Les nouvelles obligations de prévention des expositions aux champs électromagnétiques

AMENAGEMENT DES ESPACES DE TRAVAIL || Aménagement des espaces
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12/10/2016 - Sébastien MILLET

Dans la catégorie des rayonnements non ionisants, les champs électromagnétiques constituent une source de risque pour les travailleurs, le plus souvent imperceptible.


Ces risques sont particulièrement présents en milieu industriel, du fait des équipements ou procédés utilisés (p. ex. soudage, magnétoscopie, fours à micro-ondes, aimants, etc.).

Le décret n° 2016-1074 du 3 août 2016 (publié au JORF du 6 août 2016) vient in extremis transposer en droit français la directive 2013/35/UE du 26 juin 2013 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux champs électromagnétiques (cf. spectre de fréquences compris entre 0 Hz et 300 GHz).

Ces dispositions, codifiées aux nouveaux articles R4453-1 et suivants du Code du travail, entreront en vigueur, pour les entreprises et établissements soumis à la quatrième partie du Code du travail, à compter du 1er janvier 2017. Ces dispositions viennent en application de l’article L4453-1 du Code du travail, instauré par la loi « Grenelle II » pour l’environnement, n° 2010-788 du 12 juillet 2010.

Les employeurs vont devoir s’atteler à ce nouveau chantier en matière de prévention.

Précisons que ce cadre juridique s’attache à prévenir uniquement les risques connus et établis scientifiquement, à savoir :

  • Des effets biophysiques directs, de type thermique (ex : échauffements) ou non selon la gamme de fréquence, et entraînant un effet soit sensoriel (ex : vertiges), soit nocif pour la santé selon la partie exposée du corps et la gamme de fréquence ;
  • Des effets dits indirects sur l’environnement de travail (ex : étincelle, explosion liée à un arc électrique, projection d’objets, etc.), voire même en termes de perturbation du fonctionnement d’implants médicaux.

En revanche, les risques d’effets à long terme sur la santé humaine en cas de faible exposition régulière (on pense par exemple à la technologie wi-fi), qui sont discutés et non suffisamment étayés en l’état des connaissances scientifiques, restent pour l’heure hors du champ de ces prescriptions réglementaires. Ils restent néanmoins sous « surveillance » des autorités publiques concernant l’exposition du public aux ondes électromagnétiques (cf. principe de « sobriété » posé par la loi n° 2015-136 du 9 février 2015). Cela n’exclut pas la nécessité pour les employeurs de se tenir en veille concernant l’exposition des travailleurs qu’ils emploient (cf. l’obligation de tenir compte de l’état d’évolution de la technologie – C. Trav., L4121-2, 5°).

A titre préliminaire, le décret vient poser une exigence de « réduction des risques » liés à l’exposition aux champs électromagnétiques, fondée sur la mise en œuvre des principes généraux de prévention.

Le dispositif repose sur deux notions essentielles (à comparer à la valeur mesurée –VM- par l’employeur) :

  • D’une part, les valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP - C. Trav., R4453-3), qui constituent un seuil de santé à ne pas dépasser au niveau du corps humain (sauf dérogations strictement encadrées) ;
  • D’autre part, les valeurs déclenchant l’action (VA – C. Trav., R4453-4), définis comme des « niveaux d’exposition opérationnels au-delà desquels des mesures ou moyens de prévention prévus doivent être mis en œuvre et, pour celles concernant les effets biophysiques, en-deçà desquels les valeurs limites d’exposition sont considérées comme respectées ». Ces valeurs  sont distinctes selon qu’il est question d’effets biophysiques directs (avec prise en compte d’une « marge de sécurité » par rapport à la VLEP), ou d’effets indirects sur l’environnement de travail. Le décret permet ainsi de présumer que si l’exposition reste en-deçà de la grandeur physique définie pour la VA, elle n’entraîne pas d’effets nocifs connus pour la santé.

 

Ce nouveau cadre s’articule autour de plusieurs points :

1°) L’évaluation obligatoire des risques liés à l’exposition selon les nouveaux critères :

L’évaluation des risques, qui devra être consignée au document unique, vise d’une part à identifier les valeurs pertinentes au regard de la situation de travail parmi les VLEP et les VA réglementaires, d’autre part à constater si l’une de ces valeurs est susceptible d’être dépassée dans une situation donnée de travail, et le cas échéant, à déterminer les mesures et moyens de prévention.  

La méthode d’évaluation est strictement cadrée afin de ne rien « laisser au hasard », et l’employeur doit prendre en compte de nombreux paramètres techniques (cf. C. Trav. R4453-8).

Si l’évaluation peut être réalisée à partir des données documentaires, elle doit donner lieu, lorsque ces éléments ne permettent pas de conclure à l’absence de risque de dépassement des VA ou des VLEP, à une campagne de mesurages, de calcul ou de simulation numérique des niveaux de champs électromagnétiques auxquels les travailleurs sont susceptibles d’être exposés.  

Pour cette démarche, il est prévu que l’employeur s’appuie sur le ou les salariés compétents qu’il a désignés (cf. C. Trav., L4644-1), ou à défaut, par un IPRP ou le service de prévention de la caisse ou de l’organisme dont dépend l’entreprise.

Attention, les agents de contrôle de l’inspection du travail voient leurs prérogatives étendues et pourront dorénavant demander à l’employeur de faire procéder à un contrôle technique des VLEP et VA par un organisme accrédité ou un laboratoire agréé (C. Trav., R4722-21-2).

