La réforme du suivi de l’état de santé des travailleurs, ce qu’il faut retenir

ORGANISATION DE LA PREVENTION || Evaluation des risques / DU
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10/01/2017 - Sébastien MILLET

En application de la loi « travail », un important décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 relatif à la modernisation de la médecine du travail vient de réécrire en profondeur les dispositions du Code du travail concernant les modalités de suivi médical des travailleurs.


Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017, avec un objectif : rendre plus effective l’application des règles en la matière au travers de plusieurs axes : espacement plus large des visites médicales ; intervention non systématique du médecin du travail ; suivi recentré sur les travailleurs affectés à des postes à risque.

Conséquence, ces mesures vont permettre de dégager du temps pour les médecins du travail. Elles auront aussi pour effet de renforcer leur mission de prévention et de conseil auprès de l’entreprise (C. Trav., R4623-1 nouv.), ainsi que leurs obligations en matière d’encadrement de l’équipe médicale pluridisciplinaire (définition du protocole de suivi médical) et de déclarations d’inaptitude. Elles devraient également avoir pour effet de regénérer le contentieux de la contestation des avis du médecin du travail, qui relève désormais de la compétence du juge judiciaire.

Sans entrer dans le détail technique de ces nombreuses dispositions, voici un aperçu de la réforme en pratique :

1°) Des modalités de suivi de l’état de santé allégées

Si le principe posé est celui d’un suivi individuel de l’état de santé pour les travailleurs, force est de constater que dans le nouveau régime, celui-ci sera très sensiblement assoupli.

Dans la majorité des cas, la visite d’aptitude à l’embauche disparaît et le salarié ne sera convoqué (avant la fin de son essai et au plus tard dans les trois mois de l’embauche) qu’à une visite d’information et de prévention (VIP), au terme de laquelle lui sera délivrée une simple attestation de suivi.

La VIP n’aura pas pour objet d’examiner l’aptitude du travailleur, mais –notamment- de l’informer sur les risques de son poste et le sensibiliser sur les mesures de prévention à prendre (ce qui ne se substituera bien entendu pas à l’obligation de formation et d’information de l’employeur). Conséquence, elle pourra être réalisée par les professionnels de santé de l’équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail (collaborateur médecin ; interne en médecine du travail ; infirmier) et pas uniquement par le médecin du travail. Des dispenses de VIP initiale sont  mêmes prévues (cf. C. Trav., R4624-15 nouv.). Après cette visite initiale, la VIP sera renouvelée tous les 5 ans au plus tard (au lieu de 2 ans avant la réforme). En pratique, de nombreux salariés pourront ainsi se trouver, de fait, réputés aptes à leur emploi sans passer de visite d’aptitude (p. ex. dans le tertiaire).

Selon une approche graduée, certains travailleurs concernés par la VIP bénéficieront toutefois de modalités de suivi adapté, avec une périodicité ramenée à 3 ans au plus, selon le protocole établi par le médecin du travail. ). Les pratiques pourront ainsi être variables d’un service à l’autre. Sont concernés les travailleurs dont l’état de santé, l’âge, les conditions de travail ou les risques professionnels auxquels ils sont exposés le nécessitent (travailleurs handicapés ; travailleurs titulaires d’une pension d’invalidité ; travailleurs de nuit notamment. Par ailleurs, une VIP sera obligatoire avant toute affectation au poste pour certaines catégories de salariés (jeunes de moins de 18 ans qui ne relèvent ainsi plus de la surveillance médicale renforcée ; travailleurs de nuit ; salariés exposés à des agents biologiques de niveau 3 et 4 ; exposition aux champs électromagnétiques au-delà des valeurs limites).

Par sécurité, la possibilité d’une visite auprès du médecin du travail n’est pas totalement fermée. Ainsi, le travailleur sera obligatoirement orienté vers le médecin dans plusieurs cas du travail, notamment si le professionnel de santé assurant la VIP l’estime nécessaire. À titre facultatif, la possibilité d’une visite auprès du médecin du travail « à la demande » du salarié ou de l’employeur reste toujours possible. Par ailleurs, le salarié pourra être à tout moment orienté vers le « circuit » de suivi individuel renforcé à l’initiative du médecin du travail.

