Daniel Rémy - : L’entreprise est démunie face aux phénomènes de radicalisation

L’entreprise est démunie face aux phénomènes de radicalisation

SECURITE DES LIEUX DE TRAVAIL || Contrôle d'accès
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27/03/2017
Daniel Rémy -
Daniel Rémy
consultant expert en sûreté

Depuis plusieurs décennies qu’il évolue dans le monde de la sécurité, Daniel Rémy a assisté à l’évolution des problématiques de sûreté en France et dans le monde, et plus particulièrement à la montée des phénomènes de radicalisation, des phénomènes qui, aujourd’hui plus qu'hier encore, visent également les entreprises.
Explications.

Quelle définition donneriez-vous de la radicalisation ?
Dans un souci de simplification, je dirais que la radicalisation touche principalement des individus ou minorités qui cherchent à imposer, par la violence ou sous la contrainte, leur vision de la société à des majorités constituées de façon démocratique. La radicalisation peut être d’ordre politique (mouvements révolutionnaires ou anarchistes, ultra-gauche, extrême-droite...), religieuse, mais également d'ordre social (piquets de grève, occupation d'usines, séquestration des dirigeants...), sociétal ou environnemental (mouvements anti-avortement, anti-expérimentations animales, anti-nucléaire, zadistes...). Enfin, on ne saurait passer sous silence la radicalisation qui, depuis bien longtemps, s'est invitée dans les tribunes de supporters des stades de football (hooligans et autres"ultras"). Si la radicalisation s'exprime, généralement, au sein de groupes clairement identifiés, on a pu voir, à l'occasion des derniers attentats, qu'un individu isolé pouvait parfaitement basculer dans l'action violente, sans jamais avoir attiré l'attention des services spécialisés.

Peut-on reconnaître un individu qui se radicalise ?
En théorie, oui, il est possible de relever des signes précurseurs significatifs du basculement d’une personne dans la radicalisation. On notera, par exemple, une modification significative de son comportement et de ses rapports envers les autres, un changement radical ou un durcissement très net de son discours, allant parfois jusqu’à opérer une transformation de son apparence physique.
Il existe de multiples causes de radicalisation. Elle peut avoir pour origine une rupture d'ordre familial, affectif ou social. Dans les années 90, j'ai été confronté à un cadre qui, à la suite de son licenciement pour des faits de malversation, n'avait rien trouvé de mieux que de se présenter au siège de son entreprise, armé d'un fusil de chasse, et de prendre en otage son PDG, responsable, selon lui, de sa déchéance sociale et de son divorce. J'ai vécu la même expérience, quelques années plus tard, avec un salarié qui , bardé d'une ceinture d'explosifs, avait menacé de se faire sauter au beau milieu du hall de l'entreprise s'il n'était pas réintégré.
En matière de terrorisme, on constate aujourd'hui que la radicalisation touche des individus de plus en plus jeunes, issus de quartiers défavorisés, en échec scolaire ou en perte de repères et qui, pour certains, ont été "pris en charge" par des prêcheurs salafistes radicaux, quand d'autres cédaient aux sirènes de l'argent facile et de ses trafics en tous genres.
Les derniers attentats ont démontré, à cet égard, qu'il existait une très grande porosité entre ces différents acteurs.

Que faire quand on repère une personne radicalisée dans l’entreprise ?
Dans la pratique, les choses sont complexes car nul ne peut définir avec précision où se situe la frontière entre une pratique religieuse rigoureuse et une radicalisation préfigurant un éventuel "passage à l'acte". En cas de changement de comportement avéré d’un collègue, au sein de l'entreprise, il convient de faire remonter l’information auprès de la DRH, à charge pour elle d’alerter la DGSI, non sans avoir pris la peine de procéder à une enquête interne, aux fins de confirmer ou d'infirmer les faits qui ont été portés à sa connaissance. Cette enquête peut parfaitement être confiée à un prestataire extérieur, peu susceptible de se laisser abuser ou manipuler.
Car, il faut bien se rendre à l'évidence, les services de police et de justice ont déjà fort à faire avec les milliers d’individus "signalés"(les désormais célèbres fiches S). D'où la nécessité impérieuse pour l'entreprise, d'étayer sérieusement ses craintes avant d'alerter les autorités. Dans ce type d'affaires, comme dans bien d'autres, une étroite collaboration entre les RH et la direction juridique est plus que jamais nécessaire.

Quelle solution préconisez-vous pour lutter contre la radicalisation ?
Comme dans bien des cas, il n'existe pas de remède miracle mais une "addition de solutions" qui, à défaut d'être mises en oeuvre sérieusement, confinent à poser des pansements sur des jambes de bois, avec les succès que nous connaissons. A quoi bon s'évertuer à déradicaliser des individus si, en parallèle, on ne travaille pas sur les causes qui ont prévalu à cette radicalisation ? La première de ces causes, je ne cesse de le crier depuis des lustres, réside dans cet abyssal déficit éducatif et culturel dans lequel sont tenus un trop grand nombre d'enfants issus de populations déshéritées et totalement abandonnés à leur triste sort : sans éducation, il n'y a d'avenir que pour le terrorisme et la barbarie. Ce n'est évidemment pas le fait du hasard si, de Boko Haram à Daesh, en passant par les talibans, sous toutes les latitudes, les mouvements radicaux mettent le feu aux écoles, aux collèges, aux lycées et aux universités, kidnappent et violent en série des jeunes filles qui n'ont commis que le crime de s'instruire pour échapper à la misère.
 Il n'y a pas de  meilleur antidote à la radicalisation que l'éducation. En France, c'est un crime que de laisser sortir des enfants du système scolaire sans savoir lire, écrire, compter correctement et de les priver du même coup des outils indispensables à l'élaboration d'une pensée bien construite. Sans une étroite collaboration entre les différentes institutions (Police, Justice ,Education Nationale) jamais aucune société ne connaîtra de répit face aux phénomènes de radicalisation.
Il y a urgence à ce que l'ensemble des acteurs qui concourent à l'éducation et à la sécurité de nos concitoyens, secteur privé inclus, apprennent à travailler ensemble, en dehors de toute idéologie partisane ou sectaire : c’est à ce prix, et à aucun autre, que la radicalisation sera vaincue...