Le nouveau licenciement pour motif d’incompatibilité du comportement dans les entreprises de transports publics de personnes et de marchandises dangereuses

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27/03/2017 - Sébastien MILLET

Comment permettre à ces entreprises de contrôler que le personnel affecté à des postes sensibles n’ait pas un comportement incompatible avec les exigences de sécurité pour les personnes et les biens ?  


La loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 avait répondu partiellement à cette question -essentielle dans le contexte actuel d’exposition au risque terroriste- en permettant aux employeurs dans ces secteurs de faire diligenter des enquêtes administratives préalablement aux décisions de recrutement ou d’affectation sur des emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens.

La question du traitement des résultats d’enquête restait toutefois incertaine, et donc source d’insécurité juridique pour ces employeurs (cf. actu-chronique-enquete-administrative-personnel-entreprises-transport.php ).

La loi n° 2017-258 du 28 février 2017 sur la sécurité publique vient compléter le dispositif de l’article L114-2 du Code de la sécurité intérieure, dans lequel plusieurs alinéas nouveaux sont insérés :

« (…) Lorsque le résultat d'une enquête (…) fait apparaître, le cas échéant après l'exercice des voies de recours devant le juge administratif (…), que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au 1er alinéa et correspondant à ses qualifications. En cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement. Cette incompatibilité constitue la cause réelle et sérieuse du licenciement, qui est prononcé dans les conditions prévues par les dispositions du code du travail relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel.
L'employeur peut décider, à titre conservatoire et pendant la durée strictement nécessaire à la mise en œuvre des suites données au résultat de l'enquête qui lui est communiqué par l'autorité administrative, de retirer le salarié de son emploi, avec maintien du salaire.
Le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de 15 jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai. Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de 2 mois. La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige.
Le présent article est applicable aux salariés des employeurs de droit privé, ainsi qu'au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé ou régi par un statut particulier, recrutés ou affectés sur les emplois mentionnés au 1er alinéa. »

Autrement dit, en cas d’enquête administrative défavorable, la loi impose à l’employeur une recherche de reclassement sur un autre emploi qui ne soit pas en lien avec la sécurité des personnes et des biens au sein de l’entreprise de transport.

Au regard de la jurisprudence tant judiciaire qu’administrative, cela soulève une première question sur le périmètre de la recherche de reclassement, qui s’étend au groupe (lorsque celui-ci existe), parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la mutation de tout ou partie du personnel (cf. Cass. Soc. 2 mars 2017, n° 15-21641).

Le licenciement n’étant prévu qu’en cas d’impossibilité de reclassement ou en cas de refus du salarié ou de l’agent visé, mieux vaut donc par prudence envisager de manière large le périmètre de la recherche de reclassement.

S’agissant de la rupture du contrat de travail, la loi crée ici un motif spécial d’incompatibilité du comportement avec l'exercice des missions pour lesquelles le salarié a été recruté ou affecté, qui est réputé constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La loi n’a en revanche pas prévu la possibilité d’une rupture anticipée d’un CDD dans cette même situation, ce qui constitue un oubli sans doute regrettable dans la mesure où de nombreux postes sensibles peuvent être pourvus via des emplois en CDD (l’étude d’impact de la loi évalue à environ 189.000 le nombre de travailleurs potentiellement concernés par ce dispositif).

Ce nouveau motif légal de licenciement sui generis, de nature non disciplinaire, est pour le moins inhabituel.

D’un point de vue juridique, le comportement incompatible dont il est question doit de toute évidence s’entendre d’une attitude manifestement contraire à la fonction au regard des exigences de sécurité.

Celle-ci doit être caractérisée par des faits objectifs rapportés dans le cadre de l’enquête administrative. Cela n’est pas subordonné à un passage à l’acte ni à la commission d’actes préparatifs, mais cette incompatibilité ne peut non plus résulter d’une simple appréciation purement subjective. L’employeur doit ici s’appuyer sur l’avis administratif, qui doit indiquer dans quelle mesure le comportement donne des raisons sérieuses de penser que la personne est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics.

La jurisprudence administrative y sera probablement vigilante, sachant que le salarié dispose ici d’un délai de 15 jours dès la notification de l’avis de l’administration pour engager un recours pour excès de pouvoirs contre celui-ci.

En pratique, on peut toutefois douter que les tribunaux administratifs soient en mesure de pouvoir statuer dans le délai de 2 mois imparti … étant précisé que l’absence de jugement rendu au terme de ce délai ne peut valoir décision implicite ni de rejet, ni d’acceptation.

Cela a son importance, puisque pendant tout  le temps de cette procédure, l’engagement de la procédure de licenciement est gelé. En pratique, la convocation à entretien préalable ne pourra être adressée ou remise au salarié qu’en cas de décision définitive rejetant le recours juridictionnel.

Bien que la procédure de licenciement n’obéisse pas au régime du droit disciplinaire, la loi organise toutefois la possibilité pour l’employeur de « mettre à l’écart » le salarié par mesure de précaution, mais avec une obligation de maintien intégral de son salaire. Cet ersatz de mise à pied conservatoire temporaire doit toutefois être strictement limitée dans la durée.

Une fois le licenciement notifié, la question se posera de la possibilité de recours du salarié devant le Conseil de prud’hommes, alors que la loi crée une présomption (simple ?) de cause réelle et sérieuse, dont l’appréciation aura dans certains cas fait l’objet d’une validation par le juge administratif … Sur ce sujet, la loi est muette et sans doute faudra-t-il transposer certaines solutions applicables en matière de salariés protégés.

Cette loi laisse donc subsister des zones d’incertitude, mais un projet de décret en Conseil d’Etat est en préparation avec notamment pour objet :

  • De définir la liste limitative des fonctions concernées dans les entreprises de transports publics de personnes et de transport terrestre ou maritime de marchandises dangereuses soumises à plan de sûreté ;
  • De mettre à la charge de l’employeur une obligation d’information sur la possibilité de faire l’objet d’une enquête administrative ;  
  • De préciser les modalités de procédure d’enquête auprès du Ministre de l’Intérieur, les modalités de discussion contradictoire lorsque l’employeur envisage de donner suite à l’avis administratif, ainsi que les garanties de conservation de la confidentialité  des informations liées à la procédure.

En tout état de cause, l’application de ce dispositif ne manquera pas de susciter du contentieux, la question étant de savoir à quel niveau la jurisprudence positionnera le curseur au regard des exigences de sûreté publique.