sera un bon moyen pour elles d'investir pour l'innovation. Néanmoins, la simple stabilité de l'environnement législatif ou réglementaire constituerait un gain de temps nous permettant de concentrer nos efforts sur l'offre et l'innovation pour nos clients, et donc recréer de la compétitivité.

En contrepoint, la commission économique  de  l’USP travaille à la refonte du business model existant. Pourquoi une telle démarche est-elle nécessaire ?
En fait, nous ne travaillons pas à la refonte du business model en tant que tel. Ce sont les entreprises qui en ont la maîtrise. Notre rôle est de les accompagner, de proposer les clés de lecture pour permettre de simplifier la complexité, de partager cette compréhension et faire émerger de nouvelles idées. C'est ainsi que nous redonnerons à notre profession du dynamisme et de l'ambition. Nous pourrons alors imaginer un futur bien différent de la situation dans laquelle nous nous enfonçons depuis 3 ans.

Quels sont les changements fondamentaux qu’il convient d’opérer ?
Les objectifs que nous suivons au sein de la commission économique sont de plusieurs ordres : il s’agit tout d’abord de redonner un sens à la notion de marge. Une entreprise doit gagner de l'argent. Avoir comme seul objectif de survivre ou d'être juste à l'équilibre ne peut pas être une ambition. Nous devons d'abord redonner de l'espoir et de l'énergie entrepreneuriale. Cela passe par le dialogue et le partage de l'analyse de la situation. Nous avons déjà travaillé sur le bilan, nous présenterons les résultats d'un exercice de prospective début 2013.
Ensuite, nous souhaitons redonner de la compétence de gestion. Notre collectivité est plus faible que d'autres dans sa compréhension des enjeux de gestion, des leviers qui font la performance, et de la construction de son prix. Nous devons apporter les outils pour nous renforcer dans le domaine. C'est notre priorité pour le 1er semestre 2013 au travers de publications, de fiches techniques et d'un tour de France où nous diffuserons le résultat de nos premiers travaux dont le thème est : les 20 clés de gestion d'une entreprise de sécurité.
Enfin, il appartient aux entreprises qui le souhaitent, individuellement ou collectivement, d'accepter que le modèle des 40 dernières années est mort, d'en faire le deuil et d'imaginer de nouveaux schémas : ils se trouvent dans l'organisation interne, dans des spécialisations, dans la compétence sûreté/sécurité, dans l'offre technique, dans l'intégration surveillance humaine/technologie, dans l'identification de nouveaux besoins,…  Nous pouvons aider à l'USP au développement de la culture économique mais l'offre et le commerce sont du ressort des entreprises.

Quelle contribution attendez-vous de la part des clients pour mettre en place ce nouveau business model ?
C'est à nos entreprises de proposer à leurs clients des offres nouvelles. Je ne pense pas qu'il faille attendre le secours de l'état ou du marché. Chacun doit jouer sa partition et ce n'est déjà pas simple. Le marché est aujourd'hui exclusivement piloté par la demande : « vous mettez un agent de sécurité à tel endroit de telle heure à telle heure, quel est votre taux horaire ? » Nous devons faire un effort considérable pour faire évoluer le marché vers l'offre et répondre à nos clients : « nous avons une solution différente à vous proposer qui optimise la partie humaine, qui intègre plus de technologie et qui stabilise votre budget ».

Interview extraite du magazine Sécurité Privée, septembre-novembre 2012
Dossier réalisé avec l’aimable collaboration de l’USP (Union des Entreprises de Sécurité Privée) : http://usp-securite.org/

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