Salariés et caméras, une cohabitation délicate

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24/10/2013 - Sébastien Millet
« Vidéosurveillance », « vidéoprotection », au-delà du glissement sémantique destiné à donner une meilleure légitimité et acceptabilité à ces dispositifs, leur encadrement juridique reste très strict. Le sujet est sensible dans le monde de l’entreprise, et alimente régulièrement l’actualité suite à des plaintes ou actions judiciaires de salariés. Le principe de proportionnalité constitue un outil de contrôle essentiel en la matière, aussi bien pour la CNIL que les juges dans le domaine du travail du travail (cf. C. Trav., L1121-1).

Dans ce registre, deux actualités marquantes sont à retenir :

  • D’une part, la vigilance sur les abus : dans une décision n° 2013-029 du 12 juillet 2013, la CNIL a mis en demeure une entreprise de la grande distribution exploitant un centre commercial de modifier son dispositif de manière à éviter toute collecte excessive d’images de salariés en situation de travail. Parmi les motifs de la décision, retenons que l’entreprise avait implanté 240 caméras (dont 180 filmant les locaux de travail, rapporté à un effectif de 230 salariés). Ce maillage de la quasi-totalité des lieux de travail conduisant à une mise sous surveillance permanente des salariés, la CNIL estime que la configuration du dispositif engendre une collecte d’images disproportionnée eu égard à sa finalité (prévenir les atteintes aux biens et aux personnes et protéger contre les accidents et incendies).
  • D’autre part, une ouverture en matière de recevabilité des images en tant que preuve d’agissements fautifs d’un salarié : selon une décision récente, « (…) le système de vidéo-surveillance avait été installé pour assurer la sécurité du magasin et n'avait pas été utilisé pour contrôler le salarié dans l'exercice de ses fonctions, [la Cour d’appel] a exactement retenu que celui-ci ne pouvait invoquer les dispositions du code du travail relatives aux conditions de mise en oeuvre, dans une entreprise, des moyens et techniques de contrôle de l'activité des salariés ; (…) que M. X..., qui venait de quitter son poste encore revêtu de sa tenue de travail, s'était emparé du téléphone qu'une cliente avait oublié au guichet billetterie du magasin, (…) que ce comportement, qui affectait l'obligation de l'employeur d'assurer la sécurité des clients et de leurs biens, se rattachait à la vie de l'entreprise et, étant de nature à y rendre impossible le maintien de l'intéressé, constituait une faute grave » (Cass. Soc. 26 juin 2013, n° 12-16564). En l’espèce, le dispositif était bien utilisé de manière conforme à sa finalité. Le salarié avait été pris en « flagrant délit » à son départ de l’entreprise alors qu’il n’était plus en fonctions. Premier point, le dispositif ne visait pas à le contrôler dans son travail ; les juges estiment donc que le salarié ne pouvait se prévaloir des règles de formalisme relatives au contrôle de l’activité des salariés (cf. C. Trav., L2323-32 et 1222-4), ce qui paraît plutôt à contre-courant par rapport à sa jurisprudence habituelle. Second point, les faits constituaient une faute relevant du pouvoir disciplinaire de l’employeur, sans que le salarié ne puisse invoquer un fait de vie personnelle et sa qualité de client du magasin. Pour retenir le lien avec l’exécution du contrat de travail, les juges font référence à l’obligation de l'employeur d'assurer la sécurité des clients et de leurs biens, ce qui est suffisamment nouveau pour être relevé. Cela ouvre certainement la voie à de futurs développements jurisprudentiels car on comprend que cette obligation est susceptible d’être déclinée sur d’autres domaines comme élément justificatif.