Sont concernés par le régime du suivi individuel renforcé (venant remplacer l’ancienne surveillance médicale renforcée) :

  • D’une part, les travailleurs affectés à un poste à risques particuliers figurant sur la liste du nouvel article R4624-23 du code du travail (7 catégories sont visées, à savoir amiante ; rayonnements ionisants ; agents CMR ; plomb au-delà des valeurs limites d’exposition ; agents biologiques de niveau 3 et 4 ; risque hyperbare ; chute de hauteur en cas de montage/ démontage d’échafaudage) ;
  • D’autre part, les travailleurs affectés à des risques particuliers pour lesquels un examen d’aptitude est imposé par le code du travail (ex : dérogation aux travaux interdits des jeunes ; postes soumis à autorisation de conduite ; postes soumis à habilitation électrique) ;
  • Enfin, les postes présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité du travailleur ou pour celles de ses collègues ou des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail, figurant sur une liste établie par l’employeur, en cohérence avec l’évaluation des risques et la fiche d’entreprises, après avis du médecin du travail et du CHSCT (ou des DP à défaut). Le texte précise que cette inscription interviendra si l’employeur le juge nécessaire, et devra le cas échéant être motivée. Derrière cette apparente latitude laissée à l’employeur, il convient de bien considérer les enjeux du suivi renforcé en termes d’obligation de sécurité de résultat.

Dans ce cadre, le régime de la VIP n’est plus applicable ; le salarié bénéficiant d’un suivi renforcé est alors soumis -sauf cas de dispense (C. Trav., R4624-27 nouv.)- à un examen médical d’aptitude (EMA) avant embauche et affectation au poste à risque par le médecin du travail. Celui-ci donne lieu à délivrance d’un avis d’aptitude. Celui-ci est renouvelé selon une périodicité de 4 ans au plus, avec obligation d’une étape intermédiaire de suivi dans les 2 ans, auprès d’un professionnel de santé de l’équipe pluridisciplinaire. Cette périodicité contraste certainement avec l’intitulé de suivi individuel « renforcé ». Il sera donc de la responsabilité du médecin du travail de définir au cas par cas la périodicité la mieux adaptée aux risques, et d’en informer l’employeur.

À noter que si les salariés titulaires de CDD bénéficient d’une périodicité de suivi équivalente, pour les travailleurs saisonniers exposés à des risques particuliers, le régime du suivi individuel renforcé ne s’appliquera qu’en cas de mission d’une durée au moins égale à 45 jours.

Les services de santé au travail vont ainsi devoir s’organiser rapidement de manière à répondre à ces nouvelles modalités, avec un enjeu de responsabilité civile puisque ces assouplissements devraient éviter les situations de « stocks » de visites en retard.

2°) Un nouveau formalisme applicable à la déclaration d’inaptitude

L’examen d’aptitude, qui reste une prérogative du médecin du travail, a vocation à intervenir :

  • Soit dans le cadre de l’examen médical d’aptitude dont bénéficient les salariés relevant du suivi individuel renforcé ;
  • Soit dans le cadre d’une visite auprès du médecin du travail sur demande du salarié (ou de l’employeur) ;
  • Soit à l’occasion d’une vie de reprise organisée dans les 8 jours de la reprise du travail (après soit un congé maternité, soit une absence pour maladie professionnelle, soit une absence d’au moins 30 jours pour cause d’accident -professionnelle ou non- ou de maladie).

Si dorénavant l’inaptitude pourra par principe être valablement constatée au terme d’une seule visite médicale sans obligation d’une seconde visite de confirmation, la nouvelle réglementation renforce en revanche les diligences préalables à la déclaration d’inaptitude.

