Vous avez conduit un vaste travail d’enquête sur la
qualité de vie au bureau. C’est la première fois qu’une étude se
consacrait ainsi exclusivement aux personnes qui travaillent dans
ce type d’environnement
Effectivement, jusqu’à présent, aucun des études ou baromètres
existants portant sur la qualité de vie au travail ne s’était
focalisé uniquement sur les personnes qui travaillent dans des
bureaux.
Nous sommes partis d’une question en apparence simple :
« L’organisation des espaces de bureaux et leurs
aménagements ont-ils un impact sur la satisfaction et le
bien-être au travail ? Plus largement, cette qualité de vie
au travail est-elle synonyme de plus grande efficacité économique
pour l’entreprise ? » Mais avec une hypothèse beaucoup
plus complexe : « Il y aurait bien un impact sur la
satisfaction et le bien-être des salariés ainsi qu’une influence
sur l’efficacité économique des entreprises, mais dans le cadre
d’une interdépendance systémique qui obligerait à élargir
fortement les problématiques dominantes. »
A partir de là, nous avons développé une approche qualitative
fondée sur des groupes de travail et des témoignages réunissant
des experts de différents horizons et convictions :
aménageurs d’espaces, responsables immobiliers, consultants,
chercheurs académiques…
Approche qualitative que nous avons complétée avec des études
quantitatives. La dernière a été menée par TNS Sofres à partir
d’un échantillon classique de plus de 4 000 actifs au travail,
sur un échantillon de 600 salariés travaillant dans tous les
types d’entreprise - des petites ou très grandes, du privé ou de
la fonction publique -, ce qui donne l’importance des biais
pouvant exister avec les enquêtes classiques.
Ces grandes enquêtes combinées aux approches qualitatives nous
ont permis, non seulement de valider notre hypothèse de départ,
mais aussi, de l’élargir en prenant en compte un certain nombre
de facteurs supplémentaires qui entrent en interférence avec ceux
initialement retenus. Cette combinaison d’éléments impacte aussi
bien la qualité de vie au bureau que la performance au bureau.
La qualité de vie au bureau, qu’est-ce que c’est
alors ?
Pour un salarié, le sentiment de bien-être au travail et par
conséquent sa motivation et son efficacité productive – ce qui
est beaucoup plus que sa productivité - vont se construire à
partir d’un jeu complexe, faisant intervenir différentes
composantes qui intéressent tout autant la vie de l’entreprise et
sa gestion que la vie des salariés avec leurs aspirations et
leurs modes de vie.
D’un côté donc, la morphologie du bâti et son aménagement, la
localisation de l’entreprise, l’organisation du travail, la
gestion des ressources humaines, le style de management, la
culture de l’entreprise. De l’autre, les salariés eux-mêmes, avec
leurs grandes diversités de profils socio-démographiques, leur
sensibilité et leur exigence d’équilibre entre vie au travail et
vie en dehors du travail.
Les managers d’aujourd’hui se doivent de prendre en compte
l’ensemble de ces paramètres pour favoriser des situations de
bien-être au travail et pour optimiser la performance de leurs
équipes. Cette approche est incontournable.
Que pensez-vous des délocalisations de sièges sociaux en
grande couronne parisienne ?
En cherchant à faire des économies ou pour regrouper des services
éparpillés, les entreprises ont parfois délocalisé les bureaux
loin des centres de vie et ont aménagé des plateaux de style hall
de gare, ce qui a engendré des résultats désastreux allant de la
démotivation de leurs équipes et de mouvements de grève jusqu’au
départ des éléments les plus performants. On assiste aujourd’hui
à des retours sur ces décisions.
Les projets de construction actuels « intelligents »
prennent en compte la vie au travail et en dehors du travail avec
des choix d’implantation tenant compte de la desserte en
transports publics mais aussi des localisations des logements de
leurs salariés. C’est un progrès considérable mais très récent,
et loin d’être devenu la norme.
La qualité de vie au bureau, est-ce la fin de l’open
space ?
Les open space ont le vent en poupe et on ne voit pas ce qui
pourrait arrêter le mouvement tant ils deviennent partie
intégrante de ce que veut être l’entreprise moderne et
performante. La qualité de vie au bureau est compatible avec le
concept d’open space mais à la condition que les donneurs d’ordre
ou maîtres d’ouvrage conçoivent ce que j’appelle dans l’ouvrage
publié sous l’égide d’ACTINEO, un « open space
intelligent ».
Les entreprises qui ont adopté ce type d’open space constatent
que leurs salariés peuvent être heureux et efficaces au travail,
à condition de respecter un certain nombre de conditions
d’aménagement des espaces et d’organisation du travail.
Concernant l’organisation formelle du travail et l’aménagement de
l’open space en lui-même, nous avons constaté dans ces
entreprises des éléments communs et préconisons de réfléchir à
« l’anti hall de gare » avec :
- un fractionnement de l’espace en sous-espaces respectant l’organisation du travail et la cohérence des équipes ainsi que leurs identités ;
- la possibilité de donner des points de repère aux équipes dans ces sous-espaces, qui permettent une appropriation collective ;
- l’attention portée aux éléments d’atmosphère tels que le bruit, les couleurs, la lumière ;
- l’appropriation et la possibilité de personnalisation par l’individu de son espace, qui sera différent de celui de son voisin, ce qui lui donne un souffle de liberté indispensable.
L’aménagement des bureaux, c’est aussi réfléchir en
termes d’organisation du travail ?
Bien sûr, par exemple dans les open space intelligents, nous
recommandons l’aménagement d’espace satellites pour tenir compte
des différentes modalités d’exercice du travail. Ainsi, le
salarié travaillant en open space doit aussi avoir la possibilité
de s’isoler seul ou à plusieurs à tout moment et en toute
confidentialité, d’où la nécessité de prévoir de petites salles
ou boxes de réunion en libre accès qui vont cohabiter avec des
salles de réunions plus formelles et mieux équipées, pour les
réunions planifiées.
Concernant l’organisation informelle du travail, on assiste dans
les entreprises à la réhabilitation des cafétérias qui
redeviennent des lieux d’échanges et de lien social.
Les entreprises les plus avancées dans ce processus créent même
des espaces de rencontres avec des logiques d’agora en place de
village ou campus.
Dans ces initiatives, on retrouve l’idée que, pour favoriser les
coopérations voire les mutualisations de connaissances, il faut
redonner de l’autonomie et de la liberté au salarié. Le constat
s’impose que cela impacte positivement sur son efficacité, dans
la mesure où il a les compétences voulues et que cela correspond
à ses aspirations réelles.
Quel impact sur la conduite des projets
immobiliers ?
Effectivement, les enseignements de cette étude nous conduisent à
nous interroger sur la gestion de projet immobilier : qui va
en être le chef de projet ? Quelles vont être les parties
prenantes, au-delà des directions immobilières agissant sous
la surveillance étroite des directions financières : les
directions des ressources humaines, les représentants syndicaux
et les CHSCT, les directions opérationnelles concernées, des
consultants en ergonomie, les salariés eux-mêmes...? Projet
participatif, jusqu’où ? Et après, comment effectuer le
suivi et vérifier l’appropriation d’un nouveau lieu de travail
par les équipes ? Se remettre en question et apporter des
améliorations ?
Il y a là bien des questions que toute entreprise qui envisage de
construire ou de réaménager des bureaux devra se poser.
Pour en savoir
plus
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- Actinéo, Observatoire de la Qualité de vie au bureau : http://www.actineo.fr/