René DOSNE - BRIGADE DES SAPEURS-POMPIERS DE PARIS : Croqueur de feu, sur tous les fronts…

Croqueur de feu, sur tous les fronts…

|| Sécurité incendie
/
27/11/2012
René DOSNE - BRIGADE DES SAPEURS-POMPIERS DE PARIS
René DOSNE
Lieutenant-colonel de réserve et initiateur du dessin opérationnel
BRIGADE DES SAPEURS-POMPIERS DE PARIS
Pour Préventica, René Dosne revient sur ses missions, un métier unique qu’il a créé, passionnant et pourtant méconnu : la réalisation de croquis opérationnels sur les grands incendies.

Comment êtes-vous devenu « croqueur de feu » ?
La passion du camion de pompier, je l’ai attrapé tout petit et elle ne m’a jamais quitté. Déjà à 6-7 ans, je dessinais des camions partout ! Alors j’ai fait une formation en arts graphiques et j’ai commencé à faire des croquis de reportage pour la revue Allo 18. Au fur et à mesure, mes croquis sont devenus de plus en plus techniques et j’ai mis au point un procédé de croquis rapide en 3D qui permettait d’avoir une vision immédiate et évolutive des bâtiments et du sinistre.  Les équipes opérationnelles ont compris que ces croquis pouvaient leur apporter un plus dans leur lutte contre la propagation du feu et m’ont alors demandé d’approfondir ma technique.

Concrètement, comment se passe une intervention ?
Le dessinateur est appelé sur les gros incendies, sur lesquels il y a une demande de renforts, mais il m’est aussi arrivé d’intervenir sur des accidents de métro, des attentats, des effondrements : l’attentat de la station du RER Saint-Michel en 1995, l’incendie du Tunnel du Mont Blanc en 1999, l’explosion de l’usine AZF en 2001…
Lorsque l’on arrive sur le lieu de l’incendie, il faut aller vite, très vite. En quelques minutes, on doit être capable de comprendre et retranscrire la configuration des lieux, anticiper les axes de propagation du feu et donner aux opérationnels sur le terrain ainsi qu’à l’état major des informations précises sur l’agencement des locaux, les couloirs, les courettes, les cages d’escalier, … tous les chemins par lesquels le feu peut progresser.

10 mn pour rendre un croquis opérationnel, une course contre la montre ?
Effectivement, c’est sportif ! Pour que le croquis soit explicite, il faut choisir les bons points de vue, monter sur les grandes échelles,  se poster sur les toits, explorer le bâtiment en quelques minutes, se rapprocher au plus près des flammes, dessiner vite et bien. Pas toujours simple au milieu de la fumée, des lances à incendie, dans la chaleur… et de plus en tenue de feu.  Mais on est pompier avant tout, et avec l’expérience, on devient capable de faire face au stress en toutes circonstances, et de garder sa seule mission en ligne de mire.

coqis - croqueurs de feux


A l’heure du multimedia et de la palette graphique, votre métier n’est-il pas amené à disparaître ?

Bien au contraire, les nouvelles techniques de communication m’ont apporté beaucoup en termes de précision et de réactivité. A mes débuts, il n’y avait rien comme moyen de transmission entre moi et l’état major, puis est arrivé en 1990 le fax mais avec un usage limité au noir et blanc. Aujourd’hui, lorsque le dessinateur arrive sur le lieu d’un sinistre, il branche son smartphone pour avoir une vue satellite des lieux, ce qui lui permet déjà d’avoir une bonne vision d’ensemble. Puis, au fur et à mesure que les croquis sont réalisés, ils sont remis au commandement opérationnel sur place et photographiés pour être envoyés par MMS à l’Etat Major. Néanmoins, l’outil de travail principal n’a pas changé depuis 47 ans : un bloc et trois feutres, un noir pour les traits, un gris pour le relief et les ombres et l’orange pour le feu.

Ce métier si singulier, d’autres personnes l’exercent-elles à travers le monde ?
Je suis resté très longtemps le seul et c’est une spécialité au niveau mondial qui n’existait qu’au sein de la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris. Malgré toute son utilité, cette technique est restée peu médiatisée. Aujourd’hui, cela change et les croquis opérationnels commencent à se développer.
Pour ma part, après 47 ans de carrière et plusieurs centaines d’interventions, j’ai raccroché définitivement le casque l’année dernière.
Je me consacre désormais à la transmission de mes techniques et de mon savoir-faire. J’ai ainsi recruté et formé sept pompiers-graphistes à Paris, qui sont de garde 7 jours sur 7 et réalisent une centaine d’interventions par an. Je continue à les suivre de près, ils m’envoient leurs croquis et je les conseille, les aide pour travailler toujours plus vite et mieux. Je vais également former une quinzaine d’officiers à Genève et je travaille aussi à la réalisation d’une base de données opérationnelles de vues 3D des édifices complexes, ceci afin de préparer d’éventuelles interventions sur des sinistres. La lutte contre le feu au travers de l’image, c’est une passion, je ne pourrai jamais complètement raccrocher !


Couverture croqueurs de Feux

 

Pour en savoir plus

« Croqueurs de feu  - Le croquis opérationnel, pourquoi, comment ? » 
par René Dosne aux éditions France Sélection : http://www.franceselection.fr/boutique/Librairie/E0391.asp