Projet de réforme de l’expertise CHSCT dans les entreprises multi-établissements

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11/04/2013 - Sébastien MILLET
Le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi en cours de discussion devant l’Assemblée nationale prévoit, au titre de la création de nouveaux droits collectifs, la mise en place d’un nouvel interlocuteur pour des dirigeants des entreprises multi-établissements : l’instance de coordination des CHSCT. Celle-ci ambitionne de sécuriser la conduite des opérations de réorganisation. Explications.

Contexte

Parmi ses différentes attributions, le CHSCT a la possibilité dans certaines situations limitativement énumérées de recourir à un expert agréé, ou à un expert en risques technologiques. Intéressons-nos ici aux projets d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, dans lesquels le CHSCT doit être informé et consulté pour avis par le chef d’établissement et peut à cette occasion décider de recourir à un expert agréé (cf. C. Trav., L4614-12 ), dont la mission est de 45 jours au maximum. Le périmètre du CHSCT étant l’établissement, un projet affectant l’entreprise toute entière peut ainsi conduire à ce qu’il y ait autant d’expertises que de CHSCT, avec des issues très variables.
Cette situation est d’autant plus décriée du côté des directions d’entreprises que le recours à l’expert est souvent détourné de sa finalité, alors que l’employeur est « payeur obligé ». En pratique, ces expertises sont très coûteuses et représentent une charge financière souvent jugée disproportionnée (plusieurs dizaines de milliers d’euros la mission). Certes, l’employeur peut contester devant le président du Tribunal de grande instance statuant en la forme des référés la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, mais l’étude de la jurisprudence montre que statistiquement, les contestations aboutissent rarement. Une évolution était inévitable afin de mieux concilier les droits du CHSCT avec les intérêts de l’entreprise :

  • Acte I – Un meilleur contrôle des experts auprès des CHSCT organisé par le décret n° 2011-1953 du 23 décembre 2011 (modification des conditions et de la procédure d'agrément afin de garantir la qualité des expertises ; renforcement des exigences de compétence et des règles déontologiques ; contrôle continu de l'activité des experts et possibilité de suspension d’agrément).
  • Acte II – Une recherche de simplification et d’amplification du rôle des CHSCT dans les entreprises comptant plusieurs CHSCT concernés par un même projet, par la création d’une instance unique de coordination. Fait notable, ce dispositif est le fruit de la négociation collective au travers de l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité et l'emploi (cf. art. 12). Le projet de loi en discussion prévoit d’intégrer ce mécanisme dans le Code du travail (futurs articles L4616-1 et suivants).

Fonctionnement

Mise en place - Lorsque les consultations obligatoires du CHSCT (aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, introduction de nouvelles technologies, plan d’adaptation à des mutations technologiques importantes et rapides) portent sur un projet commun à plusieurs établissements dotés de CHSCT, l’employeur pourra décider de mettre en place d’instance de coordination des CHSCT. Ce sera pour lui une simple faculté laissée à sa libre initiative.
Composition – Sauf aménagement particulier prévu par accord collectif, participeront à l’instance de coordination le chef d’entreprise (ou son représentant), un représentant désigné au sein de chaque CHSCT, ainsi que des personnes territorialement compétentes pour l’établissement dans lequel se réunit l’instance de coordination (médecin du travail, inspecteur du travail, agent des services de prévention notamment).
Double mission – Bien qu’il ne soit pas envisagé de lui reconnaître la personnalité morale, l’instance de coordination organisera le recours à une expertise unique par un expert agréé dans les conditions des articles L4614-12 et L4614-13 du Code du travail, et rendra sur cette base un avis sur le projet commun, éventuellement sous forme d’un avis unique (en lieu et place des consultations locales) si un accord collectif d’entreprise préalablement conclu le permet.

Fonctionnement identique au CHSCT – Les règles prévues en matière de présidence, ordre du jour des réunions, moyens matériels et informations, délibérations et confidentialité seront applicables à l’instance de coordination. 
Procédure accélérée – L’instance de coordination sera tenue de se prononcer dans un délai préfix (à définir dans un futur décret en Conseil d’Etat), le point essentiel tenant au fait qu’à l’issue de ce délai réglementaire, l’instance de coordination sera réputée avoir été (régulièrement ?) consultée même si elle n’a pas rendu son avis ou si l’expert n’a pas été en mesure de rendre son rapport. Il appartiendra donc d’une part à l’instance de coordination de définir en conséquence la mission de l’expert (qui sera désigné dès la première réunion), et d’autre part au cabinet d’expertise de bien s’organiser sachant que le périmètre d’expertise sera plus large (multi-sites) avec un temps imparti qui devrait être raccourci par rapport au délai actuel…
 
Perspectives

En l’état actuel du projet de loi, il est permis de penser qu’à défaut d’alléger le coût des expertises, la conduite des réorganisations devrait tout de même gagner en cohérence, en rapidité et en sécurité pour les entreprises. Les conflits et contentieux devraient être moins nombreux dans la mesure où en décidant de recourir à cette instance de coordination, l’employeur accepte le principe d’une expertise unique. Les directions d’entreprises auront sans doute intérêt à recourir à l’instance de coordination plutôt qu’à subir les aléas d’une multiplication des consultations locales. En tout état de cause, cela donnera lieu à des arbitrages en termes de stratégie procédurale et d’opportunité.
Certes, les partenaires sociaux s’interrogeront sur le point de savoir si une expertise unique ne risque pas d’être superficielle et peu pertinente en termes d’analyse, et si finalement, derrière la volonté affichée, il s’agit véritablement d’une création de « nouveaux droits collectifs »… 
Cela étant, cette instance de coordination va se superposer aux instances locales (CHSCT et comités d’établissements), mais sans les déposséder de leurs attributions. Ainsi, chaque CHSCT sera destinataire du rapport d’expertise unique et de l’avis de l’instance de coordination. Chaque CHSCT conservera en outre la possibilité de déclencher une expertise sur le fondement du risque grave constaté dans l’établissement, ce qui est souvent le cas en matière de projet de réorganisation.
Reste à attendre la publication de la future loi.