La mise en place de zones d’accès restreint dans l’entreprise

||
/
12/11/2014 - Sébastien MILLET

Les conditions de libre circulation dans l’entreprise - en tant que lieu privé - peuvent être soumises à restriction, non seulement pour les tiers (clients, usagers, fournisseurs, intervenants extérieurs, etc.) mais également pour son personnel.


Le Code du travail énonce une règle générale, d’inspiration constitutionnelle, selon laquelle nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (cf. art. L1121-1).

L’employeur peut donc, au travers du règlement intérieur, réglementer la circulation dans l’établissement, pour des raisons :

  • De sécurité (zones de circulation, zones de chargement/ déchargement, zones de maintenance, etc.). La réglementation peut également être à l’origine du classement de certaines zones de travail (cf. l’arrêté « zonage » en matière de radioprotection) ;
  • De santé publique (cf. "biosécurité" concernant les laboratoires de recherche) ;
  • De sûreté en présence d’activité exposées à des risques de malveillance, d’atteinte à son patrimoine ou à ses systèmes d’information (p. ex. banques, aéroports, installations nucléaires, défense).

Dans ce dernier cas, le découpage de l’entreprise ou de l’établissement en zones, dont certaines ont vocation à être soumises à un accès limité, et donc à des contrôles d’accès obéit donc au préalable au principe de justification et de proportionnalité.

Pour être opposable aux salariés, le respect de procédures d’information et de consultation préalable des institutions représentatives du personnel (comité d’entreprise ou d’établissement, CHSCT) doit également être observé, d’autant plus lorsqu’il s’accompagne d’outils ou de dispositifs permettant le contrôle de l’activité des salariés (cf. C. Trav., L2323-32 et L1321-4).

A cela s’ajoute la transmission à l’Inspection du travail pour contrôle administratifs, puis le dépôt au Conseil de prud’hommes compétent et l’affichage en interne du document.

A l’issue d’un délai de 1 mois après accomplissement de ces formalités, le respect des zones réglementées fait partie intégrante des règles de discipline générale applicables au sein de l’établissement.
Ce zonage doit s’accompagner d’une information affichée, indiquant dans une légende claire matérialisant les locaux ou zones restreintes, voire interdites d’accès (utilisation de codes couleurs, etc.).

Les personnels doivent être spécialement habilités, en fonction de leurs responsabilités et qualifications, à pouvoir pénétrer et travailler au sein de ces zones.

Il convient également d’assurer une formation aux procédures et protocoles spécifiques à appliquer dans ces secteurs, en situation normale ou exceptionnelle.

Plus le niveau de sécurité est sensible (confidentialité, risques sanitaires, etc.), plus il est nécessaire de réduire au maximum les failles de sécurité, y compris au niveau du facteur humain.

Dans ce cadre, il est nécessaire de tenir compte des prérogatives des représentants du personnel, qui sont légalement habilités à pouvoir circuler librement au sein de l’entreprise pour l’exercice de leur mandat.

La loi indique en effet que les délégués syndicaux, les délégués du personnel et membres du CE peuvent, tant durant les heures de délégation qu'en-dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission, notamment auprès d'un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés (C. Trav., L2143-20, L2315-5, L2325-11). Dans le silence des textes, il est généralement admis que cette règle s’applique également aux membres du CHSCT.

La question des zones réglementées est donc particulièrement sensible pour ce qui les concerne.

Pour la jurisprudence, la libre circulation des représentants du personnel n'interdit pas à l'employeur, responsable de la sécurité et de la bonne marche de l'entreprise, de déterminer les modalités de ce déplacement, mais à la condition que ces mêmes modalités soient déterminées après consultation des intéressés, et qu'elles n'aient pas pour effet de limiter l'exercice du droit syndical, ni d'entraver leurs fonctions (Cass. Crim. 10 janvier 1989, n° 87-80048). 

Une décision récente a précisé les critères de validité d’une procédure spéciale d’accès à des zones confidentielles. 

Dans cette affaire, l’issue n’était pas évidente sachant que cette liberté de circulation ne peut être soumise à autorisation hiérarchique préalable, et qu’il leur était imposé en l’espèce, pour l’accès aux installations de recherche-développement, de faire appeler à l’entrée le responsable du service et de décliner leur identité.

Pour la Cour de cassation, ce dispositif n’étant pas jugé attentatoire aux attributions des représentants du personnel (cf. Cass. Soc. 9 juillet 2014, n° 13-16-151).
Elle relève que :

  • D’une part, « la procédure applicable pour accéder aux zones confidentielles de niveau 3 avait pour seul objet de s'assurer de l'appartenance du salarié à l'établissement et de son statut de représentant du personnel préalablement à l'accès à ces zones, le responsable de celles-ci ne disposant d'aucun droit de regard sur l'opportunité de la demande d'accès et devant faire droit à celle-ci après avoir procédé aux vérifications prévues » ;
  • D’autre part, « l'accord d'entreprise relatif au droit syndical ne prévoyait pas l'attribution aux représentants du personnel d'un badge leur donnant accès aux zones en cause, au même titre que les salariés y travaillant (…) la procédure contestée, justifiée au regard du caractère hautement confidentiel de ces zones, ne méconnaissait ni les exigences découlant de la liberté de circulation reconnue aux représentants du personnel à l'intérieur de l'entreprise ni celles résultant de l'accord d'entreprise ».

Lorsque la procédure répond à cet ensemble de critères, elle est licite et s’impose aux élus sans que ceux-ci puisse agir en justice pour en obtenir l’annulation.

Cette recherche d’équilibre est bienvenue.

Encore faut-il qu’en pratique, cela ne conduise pas à des modalités d’application de nature à  apporter une entrave à l’exercice des fonctions. La jurisprudence avait ainsi pu caractériser le délit d’entrave et condamner un chef d’entreprise au motif que la procédure mise en place imposait la présence systématique d’un cadre dirigeant, ce qui conduisait des délais anormalement longs (Cass. Crim. 15 novembre 1990, n° 93-85070).

Cela doit donc se limiter à un contrôle pour des raisons de sécurité, et ne pas se transformer à un contrôle ou à une surveillance des représentants dans l’exécution du mandat.