Ainsi, plusieurs conditions cumulatives sont expressément imposées :

  • Le médecin du travail doit avoir réalisé au moins un examen individuel du salarié (et si nécessaire avoir fait réaliser des examens complémentaires). Celui-ci doit permettre un échange avec le salarié sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;
  • Le médecin du travail doit ensuite avoir réalisé (ou fait réaliser par un professionnel de santé de l’équipe pluridisciplinaire) une étude de poste ainsi qu’une étude des conditions de travail dans l’établissement, et avoir indiqué la date d’actualisation de la fiche d’entreprise ;
  • Le médecin du travail doit justifier d’avoir échangé par tout moyen avec l’employeur sur les mesures individuelles d’aménagements à prévoir.

Le constat d’inaptitude suppose un constat d’impossibilité d’aménagements et la nécessité d’un changement de poste. L’avis d’inaptitude, établi selon un modèle (arrêté ministériel à paraître), doit être étayé par des conclusions écrites, assorties d'indications relatives au reclassement du travailleur. Il pourra mentionner expressément que le maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à la santé ou que l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, ce qui constituera alors un motif de rupture du contrat de travail sans recherche de reclassement pour l’employeur. Le médecin du travail disposera d’un délai de 15 jours calendaires à compter de la visite médicale pour notifier l’avis d’inaptitude, par tout moyen lui conférant une date certaine. Cette période pourra ainsi être mise à profit pour procéder aux examens complémentaires éventuellement nécessaires ainsi qu’aux échanges avec les parties prenantes, et si besoin, pour réaliser une seconde visite dans cet intervalle.

La question du reclassement sera donc abordée en amont du constat d’inaptitude, ce qui imposera au médecin du travail une implication beaucoup plus large.

Les employeurs devront néanmoins continuer à être vigilants au respect de ces règles et si besoin relancer le médecin du travail, dans la mesure où leur non-respect sera de nature à entacher d’irrégularité l’avis d’inaptitude et donc d’invalider le licenciement qui en découlerait.

3°) Vers une relance des contestations d’avis médicaux ?

Force est de constater que l’ancien cadre juridique applicable en matière de contestation des avis du médecin du travail, qui nécessitait la saisine de l’inspecteur du travail, était inadapté, et peu utilisé en pratique (la majorité des recours donnant lieu statistiquement à décision de rejet).

Dorénavant, les avis, propositions, conclusions ou indications formulées par le médecin du travail pourront être contestés devant le juge judiciaire, soit par l’employeur (notamment en cas d’avis « avec réserves »), soit par le salarié.

Pour cela, la section de référé du Conseil de prud’hommes devra être saisie dans les 15 jours de la notification de l’avis médical, d’une demande de désignation d’un médecin expert.

Il est certainement plus cohérent que ce contentieux ait été transféré au juge du contrat de travail plutôt qu’au juge admiratif comme c’était le cas auparavant. Il est en revanche regrettable que le décret n’apporte pas de précisions sur la portée de l’avis du médecin expert. Conformément aux principes généraux en matière d’expertise, il faut comprendre que son avis ne se substitue pas en soi à l’avis du médecin du travail, et qu’il appartiendra à la juridiction de statuer sur ce point, sur le fond. Il serait défendable de soutenir que passé le délai de recours de 15 jours, le salarié serait forclos pour contester l’avis d’inaptitude, mais il n’est toutefois pas certain que la jurisprudence se montre aussi sévère dans la mesure où les textes prévoient la possibilité pour le Conseil de prud’hommes, y compris en cas de saisine au fond, de solliciter l’intervention du médecin inspecteur du travail à titre consultatif.

En tout état de cause ce nouveau contentieux n’occultera pas le contentieux du reclassement, même si la réforme vient alléger quelque peu les obligations de l’employeur dans ce domaine en cas de constat du médecin du travail d’une impossibilité totale de reclassement ou de maintien dans un emploi. Reste à savoir quelle application en sera faite par la Chambre sociale de la Cour de cassation.