Il est prévu que l’employeur communique au médecin du travail et au CHSCT (ou aux DP à défaut) les résultats de l’évaluation, et les conserve sous un format susceptible d’en permettre la consultation à une date ultérieure.

 

2°) La mise en œuvre de mesures de prévention adaptées

En cas de mise en évidence au travers de l’évaluation d’un dépassement des valeurs déclenchant l’action (VA), l’employeur doit –sauf dérogation limitative (C. Trav., R4453-11)- déterminer et mettre en œuvre les mesures et moyens de réduction des risques, pour lesquelles le décret fixe une liste non exhaustive de mesures techniques (tirées du principe de substitution) et organisationnelles (C. Trav., R4453-13).

Ces mesures de prévention doivent être spécialement adaptées, en liaison avec le médecin du travail, pour les travailleurs à risques particuliers (notamment les femmes enceintes et les travailleurs équipés de dispositifs médicaux implantés ou non, passifs ou actifs – ex : pacemaker). Précisons à ce sujet que l’exposition professionnelle d’une femme enceinte doit être maintenue à un niveau aussi faible qu’il est raisonnablement possible d’atteindre en tenant compte des recommandations de bonnes pratiques existantes, et en tout état de cause à un niveau inférieur aux valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques (C. Trav., R4152-7-1 nouv. ; décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 sur les installations radioélectriques). Il est par ailleurs interdit d’affecter les jeunes travailleurs de moins de 18 ans à des travaux les exposant à des champs électromagnétiques pour l’évaluation des risques fait ressortir une possibilité de dépasser des VLEP (C. Trav., R4153-22-1 nouv.). 

Les lieux de travail concernés doivent en outre être identifiés et faire l’objet d’une signalisation spécifique et appropriée (zonage). En cas de risque de dépassement des VLEP, un dispositif d’accès restreint ou contrôlé doit être par principe mis en place.  

 

3°) Formation et information

Autre pilier majeur de la prévention des risques, le décret comporte un double volet de formation/ information obligatoire, à destination de chaque travailleur susceptible d’être exposé à un risque lié à des champs électromagnétiques.

Celle-ci doit être en adéquation avec les résultats d’évaluation des risques, et répondre au cahier des charges défini à l’article R4453-17 du Code du travail.

L’employeur doit par ailleurs établir une notice de poste (information et consignes de sécurité) pour chaque poste de travail en cas de risque d’exposition au-delà des VA ou d’autres risques d’effets indirects.

 

4°) Mesures d’urgence

Dans le cas où un travailleur serait exposé au-delà d’une VLEP, l’employeur a l’obligation de prendre immédiatement des mesures pour réduire l’exposition à un niveau inférieur à ces seuils ; d’établir un « arbre des causes » du dépassement afin d’adapter en conséquence les mesures de protection et de prévention ; d’informer le CHSCT (ou les DP à défaut) ainsi que l’agent de contrôle de l’inspection du travail sur les circonstances, les causes présumées et les mesures envisagées pour éviter le renouvellement de ce dépassement (C. Trav., R4453-16 nouv.).  

A titre dérogatoire, des dispositions spécifiques sont prévues en cas de dépassement des VLEP relatives aux effets sensoriels (cf. C. Trav., R4453-20 et s.), lorsque les mesures et moyens de prévention mis en place ne permettent pas de maintenir les expositions en-deçà et que la pratique de travail le nécessite (l’employeur doit alors démontrer l’absence d’alternative possible et consigner la justification dans le document unique).
Le décret autorise alors le dépassement de ces valeurs, de manière temporaire, et à condition que l’exposition du travailleur ne dépasse pas les VLEP relatives aux effets sur la santé. Le médecin du travail et le CHSCT (ou les DP à défaut) doivent être informés du recours à cette mesure. Afin de prévenir tout accident du travail lié aux effets sensoriels, l’employeur doit s’assurer de la mise en œuvre de mesures et moyens de prévention complémentaires et fournir une formation renforcée à la sécurité, ce qui relève typiquement de son obligation de sécurité de résultat.
Dans le cadre de ce régime, l’employeur doit désigner une personne chargée d’assurer la fonction de conseiller à la prévention des risques liés aux champs électromagnétiques (l’instar de la PCR en matière de rayonnements ionisants), laquelle peut être le « référent » sécurité visé plus haut, et exerce en tout état de cause ses missions (participation notamment à l’évaluation de ces risques ; à la mise en œuvre des mesures de prévention ; à l’amélioration continue de la prévention ; à l’information et la formation des travailleurs relatives ; etc.), sous la responsabilité de l’employeur. L’employeur doit enfin mettre en place un dispositif permettant aux travailleurs de signaler l’apparition de tout effet sensoriel, et tirer en pratique les conséquences de tout signalement.

 

6°) Suivi médical

Outre le rôle de conseil du médecin du travail évoqué plus haut, le décret prévoit l’organisation d’une visite médicale obligatoire lorsqu’une exposition au-delà des VLEP est détectée, ou si un effet indésirable ou inattendu sur la santé susceptible de résulter d’une exposition à des champs électromagnétiques est signalé par un travailleur (C. Trav., R4453-19).  

Par ailleurs, en cas de dépassement temporaire autorisé des VLEP relatives aux effets sensoriels, l’employeur doit, pour chaque travailleur concerné, identifier et transmettre au médecin du travail certaines informations définies à l’article R4453-26, et les réactualiser en tant que de besoin.  

A noter enfin que dans le secteur de la santé ou à la recherche, le décret fixe des dispositions particulières concernant les équipements d’imagerie par résonance magnétique (IRM – cf. C. Trav., R4453-27 s.).